Bangui : ce que m'inspire les obsèques de Jeanne de Chantal Wodobode

Par le pr Michel Koyt

Je voudrais d’emblée remercier la providence de m’avoir offert l’opportunité de participer aux obsèques officielles de Jeanne de Chantal Wodobodé. Ma présence à cette cérémonie dont l’organisation a été parfaite trouve sa raison dans les liens étroits que j’ai entretenus avec certains membres de la famille et principalement mon frère Prosper Wodobodé et ma grande amie Hyacinthe Wodobodé. J’étais allé apporter le soutien de ma famille à celle de la disparue. Je dois dire que nous étions un certain nombre à manifester notre présence en cette occasion au point que la parcelle réservée à l’accueil de cette cérémonie s’est avérée insuffisante par rapport au volume de participants. Un abri prévu à l’extérieur devait accueillir le surplus des participants.

Il m’était évident que l’événement de cette matinée était censé clôturer cinq jours de veillée funéraire réunissant les membres et des amis de la famille, des amis du disparu, des relations de chacun des membres de la famille, des connaissances, des voisins du quartier, des membres des églises. Ambiance de soutien de proximité qui, en général, est destinée à soulager les éprouvés et l’on sait comme cette solidarité est précieuse et hautement réconfortante.

Ce samedi 6 janvier 2018, la dépouille mortelle était censée être ensevelie après les hommages officiels, les témoignages, les bénédictions mortuaires en l’église toute proche, presque en face du périmètre funéraire. Le ministre du Tourisme assistait à l’hommage rendu à la défunte. Madame Ndakala ancienne ministre du tourisme, qui a collaboré de nombreuses années avec Jeanne de Chantal a manifesté sa présence au demeurant très appréciée. L’Alliance française de Bangui, temple de la culture et de la francophonie a marqué sa compassion par un hommage solennel de dépôt de gerbe de fleurs. L’oraison funèbre proférée de façon irréprochable par le Directeur du Personnel du ministère a été suivie du dépôt de gerbes de fleurs par le ministre accompagné des membres de son cabinet. S’en est suivi le dépôt des gerbes de fleurs. Puis, seuls les intimes de la défunte et de la famille ont poursuivi l’exécution du programme prévu, à savoir la bénédiction religieuse, et l’ensevelissement au cimetière familial de Nzila.

Personnellement, j’ai été impressionné par la présence massive et le zèle de la délégation de l’association des écrivains et poètes centrafricains. Leur témoignage émouvant a révélé la dimension réelle de la personne qui nous réunissait là, en cette matinée. Je réalisais dès cet instant, la gravité de la perte que venait de subir le Centrafrique du fait de la disparition de cette compatriote qui avait encore beaucoup à donner à son pays et à l’humanité du fait de sa créativité. Qu’ai-je retenu de ce discours de l’association ?

J. de Chantal est une femme qui vivait une passion, celle de l’écriture. Sa moisson littéraire est abondante : recueils de poèmes publiés, cinq romans publiés ainsi que de nombreuses nouvelles. Plusieurs fois lauréate de concours littéraires, etc.

Voilà une personne que rien ne prédisposait à vivre ce cheminement puisque ayant entrepris des études économiques et de gestion couronnées par une maitrise en sciences de gestion. Ce qui est certain c’est que de telles créatures sont des prodiges que le pays entretenait lamentablement en son sein, un génie dont il faisait peu de cas. Jeanne de Chantal malade depuis des années faisait des crises et tout le monde le savait y compris les pouvoirs publics. Aucune attention particulière n’a été portée à cette âme qui gémissait en sourdine et s’étiolait au su et au vu de tous. Je cherche à comprendre. Pourquoi ce manque d’intérêt pour une si brillante ambassadrice de notre culture qui vaut plus d’un ? Il est connu que la littérature n’intéresse que subsidiairement l’élite centrafricaine et encore moins la population dont la préoccupation est éloignée des choses de l’esprit.

