Centrafrique : analyse juridique de l'accord politique de Libreville du 11 janvier 2013

Le 23 janvier 2013   par le Pr. Danièle Darlan 

Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l'Université de Bangui

Le 11 janvier 2013 un accord politique sur la résolution de la crise politico-sécuritaire en République centrafricaine a été signé à Libreville.

Alors que nous entrons dans la phase d’application de l’accord, phase très certainement la plus délicate, sinon périlleuse, il nous semble intéressant d’analyser le contenu de cet Accord conclu grâce à une médiation internationale.

Cet accord a été précédé par l’accord de paix global de Libreville signé le 21 juin 2008 dont nous rappellerons les dispositions principales avant d’analyser celles de l’accord de 2013.

L’accord de paix global -APG- du 21 juin 2008

Trois accords de paix avaient été signés préalablement à l’APG de Libreville :

  • l’accord de Syrte du 2 février 2007, entre le gouvernement et le FDPC -Front Démocratique du Peuple Centrafricain- sous médiation libyenne,
  • l’accord de paix de Birao signé 13 avril 2007 entre le gouvernement et l’UFDR -Union des Forces démocratiques pour le Rassemblement. Dans cet accord, les parties étaient convenues d’une cessation des hostilités, du cantonnement des troupes de l’UFDR, de la mise en place d’un programme urgent pour la réhabilitation et la réinsertion des combattants, de la participation de l’UFDR à la gestion de l’État, en contrepartie, l’UFDR s’engageait à renoncer à la lutte armée comme moyen d’expression de ses revendications.
  • l’accord de cessez-le-feu et de paix signé le 9 mai 2008 à Libreville entre le gouvernement et l’APRD -armée populaire pour la restauration de la démocratie.

 

l’accord de paix global  - APG- de Libreville a été signé le 21 juin 2008 sous la médiation du président gabonais agissant en tant que président du "comité Ad Hoc dans l’espace CEMAC sur les questions centrafricaines".

►Les signataires de cet accord de paix étaient les suivants :

Le gouvernement de la République centrafricaine, d’une part et les mouvements politico-militaires APRD et UFDR.

Le FDPC avait refusé de signer l’accord. Le FDPC signera un acte d’adhésion au processus de Paix en République centrafricaine à Syrte le 3 juillet 2009 sous les bons offices du président libyen, haut médiateur permanent pour la paix et la sécurité de la CEN-SAD, alors président en exercice de l’Union africaine.

L’APG prévoyait :

  • la promulgation d’une loi d’amnistie,
  • la réhabilitation dans leurs droits des militaires centrafricains radiés pour des faits liés à la rébellion,
  • le rétablissement des fonctionnaires civils liés aux mouvements signataires dans leur formation et corps d’origine,
  • le cantonnement des troupes des mouvements signataires suivi du DDR,
  • la libération des combattants des mouvements signataires dès la promulgation de la loi d’amnistie ceux-ci devant être placés sous la protection de la FOMUC et des FACA,
  • le principe de la participation des représentants des mouvements politico-militaires signataires "dans un esprit de réconciliation nationale".

 

L’accord de paix mettait en place un comité de suivi comprenant :

  • un représentant de la République gabonaise,
  • 3 représentants du gouvernement de la RCA,
  • 3 représentants des mouvements politico-militaires,
  • le représentant spécial du secrétaire Général des Nations Unies,
  • le représentant de l’OIF.

 

Il était précisé que celui-ci pouvait être élargi aux représentants des organismes suivants : CEMAC, FOMAC, CEEAC, CEN-SAD, Union africaine et Union européenne. Cet accord avait été signé en présence d’un certain nombre d’entités :

  • le représentant spécial du secrétaire général des Nations-Unies en Centrafrique,
  • l’envoyé spécial de l’OIF,
  • le représentant des pouvoirs publics,
  • le représentant de la majorité présidentielle,
  • le représentant de l’opposition démocratique
  • le représentant de la société civile.

 

Dans la suite de cet accord était également signé à Libreville le 20 novembre 2008, un document cadre sur le lancement du processus DDR en République centrafricaine.

