Bangui d'antan...des souvenirs en vrac...

Par Félix-Yepassis Zembrou


Le président Jean-Bedel Bokassa, au lendemain de son accession à la magistrature suprême, avait lancé un vaste programme de modernisation de la cité qui a fait de la capitale centrafricaine, le miroir de l’Afrique centrale sous l’appellation de Bangui la Coquette devenue plus tard la Grande Coquette. Une ville où il faisait bon vivre.

Ainsi l'emplacement actuel du jardin du Cinquantenaire abritait jadis le quartier Bacongo regroupant la communauté congolaise de Brazzaville. Tandis que Socatel, en face de Lakouanga -dans le 2e arrondissement-, était l'ancien quartier Mbanza-Otto où habitaient les pêcheurs sango, yakoma, langbashi et autres boulaka. De même qu’en face du quartier Lakouanga, du rond point de Dimitri -monument Barthélémy Boganda- au pont Dekongo, se trouvait le quartier Kangba* qui fut par la suite rasé pour céder la place à des constructions modernes lesquelles font aujourd'hui la fierté des Banguissois. L’église Coopération, un peu en retrait, garde encore les vestiges de cette époque. -On appelle le quartier Kangba, à cause d’un blanc, d’un âge avancé, qui avait son magasin dans le coin-/

Idem pour le quartier des pêcheurs sango à Ngaragba qui a vu pousser de superbes villas tout le long de la rivière Oubangui.

En parallèle, Bokassa s’était fixé un autre objectif, la modernisation des infrastructures routières par l’agrandissement, le bitumage et l’éclairage des avenues Boganda et Koudoukou -ancienne route 37- ainsi que la route sinueuse bordant les rochers de l’Oubangui, en contrebas de la corniche menant à Ngaragba. C’est d’ailleurs au tournant de Ngaragba que la voiture de Mgr Grandin -celui là-même qui avait ordonné prêtre, l’abbé Barthélémy Baganda-, avait plongé dans la rivière, occasionnant la mort de l’évêque en 1947. Après, ce fut une succession d’accidents spectaculaires au même endroit.

Il faut souligner que Bokassa veillait personnellement à l’exécution des travaux de ces axes routiers qui se déroulaient sans discontinuer de jour comme de nuit. Il était formellement interdit à quiconque de marcher sur les tronçons fraichement bitumés pendant la phase des travaux, sous peine d’amende ou de prison.

Le quartier Lakouanga portait également un autre nom, "Lakouanga climatisé", en raison de la fraicheur due aux arbres bordant de part et d'autre, les deux rues goudronnées, partant du jardin du Cinquantenaire au pont du quartier sango. Le projet consistait également à construire deux autres rues parallèles goudronnées, à partir de Kwayanga* et le bar dancing Mbi Ye jusqu'à l'avenue David Dacko -commissariat de police du 2e arrondissement-. Pour la petite histoire, Kwayanga -ou poil bouche comme disaient certains- était en réalité le petit nom donné à l’épouse du propriétaire d’une boutique, située à l’angle de la rue, à cause des poils -dus aux hormones- qui poussaient au menton comme une barbe. Le couple d’origine nigériane vendait également dans sa boutique du pain fait maison, très apprécié des Banguissois. Les beignets chauds de mère Kouassi, dans le même quartier, l’étaient tout autant.

C’était devant Le building Administratif, sur l'avenue Barthélémy Boganda nouvellement restaurée que se tenait à l'époque, le défilé du 1er Décembre. Le lieutenant Janvier s'arrachait la vedette en ouvrant la marche militaire, par le maniement spectaculaire de son bâton qu'il lançait et rattrapait au vol avec une adresse inouïe ce, à la joie du public, émerveillé. Cette fascination était si forte que de petits "janvier" émergeaient sans cesse dans les quartiers de Bangui.

Mais auparavant, les défilés se déroulaient sur l'avenue de l'Indépendance, place de la République laquelle servait également de circuit pour les courses de karts -voiturettes de compétitions pilotées par les fous du volant-.

Par ailleurs, les skis et autres sports nautiques attiraient de nombreux badauds sur la plage au sable fin du Rock-hôtel. Signalons que Bangui Rock-club était un endroit sélect que seuls les blancs et quelques dignitaires du régime fréquentaient. Mais il y avait là, le racisme. Les blancs sortaient aussitôt de la piscine dès lors qu’ils apercevaient la présence des noirs à leurs côtés. Cela déplut à Bokassa qui débarqua un jour à l’improviste, l’air courroucé, obligeant tout le monde - blancs et noirs - à plonger dans l’eau, avec ou sans maillot de bain.

De nombreux européens, pour la plupart des français et portugais, arrivaient à l’aéroport de Bangui -actuel ministère des transports- dont la piste d’atterrissage est devenue aujourd’hui l’avenue des Martyrs. Certains d’entre eux descendaient dans les grands hôtels de la place notamment le Rock hôtel, le New- Palace, Minerva, St-Sylvestre hôtel, le Safari hôtel -un immeuble de 13 étages- au pied duquel, il y avait la Villa flotante de Bokassa gardée en permanence par la marine.

Par ailleurs, les banguissois avaient à cette époque, le privilège de lire la nuit sur le toit du building administratif, "le Journal lumineux" qui égrenait les gros titres de l’actualité nationale et internationale, édité par les services de la presse présidentielle. Pareillement, l’on avait installé dans les écoles primaires -Lakouanga, Ngaragba, Koudoukou, Saint-Jean..- des hauts-parleurs pour permettre aux habitants environnants d’écouter les émissions de Radio Centrafrique.