Je dois dire qu’un constat est à faire dans notre pays relativement à la différenciation nette entre tout ce qui relève de la matière et ce qui relève de l’esprit. A cette différenciation découle des conséquences désastreuses. Seul ce qui concerne le pouvoir politique ou administratif et les biens matériels jouit de la considération. Ce principe est ancré dans le subconscient des populations et explique ainsi tous les comportements et mode de pensée. A l’opposé, ce qui relève de l’esprit, notamment les sciences, les arts, et l’écriture, voire le sport dans une moindre mesure, sont dédaigneusement appréhendés, ainsi que leurs adeptes et promoteurs. Quoi d’étonnant que la vie et le trépas de J. de Chantal n’aient pas reflété la dimension de la personnalité qu’elle représente. L’adage "Ce que tu fais, te fait" a été mis à mal.

L’apport de cette compatriote constitue un des plus importants pour le devenir de la nation. L’humanité a évolué grâce aux idées émises par les penseurs et les hommes de lettres. Leur contribution a façonné les sociétés en inspirant les peuples, en éveillant leur esprit, en montrant le chemin à parcourir, par la morale, la critique sociale, la réflexion philosophique. Toutes les révolutions qui ont permis l’évolution du monde ont été suscitées par des idées. Aucune avancée n’a été le fruit du hasard. Elle a toujours été fécondée par la réflexion et les visions exprimées par les gens de lettres et les amoureux des choses de l’esprit. C’est pourquoi les grandes civilisations ont fait une place de choix à leurs hommes de lettres.

Rappelons à titre indicatif depuis le 6è siècle, Thales, Pythagore, Héraclite, Socrate, Platon et Aristote, Epicure, Galilée, Descartes, Hobbes, Spinoza, Locke, Leibniz, Berkeley, Hume, Kant, et prés de nous, en France ou l’activité intellectuelle a culminé durant la période connue sous l’appellation de siècle des Lumières. C’est cette effervescence intellectuelle qui a contribué à stimuler les changements sociaux, réclamés par la révolution française. Parmi les principaux penseurs de cette époque figure Voltaire, Jean Jacques Rousseau, Diderot, Montesquieu.

Il convient de noter les contributions des penseurs comme Hegel, Schopenhauer, Kierkegaard, Darwin le père de la théorie de la sélection naturelle, mais aussi Bergson, Husserl, Heidegger, Sartre, Karl Marx et Engels, dont la théorie du matérialisme historique a été la base de l’idéologie du communisme. Gaston Bachelard, Ilya Prigogine, Levi Strauss, Michel Foucault, Louis Althusser et Antonio ont joué un rôle primordial du point de vue de la pensée dans la période d’après-guerre,

Je rappellerais aussi l’influence prépondérante assumée par des penseurs en marge du monde occidental. Rama dans le monde oriental, Krishna dans l’Inde, Hermès Trismégiste dans l’Egypte Ancienne, Confucius, dans la chine médiévale, Lao-Tseu dans les pays du Levant, Moise en Israël, Orphée dans la Grèce préhistorique, Zoroastre en Iran, Jésus dans le pays hébraïque, Mahomet en Arabie et bien d’autres. La pensée de ces hommes continue de régenter le monde jusqu’à ce jour. Tout prés de nous, on a vu et continuons de vivre l’influence prépondérante des écrits du Dallai Lama sur les populations tibétaines.

De nos jours, en Centrafrique, une attention particulière est portée aux seuls politiques et magnats de la finance. Alors qu’ailleurs, en France récemment, les obsèques de l’artiste Johnny Halliday ont créé un séisme et le président français de déclarer, "Halliday, c’est la France." Des talents en Centrafrique ont disparu dans un anonymat quasi écœurant. Ceux qui, sur d’autres chantiers que celui des finances, de l’administration et de la politique, ont porté haut, très haut l’étendard de la patrie ont été l’objet d’une indifférence cynique de leur vivant jusqu’à leur trépas.

Jeanne de Chantal est partie vers l’éternité comme elle était venue, à défaut d’’avoir été honorée de son vivant pour les éminents services rendus à la nation à travers son talent d’écrivain.

Je ne me résoudrais pas à croire que ce manquement relève d’une volonté politique. Alors, il y a encore possibilité de gérer au mieux les générations actuelles et futures des hommes de lettres, des arts et des sports en un mot les hommes de la culture et des sports.

Jeanne de Chantal, ton génie et ta plume t’ont inscrit en lettres d’or au panthéon de l’immortalité.

Pr. Michel Koyt

Le 5 février 2018

Souvenir...Souvenir du 1er janvier 2018

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