Le 11 janvier 2013 un nouvel accord de paix a été conclu à Libreville suite à la crise sécuritaire qu’a connue le pays entre décembre 2012 et janvier 2013 et qui n’est pas encore tout a fait terminée.

Il parait opportun de comparer certains aspects de ces deux accords et surtout d’analyser le contenu de l’accord de 2013.

Les signataires de l’accord du 11 janvier 2013

2.1 La première question que l’on peut se poser est la suivante : ou est passé le gouvernement ?

Une différence notoire apparait entre l’accord de 2008 et celui de 2013 au niveau des diverses composantes signataires : -tandis que seuls les politico-militaires et le gouvernement avaient signé l’APG, les signataires de l’accord de Libreville de 2013 sont : 

  • la majorité présidentielle,
  • la coalition SELEKA -CPJP, UFDR, UFR, CPSC-,
  • l’opposition démocratique,
  • les mouvements politico-militaires non combattants -CPJP, MLCI, FDPC-.

 

L’opposition démocratique, la majorité présidentielle, ainsi que la société civile, présentes en 2008, n’avaient pas signé l’accord mais il était indiqué que celui-ci avait été signé "en leur présence". Par contre le gouvernement centrafricain était signataire de l’accord.

Celui-ci n’est pas mentionné dans l’accord de 2013 comme partie à l’accord.

Le gouvernement, qui est une Institution prévue par la Constitution, doit effectivement être distingué de la majorité présidentielle. On peut juridiquement en conclure que le gouvernement était absent de cette négociation, même si c’est un membre du gouvernement qui conduisait la délégation de la majorité présidentielle. La majorité présidentielle, signataire de l’Accord de 2013 représentait logiquement le président de la République en son appartenance à une formation politique, tout comme étaient représentés les partis politiques d’opposition sous la dénomination "opposition démocratique".

2.2. La deuxième question que l’on peut se poser est la suivante : que signifie l’expression "mouvements politico-militaires non combattants" ?

L’accord souligne qu’il s’agit du CPJP, du MLCJ et du FDPC.

A la lecture de l’accord, on comprend qu’il s’agit des mouvements politico-militaires qui ne font pas partie de la coalition SELEKA mais qui ont cependant participé aux négociations.

Entre opposition armée et opposition démocratique, dans quelle catégorie doit-on classer les "mouvements politico-militaires non combattants" ?

Dans l’APG, les mouvements étaient mentionnés sous l’appellation "mouvements politico-militaires". On comprend le souci des acteurs de faire la différence entre la coalition SELEKA et les autres mouvements présents, cependant le terme "non combattants" prête à confusion.

Les mandats confirmés ou modifiés :

3.1 - Le mandat du président de la République confirmé

L’accord de Libreville dispose en son article 1er : "Le président de la République demeure en fonction jusqu’au terme de son mandat en 2016. Il ne peut se présenter pour un autre mandat"

L’article 24 de la Constitution fixe à 5 ans la durée du mandat présidentiel, et précise qu’il est renouvelable une seule fois. Cette disposition est confortée par l’article 108 de la Constitution qui dispose que sont notamment exclus de la révision de la Constitution "le nombre et la durée des mandats présidentiels". Ce qui signifie que l’on ne peut pas réduire la durée de ces mandats, sauf cas exceptionnels prévus par la Constitution -destitution, condamnation à une peine afflictive ou infâmante, empêchement définitif d’exercer ses fonctions conformément aux devoirs de sa charge-

Art.34), ainsi, la prise de pouvoir par la force est interdite par la Constitution "l’usurpation de la souveraineté par coup d’Etat ou par tout moyen constitue un crime imprescriptible contre le peuple centrafricain. Toute personne ou tout Etat qui accomplit de tels actes aura déclaré la guerre au peuple centrafricain".

Art. 19). Si l’on ne peut réduire la durée du mandat, sauf cas expressément prévus, il est proscrit d’augmenter le nombre des mandats.

L’accord de Libreville est donc en harmonie avec la Constitution sur ce point car le président de la République effectue actuellement son deuxième mandat de 5 ans.

