Centrafrique : autopsie d’un pouvoir démocratique vacillé par les groupes armés non conventionnels

Les efforts conjugués de la communauté internationale et les forces onusiennes ont permis d’endiguer la crise militaro-politique de la Centrafrique. L’interminable gouvernement de transition a été couronné par l’organisation quand bien même bâclées des élections couplées mais acceptées par l’ensemble de la population centrafricaine. 

Le président de la République démocratiquement élu a usé de ses prérogatives constitutionnelles pour mettre en place et surtout dans le délai - ce qui est appréciable- les institutions républicaines. Après deux années de mandature,  le tableau synoptique de pilotage du navire présente des indicateurs qui ne sont pas favorables au nouveau locataire du palais de la renaissance.

Le défi basique sécuritaire non atteint a fini par lassé tout le monde, les groupes armés non conventionnels se multiplient et occupent les 3/4 du territoire national, les assassinants ou meurtres se comptent par centaines, les inégalités sociales galopent dans l’indifférence totale des gouvernants, la corruption s’érige en règle, la déconfiture des services sociaux de base bref la faillite de l’Etat.

L’incompréhension gagne du terrain et le citoyen lambda qui ne se lasse de curiosité s’interroge :

  • Que s’est- passé depuis le fameux discours d’investiture pour que la Centrafrique mérite ce sort ?
  • Comment cet universitaire qui incarnait le respect et l’admiration a t-il échoué si lamentablement au point de jeter un discrédit sur la capacité des intellectuels à gérer la chose publique ?
  • Qu’est-ce qui justifie cette descente évidente aux enfers ?
  • Existe t-il un seuil de morts  pour que le pouvoir prenne conscience de la gravité de la crise ?
  • Le pouvoir est-il conscient de la menace de partition qui de facto est consommée ?
  • Les lanceurs d’alerte n’ont-ils pas répété au point de s’égosiller qu’on ne négocie pas avec les intégristes ou fondamentalistes ?
  • Comment pouvez-vous privilégier le dialogue avec des gens qui ne connaissent que le langage des armes et de la violence ?
  • Ce pouvoir qui est en manque cruel de fêtes est-il sensible à la détresse de son peuple ?
  • A chaque épisode de violences, le pouvoir s’évertue à condamner et après ?
  • Quelles sont les actions conséquentes en représailles ?
  • Pourquoi le président de la république n’a jamais décrété un état d’urgence ou de siège pourtant conféré par la constitution pour reprendre le contrôle de la situation ?
  • Quand on ne peut pas sécuriser la ville de Bangui, comment peut-on espérer rétablir l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire national
  • Parallèlement au mélange de partenariats sans tenir compte des rapports géo-stratégiques des États -Liban, Israël, Portugal, Russie…-, quelles sont les réelles missions des militaires russes en Centrafrique ?
  • Quelles sont les raisons de la lenteur chronique dans la formation de nos forces armées centrafricaines ?
  • Qui est véritablement responsable de l’amplification de la crise ?
  • S’agit-il d’une responsabilité personnelle ou collective ? 

 

Dès la prestation de serment, le président de la République a manqué un rendez-vous crucial avec l’histoire en optant pour le dialogue au lieu de la rigueur et la fermeté comme marque de fabrique à l’adresse des groupes armés non conventionnels. La majorité présidentielle a failli en remettant trop tôt sur la scène politique les anciens acteurs du parti KNK dont il est encore juridiquement le vice-président. Ce pouvoir perdu brutalement par le KNK a été retrouvé donc la continuité des faits qui ont poussé les groupes armés à prendre les armes. N’oublions pas que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Ces ténors des pratiques réputées mafieuses ont jeté un doute sur la célèbre notion de rupture prônée par le président de la république.

Il est également important de rappeler que le système politique instauré par le président de la république contribue à instrumentaliser la violence et à violer les termes de référence de la constitution de la république. C’est ainsi que le pouvoir a négocié et obtenu l’interprétation de l’article 60 de la Constitution qui fragilisera à jamais le pouvoir parlementaire.

A l’instar des conflits exécutif/législatif, le président de la République est un grand acteur de division, il dresse les uns contre les autres alors que la Constitution lui confère des prérogatives pour garantir l’unité nationale et la cohésion sociale.

Le président de la République excelle dans la promotion de l’incompétence, de l’amateurisme, de l’injustice sociale et surtout de la justice au faciès. A cause de son immaturité politique, notre tissu social, héritage de nos ancêtres vient d’être fortement ébranlé avec les derniers évènements de Fatima. Les élus de la nation qui ne cessent de subir des intimidations, des influences au point que ces derniers ne se contentent que d’interpeller le gouvernement sans propositions ni sanctions car la corruption a pris le dessus.

En conséquence de ce qui précède, les parlementaires sont incapables de destituer le président de la république ou son chef du gouvernement pour échapper aux représailles. Pour finir, nous constatons visiblement que la solution politique négociée avec les groupes armés non conventionnels a échoué. Au stade actuel de la crise, destituer ou appeler à la destitution du président de la République ne résout pas le problème, la logique de la guerre est la seule, inévitable et irréversible. Au delà de toutes considérations, nous rappelons à toutes les couches de la société que ce conflit ne repose nullement sur des bases confessionnelles comme le prétendent certains médias. Ces deux communautés ont une histoire commune et réécriront les nouveaux épisodes de l’histoire de la nation.

Nous mettons en garde ceux ou celles qui veulent falsifier l’histoire de notre patrie d’arrêter de s’agiter, de manœuvrer le levier de la provocation et de la manipulation. Nous ne céderont à la haine, la passion et l’esprit de vengeance car chrétiens et musulmans sont tous des héritiers du père fondateur Barthélemy Boganda.

Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.

Le 4 mai 2018 à Paris

Bernard Selemby-Doudou / Juriste administrateur des élections