Bangui : extrait du livre "la nation centrafricaine et les récifs de Crépin Mboli-Goumba

Goumba 2Crépin Mboli-Goumba@hs/arch

"Le scénario qui était clairement établi était que la transition devait se terminer par l’élection de Martin Ziguélé à la magistrature suprême de l’État. Le président Djotodia ne manquait pas de rappeler dans ses conversations qu’il était pressé de passer la main à Martin, comme convenu.

En attendant, il fallait installer rapidement les institutions qui devaient permettre cette passation sans heurt du pouvoir. Le principe était le consensus sur tout, chaque entité devant bénéficier d’un certain quota afin d’assurer l’équilibre dans les rapports de force. La première alerte est pourtant intervenue lors de la mise en place du premier gouvernement post-Bozizé. On pouvait arguer que c’était une affaire entre les membres d’un même camp, l’opposition démocratique. Ce serait une lecture superficielle.

La méfiance qui s’est installée entre nous, membres de l’opposition démocratique, et les actes, posés par la suite par certains d’entre nous, ont créé un climat tel que Michel Djotodia et Nicolas Tiangaye se sont retrouvés piégés et frontalement opposés. Je peux dire que l’inexplicable fébrilité des dirigeants du MLPC a faussé le jeu dès le départ, avec l’initiative de Koyambounou de saborder le tout premier gouvernement. Ils avaient pourtant tout à gagner à se faire conciliants, dans la mesure où après la transition, prévue pour durer 18 mois, le pouvoir leur était promis.

Homme de parole, je n’y trouvai rien à redire, dans la mesure où cette décision avait été entérinée après une discussion entre moi-même, Nicolas Tiangaye et Michel Djotodia. Il était normal de se projeter, et normal de faire en sorte que le pouvoir revienne à travers les urnes à l’opposition démocratique. En acceptant de faire partie du gouvernement, je savais bien que je ne pouvais être candidat à l’élection présidentielle, même si, par la suite, avec la mise en place de la transition de Mme Samba-Panza, légalement, je le pouvais.

Tout ce que nous faisions, c’était plutôt dans l’intérêt de Martin Ziguélé et de son parti, qui n’avaient en face d’eux que des alliés politiques. À titre personnel, je n’avais rien contre Martin Ziguélé, bien au contraire. Dans cette âpre lutte menée contre la dictature de Bozizé, il avait fait preuve de beaucoup de sollicitude vis-à-vis de moi. Mais manifestement, les dirigeants du MLPC m’en voulaient d’avoir fait échouer leur plan de voir Lazare Dokoula à la tête du ministère des finances. Il est vrai qu’il y avait des élections à préparer. Mais je n’étais mû que par le souci d’entamer la transition politique sous les meilleurs auspices avant de leur passer la main. Je rappelle tout ça pour expliquer l’influence du MLPC sur Nicolas Tiangaye.

Il existe entre Nicolas Tiangaye et Martin Ziguélé un degré de confiance très élevé que tout le monde a certainement remarqué. Je ne sais de quand date cette complicité, le fait est que les deux sont très proches. Je sais qu’ils se connaissent depuis l’école primaire, je ne saurais dire s’ils ont toujours été proches. Martin Ziguélé a politiquement beaucoup soutenu Nicolas Tiangaye. Lorsque le MLPC a perdu le pouvoir en 2003, et que François Bozizé s’est installé, ses dirigeants ont eu une stratégie très intelligente et efficace. Ils se sont résolus à lutter pour la reconquête du pouvoir perdu, en s’alliant avec d’autres partis politiques, d’autres leaders, sans immédiatement se mettre en avant.

En agissant de la sorte, ils se faisaient un peu oublier par rapport à la gestion de l’État et les tensions intertribales qu’il y eut durant leur mandature, sans pour autant disparaître de la scène politique. Avoir pu se mettre dans la même coalition avec le parti du général Kolingba, le Rassemblement démocratique centrafricain, alors il y avait eu des morts et qu’on avait craint qu’une guerre civile éclaterait entre les tenants du MLPC ou considérés comme tels du fait de leur origine ethnique et les tenants du RDC, pour les mêmes motifs, relevait de la prouesse politique.

Quand les regroupements politiques se faisaient, le MLPC se mettait en retrait, laissant les premiers rôles aux autres et tirant les ficelles dans l’ombre. C’est ainsi que maître Henri Pouzère était le coordinateur de l’Union des forces vives de la nation -UFVN-. Cette stratégie a ainsi conduit Martin Ziguélé à faire en sorte que le regroupement politique que nous mîmes en place fût dirigé par Nicolas Tiangaye, avec moi comme son adjoint.

Martin Ziguélé, sans être dans le bureau, en était naturellement membre, de par sa stature. Nicolas Tiangaye, étant entré en politique récemment, ne disposait pas encore d’une équipe aussi étoffée que le MLPC, qui avait dirigé le pays pendant plus d’une décennie. Après la nomination de Nicolas Tiangaye au poste de premier ministre, c’est Martin Ziguélé qui s’est chargé de lui choisir ses collaborateurs. Je vois encore Martin sur sa table dans la grande salle de réunion à son domicile, avec CV et autres documentations. C’était un signe appréciable de confiance, en même temps de reconnaissance.

Mais la conséquence de tout ça, et c’est là où je veux en venir, c’est que les collaborateurs de Nicolas Tiangaye, choisis par Martin Ziguélé, étaient en définitive les collaborateurs de Martin Ziguélé. Dès lors, les combats de Martin Ziguélé devenaient les combats de Nicolas Tiangaye, par les collaborateurs interposés. Car ce qu’il faut retenir, c’est que l’entourage de Nicolas Tiangaye, c’est-à-dire celui de Martin Ziguélé, et celui de Michel Djotodia, ont joué un rôle néfaste dans la dégradation rapide de leurs relations. Et avoir réussi à m’éloigner du premier ministre avec des légendes urbaines isolait ce dernier et le plaçait dès lors dans une situation de dépendance. La situation s’était détériorée à un niveau tel que le président s’en prit violemment au ministre Loudégué, membre du bureau politique du MLPC. C’était en conseil de ministres.

Le président, qui n’aimait pas les obligations inhérentes à sa fonction, et appréciait très peu les réunions du conseil des ministres, était présent ce jour-là. Depuis quelques semaines, il se plaignait de l’attitude déloyale du MLPC, dont les dirigeants se comportaient de manière hégémonique, comme s’ils avaient déjà le pouvoir. Ils voulaient tout, se mêlaient de tout et ne faisaient pas assez pour la transition.

Il faut dire qu’étant devenu la cible du MLPC depuis l’épisode Dokoula et mon lynchage médiatique permanent dans les journaux, dont je connaissais l’origine, je ne levais pas le petit doigt lorsque l’entourage du président racontait des choses qui ne pouvaient qu’entraîner de la crispation de sa part : "Monsieur Loudegué, arrêtez de vous comporter comme si vous aviez déjà le pouvoir. Attendez au moins que j’organise la passation de pouvoir. Je regrette sincèrement de vous avoir nommé dans ce gouvernement. Je le regrette. Attendez votre tour, et vous viendrez nous tuer tous".

Le 28 juin 2018

51epvl5gx7l

51tomb1 5dl