3.2 - Un Gouvernement d’Union Nationale institué pour 12 mois et plus…si affinités

L’accord de 2013 institue un "Gouvernement d’Union Nationale inclusif d’une durée de 12 mois, éventuellement renouvelable" (art. 2)

En ce qui concerne les diverses composantes de ce gouvernement, outre les parties signataires à l’Accord, la société civile sera représentée.

Le premier ministre et les ministres du gouvernement d’Union nationale -GUN- ne peuvent être destitués durant la période de transition, en contrepartie, ils ne peuvent être candidats à la prochaine élection présidentielle (art.6)

Dans son article 22, La Constitution ne fixe pas de délai de durée du gouvernement, et prévoit que le président de la République peut mettre fin à tout moment aux fonctions du premier ministre ou que cette destitution peut intervenir à la suite d’une motion de censure du Parlement. La destitution du premier ministre entraînant ipso facto celle des membres de son gouvernement.

La période la transition est d’un an, de 2013 à 2014, année des nouvelles élections législatives. On peut se demander pourquoi la période de transition n’a pas été fixée à 3 ans pour coïncider avec les prochaines élections présidentielles, car les objectifs fixés au gouvernement nous semblent nécessiter une plus longue période que celle d’un an, cela se justifiait d’autant plus que ses membres ne pourront pas être candidats aux élections présidentielles.

L’accord prévoit que cette période de 12 mois peut être éventuellement renouvelée.

Ainsi, le Gouvernement d’Union Nationale -GUN- devrait normalement cesser ses fonctions dans 12 mois. Le président de la République pourra donc, à l’issu des élections législatives, mettre en place un nouveau gouvernement, à moins que d’accord parties, la période du gouvernement de transition soit prolongée : cette échéance laisse entrevoir quelques difficultés à l’issu de la période de transition de 12 mois. L’imprécision, qui résulte dans le fait que le mandat pourra être "éventuellement" renouvelé, concernant un gouvernement de crise, risque d’être elle-même source de difficultés.

3.3 Le Parlement :

- Des élections anticipées dans les 12 mois :

L’accord prévoit en son article 7 que l’assemblée nationale est maintenue dans ses prérogatives jusqu’aux prochaines élections législatives anticipées, cependant l’accord n’a pas déterminé de calendrier pour la dissolution de l’assemblée nationale, l’accord prévoit simplement que le gouvernement doit "organiser des élections législatives anticipées après la dissolution de l’Assemblée nationale" mais quand celle-ci doit-elle intervenir ? La seule chose qui est sure et qui découle logiquement de l’accord, c’est que ces élections anticipées doivent normalement intervenir avant l’expiration ou a l’issu de la période de transition de 12 mois, puisque le premier ministre de transition a en charge de les organiser. La réponse à cette question se trouve peut-être dans les documents de négociation qui ont précédé la conclusion de l’accord. Cette imprécision peut cependant être source de frictions et donc de crise.

Quoi qu’il en soit, il s’agit là d’une dissolution anticipée de l’Assemblée nationale qui devait être renouvelée en même temps que l’élection du président de la République en 2016.

La Constitution prévoit en son article 50 que les députés sont élus au suffrage universel direct pour une durée de 5ans. "Le mandat du député ne peut être écourté que par la dissolution de l’Assemblée nationale ou par la démission, la radiation ou la déchéance".

Qui peut dissoudre l’Assemblée nationale ?

La réponse à cette question figure dans l’article 33 de la Constitution : le chef de l’État a le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale après consultation du Conseil des ministres, du Bureau de l’Assemblée nationale et du président de la Cour Constitutionnelle. L’acte de dissolution de l’assemblée nationale doit donc être pris par le chef de l’État, cependant une condition ne pourrait être remplie dans l’état actuel des choses car la nouvelle Cour Constitutionnelle n’a pas encore été mise en place et l’ancienne Cour a cessé ses fonctions conformément à la Constitution qui dispose en son article 74 "le mandat des conseillers est de 7 ans non renouvelable".

Le spectre d’un gouvernement de cohabitation

La conséquence de la séparation dans le temps entre élection présidentielle et élection législative peut être que le président de la République ne dispose pas d'une majorité à l’Assemblée nationale à l’issu des élections et que l’on ait un gouvernement de cohabitation, source de conflit entre le président et le gouvernement issu de l’opposition.