A la veille des festivités du 1er décembre, la fanfare de la garde républicaine organisait des retraites aux flambeaux, et sillonnaient les quartiers populaires, en exécutant des airs de musique militaire, à la grande joie des habitants. Quelquefois, elle jouait devant les résidences des dignitaires, moyennant quelque petit geste de générosité.

D’autre part, au quartier Nzilavo à Lakouanga, un pianiste hors pair, Marcel Joachim Vomitiende -le premier musicologue centrafricain-, berçait les nuits des citadins avec des mélodies classiques qui dépassaient les cimes de la colline du Bas-Oubangui jusqu’au-delà de la rivière. Il jouait tard, portes et fenêtres grandes ouvertes. Sous d'autres cieux, l'on parlerait de tapage nocturne, mais pour les habitants, habitués à la musique tonitruante des bars-dancing Mbi Ye, Cascade, Mboloko, la Coupole, Bir-Hakeim, Pacifique...c'était au contraire la joie de savourer cette sonorité nouvelle venue du pays des "Moundzou" -blancs-. Le seul désagrément pour nous autres, écoliers, collégiens et lycéens, était que cela nous empêchait, pendant la période des compositions trimestrielles et des examens de fin d'année, de nous concentrer sur nos cahiers de leçons dans la rue, à la lumière des lampadaires publics. Sinon, à quoi bon s’enfermer à la maison, à la merci de la chaleur et des moustiques, lorsque parfois, les lampes tempête manquaient de pétrole ?

A l’approche des fêtes, les arbres des artères publics étaient peints à la chaux et les habitations faisaient peau neuve pour la circonstance. Radio Centrafrique était mise à contribution pour une vaste campagne de sensibilisation auprès de la population. Les boutiques Fragozo, Karina, Boundji, Chic Parisien du couple Diakala, Eddy Boutique de Monsieur Spiro et la mercerie Jeanine Bidou offraient aux dames des articles importés de premier choix. Pareillement, les hommes trouvaient leur bonheur, dans les magasins "Toro", "Tissus KM", "Citec" au centre ville où Ils pouvaient se procurer des chemises fleuries "cintrées" en mode Antoine -un chanteur yéyé français- ou des tissus "tergal" ou en coton boussac pour des ensembles "tenue directeur", dans le cadre de l’Opération Kwa ti kodro, lancée par le président David Dacko. A signaler aussi l’incontournable bar-alimentation "Le Relais Sica" chez Madame Tournadre ainsi que la boutique d’habillement pour hommes "Jackson" qui attirait beaucoup de jeunes branchés. D’où le nom de "Pont Jackson" situé entre le PK3 et le PK4.

La mode masculine pour les pantalons était la coupe mexicaine style "Pattes d'éléphant" et "Justaucorps". Dans ce domaine, les couturiers congolais de Brazzaville se taillaient la part du lion au détriment de leurs collègues sénégalais qui eux, excellaient surtout dans les tenues ouest-africaines, moins prisées, en ce temps là. C'était aussi l'époque des vélos moteurs Solex, des mobylettes Peugeot BB ou "cintrées", A.U-44 et autres Vespa et Lambrettas. La BND -Banque nationale de développement- offrait aux fonctionnaires et agents de l'Etat, des crédits à faible taux d’intérêt, pour l'achat de ces deux roues à moteur.

Bangui avait aussi ses salles de cinéma -Le Club, le Vox, Pendere, le Rex, Apollo, Etoile, Saint-Paul...- et ses clubs de jeunesse parmi lesquels on peut citer les 7 Jumeaux, les Supins, les Dauphins, les Carrousels, les Jaguars, les Cols bleus, etc. Ils excellaient surtout dans les jeux de séduction tous azimuts en vue d’attirer le maximum des filles, notamment celles des Lycées Marie-Jeanne Caron et Pie XII, dans les surprises-parties. Leur cadre de prédilection était la traditionnelle "Kermesse aux Chapeaux" de la cathédrale Notre-Dame de Bangui où ils pouvaient démontrer leurs talents de jeunes premiers auprès de la gent féminine. Autres endroits rêvés étaient les magasins Printania, Moura & Gouveia, et Dias Frères avec leurs étalages de fruits importés de France -pommes...- où les tourtereaux pouvaient se retrouver pour conter fleurette.

"La soirée ou nuit des basketteurs" était également un événement sportif et culturel de portée nationale, destiné à récompenser les meilleurs joueurs et joueuses de l’année. C’était aussi l’occasion pour les deux grands orchestres de la capitale, le Vibro succès de Rodolphe Bekpa -Maître Beckers- et le Centrafrican Jazz de Prosper Mayele -Prince Mayos-, d’assouvir leur rivalité légendaire à travers des chansons à la gloire des "Gars de Boston", autrement dit François Pehoua, le père adulé du basket centrafricain. Bref, l’ambiance à Bangui était empreinte de solidarité et d’amour fraternel. Les quartiers répartis par groupements géographiques ou ethniques ne souffraient d’aucun préjugé ni d’exclusion.

L’on distinguait différents types de quartiers : Quartier Sara -communauté tchadienne-, quartier sénégalais -communauté musulmane d’Afrique de l’ouest-, quartier bacongo -communauté congolaise-, quartier popo -communauté togolaise et béninoise-...Et puis, les quartiers ngbaka, gbaya, sango, yakoma -Bruxelles-, langbashi -Petevo-, etc.

Tous les habitants vivaient en parfaite harmonie dans un climat de paix, de sérénité et de cohésion sociale. Ce qui valut à la République centrafricaine le mérite d’être considérée un tant soit peu comme...

La Suisse africaine. -Merci de compléter avec d’autres souvenirs-

Le 11 mai 2019