Centrafrique : lettre d'un indigné à Faustin-Archange Touadera, président de la République

Monsieur le Président,

Vous venez, en date du 29 mars 2018, de déposer une gerbe de fleurs en mémoire de Feu votre prédécesseur, le Président Barthélémy Boganda.

Cet acte mémoriel suppose de votre part une certaine connaissance de l’homme et une certaine conscience de son œuvre dans le pays que vous avez le privilège de diriger aujourd’hui.

Pour rappel, votre illustre prédécesseur avait en son temps, au regard de l’oppression coloniale, fait du respect des droits humains son crédo. Il ne ménageait ni son temps, ni ses efforts pour agir et dénoncer, sans cesse les violations et autres traitements inhumains que subissait son peuple.

Votre illustre prédécesseur avait réussi à être en symbiose avec le peuple de son temps parce qu’il avait su porter et incarner ses aspirations. Certaines éminentes personnalités qualifiées ont déjà largement écrit sur le Président Boganda et transcrit son fait politique.

Au moment où je vous interpelle par cette missive, vous êtes certainement au cœur des ripailles et beuveries organisées pour votre gloire et celle de votre clan. J’ose espérer que le menu de ce festin ne sera pas composé de la chair et du sang des nombreux centrafricains fauchés sous votre règne dans une totale indifférence.

J’aurais aimé que votre "humilité" vous commande d’inviter à ce deuxième festin de la rupture, au moins les 63% des centrafricains qui ont voté pour que vous soyez aujourd’hui à présider aux destinées du Centrafrique. Mais je dois avouer qu’à la vérité il n’en sera rien.

Il n’en sera rien parce que vous n’avez jamais, depuis votre prise de pouvoir agit pour les 63% de ceux des centrafricains qui vous ont fait confiance, encore moins pour ceux qui n’ont pas voté pour vous.

Il n’en sera rien parce que vous n’avez jamais fait preuve d’empathie à l’égard du peuple souverain qui subit, la razzia des envahisseurs, les effets des paupérisations et la pauvreté, les abus de toutes sortes.

Il n’en sera rien parce que votre présidence est la cour exclusive de votre clan, celle de votre club de coquins et de copains. Vous avez réduit les 63% de ceux qui vous ont donné leur vote, à la portion de vos parents et obligés, excluant le reste pour mieux vous servir avec votre clan et vos obligés.

Monsieur le Président,

  • Que célébrez-vous vraiment aujourd’hui ?
  • Est-il raisonnable de vous livrer à un tel spectacle alors que la terre centrafricaine est chargée de cadavres de vos compatriotes et que les cours d’eau sont imbibés de sang ?
  • Est-il responsable de votre part, de festoyer alors que la majorité de votre pays vous échappe ?
  • Est-il normal pour vous de dépenser autant d’argent public pour votre seul plaisir alors que votre gouvernement vit sous perfusion, qu’il n’est même pas en mesure de procurer, ne serait-ce que des médicaments aux formations sanitaires du pays ?

 

Monsieur le Président,

Votre illustre prédécesseur, le Président Boganda présidait par l’exemple. C’est pour arracher ses compatriotes à l’exploitation et la servitude qu’il a créé la Soccolele, une coopérative dans laquelle les centrafricains étaient invités à venir produire pour nourrir les centrafricains.

"Le pire danger qu’il y’a à tromper autrui, c’est qu’on finit par se tromper soi-même."

Au bout de deux années de magistère, quel exemple les centrafricains doivent-ils retenir de vous ?

Ce qui me vient à l’esprit et bon nombre de compatriotes le partageront avec moi, c’est l’image d’un homme qui a trompé et qui continue de tromper son peuple. Toutes les promesses de votre campagne n’ont été que de vains mots. Le compte de la rupture est désespérément vide. Le candidat des pauvres est devenu un président avide de luxe et de lucre, il est le plus grand voyageur devant l’éternel avec les deniers de l’état, il ne s’est contenté que de son propre prestige en augmentant ses fonds spéciaux etc.…

Monsieur le Président, avec un tel bilan qui n’est pas exhaustif, vous avez ressuscité tous les morts politiques des tiroirs de l’obscurantisme centrafricain. Certains, sans fausse modestie et avec un machiavélisme puant, sont allés jusqu’à établir une comparaison du bilan macabre de leur magistère avec le vôtre, en prétendant que sous le vôtre, il y a eu le double de tués. Que votre diplomatie soit un véritable naufrage, que votre régime a fini par isoler le pays (sic).

Oui monsieur le Président, c’est sans doute vrai et vos dernières tribulations ne peuvent que le démontrer et le confirmer, mais vous avez en commun avec ces zombies politiques d’avoir du sang sur les mains, le sang des innocentes victimes mortes, violées sans assistance de vos pouvoirs respectifs. Pour vous consoler, je pense que le "radeau de la méduse" sur lequel vous êtes depuis deux ans aujourd’hui a été conçu et utilisé par ceux-là même qui trônaient fière en leur temps au pouvoir au Camp de Roux pendant que l’on écorchait des centrafricains, ils vous l’ont légué et vous vous en servez à merveille. Espérons que vous saurez atteindre le rivage ?

Monsieur le Président,

Plus sérieusement, vous ne pourrez pas continuellement vous défausser et vous dédouaner de vos responsabilités face au chaos qui demeure dans le pays. Au bout de deux années, votre discours de circonstance, comme à l’accoutumé, est une litanie de lieux communs à l’attention des seuls thuriféraires et autres transhumants qui servent à votre cour avec toutes ses lâchetés. La plus grande partie du peuple attend de vous des changements radicaux dans vos actions politiques et publiques. Cette majorité exige de vous des résultats immédiats et palpables, matérialisant ainsi un véritable changement de paradigme dans cette léthargie institutionnalisée qui est votre paravent politique.

Les centrafricains exigent de vous que vous vous muiez en un président de combat contre l’insécurité, contre l’impunité, contre les scandaleux monopoles, contre le tribalisme dévastateur, contre la corruption, contre le népotisme, contre le parti de l’étranger, etc…

Qu’à l’orée de cette troisième année qui commence, alors que votre mandat s’amenuise inexorablement, que vous remettiez le centrafricain enfin au cœur de votre action.

Aucun centrafricain patriote ne peut s’honorer d’une présidence hors-sol, dans laquelle plus des 3/4 de la population se retrouve en dehors de l’action publique et politique.

Après avoir mangé et bu, ce jour en votre honneur, digérez et redescendez sur terre pour affronter les vrais problèmes du Centrafrique et des Centrafricains.

J’ose croire, Monsieur le Président, que vous serez sensible au contenu de cette correspondance et que vos actions futures contrediront la conviction que de nombreux centrafricains se sont fait de vos deux années d’échecs à la tête de l’Etat.

Un centrafricain Indigné

Isidore Dékofiore

Le 31 mars 2018

Rubrique libre opinion