L’actuel gouvernement de transition ne peut être qualifié de gouvernement de cohabitation car c’est un gouvernement qui repose sur un accord donc un consensus, des entités diverses y seront représentées. Dans un gouvernement de cohabitation, le premier ministre issu de la majorité parlementaire propose réellement au chef de l’Etat les membres de son gouvernement qui sont en grande majorité sinon en totalité issu de son bord politique. La conséquence possible de cette situation c’est que le chef de l’Etat peut procéder alors à une dissolution de l’Assemblée afin de tenter de retrouver une majorité à l’Assemblée nationale, ce qui est toujours hasardeux.

Le recours au "vote bloqué" jusqu'à la mise en place de la nouvelle Assemblée pour éviter le blocage de l’action gouvernementale

L’Assemblée nationale actuelle étant maintenue dans ses prérogatives jusqu’aux prochaines élections anticipées, l’accord de Libreville prévoit qu’afin d’éviter les blocages de l’action gouvernementale, les projets de loi adoptés par le gouvernement doivent être votés en l’état par l’assemblée nationale, c’est ce que l’on appelle le vote bloqué.

Le vote bloqué est une "procédure qui permet au gouvernement d’obliger l’Assemblée à se prononcer par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion, en ne retenant que les amendements proposés par lui". Cela correspond donc à une limitation du droit d’amendement des parlementaires et permet à l’exécutif de faire approuver ses projets de loi dans leur intégralité. Cette possibilité n’est pas prévue par la Constitution de 2004, il s’agit donc là d’une dérogation créée par l’accord de paix.

4 - Un accord qui repose sur la bonne foi des acteurs et la médiation internationale

L’accord en appelle tout d’abord à la bonne foi des différents acteurs.

Le principe de bonne foi est un principe couramment mentionné dans les accords internationaux, il signifie qu’il ne suffit pas de signer un accord, encore faut-il dans son application faire ce qu’il faut pour le faire fonctionner, l’appliquer en lui donnant tout son sens et ne pas mettre des obstacles volontaires à sa bonne application.

Cette garantie de bonne foi doit se manifester tout au long de la période de transition, elle repose notamment sur des dispositions qui doivent être prises par les acteurs et qui sont listées par l’accord :

  • Les forces de coalition SELEKA s’engagent à se retirer des villes occupées et à abandonner la lutte armée,
  • Le gouvernement s’engage à libérer les personnes arrêtées en relation avec la crise sécuritaire,
  • Les milices sont dissoutes sur l’ensemble du territoire national,
  • L’administration et l’autorité de l’état doivent être rétablies sur toute l’étendue du territoire,
  • Les éléments armés doivent être cantonnés dans des localités à convenir d’un commun accord, sous la supervision de la MICOPAX,
  • Le retrait progressif du territoire national de toutes les troupes étrangères non communautaires en fonction de l’évolution de la situation sécuritaire sur le terrain.

 

Ces dispositions nécessitent manifestement pour une application effective que des calendriers soient mis en place car aucune échéance n’a été évoquée par l’accord à moins encore une fois que la réponse à ses préoccupations ne figure dans les documents de négociation.

En outre, dans le souci de maintenir la paix et la sécurité, les acteurs se sont engagés à ne pas recourir à la force comme moyen de règlement des différends qui pourraient surgir et à recourir à l’arbitrage du comité de suivi et, si nécessaire, à la conférence des chefs d’État de la CEEAC en cas de persistance d’un différend pouvant mettre la paix en danger.

En conclusion, il est curieux de constater que certaines précisions n’aient pas été portées dans l’accord du 11 janvier 2013, notamment on se serait attendu à plus de précisions au niveau des délais et du calendrier des actions, on relève également qu’il n’est pas fait mention de l’adoption d’une loi d’amnistie, mention tout à fait courante dans les accords de paix et souvent présentée comme étant un mal nécessaire pour favoriser le rétablissement et le maintien de la paix.

L’accord de paix de Libreville du 11 janvier 2013 serait-il plus explicite dans ce qu’il ne dit pas que dans ce qu’il dit !

Pr. Danièle Darlan 

Bangui le 23 janvier 2013

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