Centrafrique: décryptage analytique du projet d’accord de coopération militaire avec la fédération de Russie

Selemby doudou bernardLa profonde crise politico-militaire qui a secoué la Centrafrique depuis 2013 a enregistré de milliers de morts, des déplacés ainsi que des réfugiés. Pour maîtriser le flux des armes disséminées sur l’étendue du territoire national, l’ONU a placé la Centrafrique sous embargo lui interdisant de se procurer des armes, des munitions ainsi que des équipements militaires. Suite aux constats alarmants des experts, l’ONU a décidé en 2017 de prolonger l’embargo pour une année supplémentaire.                                    Bernard Selemby-Doudou@bsd

Animé par le souci de pacifier le pays, les autorités centrafricaines ont multiplié des offensives diplomatiques, des partenariats qui ont abouti à la levée partielle de l’embargo négocié par la fédération de Russie auprès du conseil de sécurité de l’ONU. C’est dans la suite logique de ce partenariat qu’un projet d’accord de défense a été initié et signé le 21 août 2918 à Moscou entre les ministres respectifs de la defense nationale.

S’agissant de la procédure et conformément aux dispositions de l’article 60 et 91 de la constitution, le conseil de ministre doit examiner le projet de loi et recueillir obligatoirement l’autorisation préalable du parlement avant la ratification.

C’est ainsi que le ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères chargé de la francophonie et du protocole d’Etat a soumis au bureau de l’Assemblée nationale le 6 décembre 2018 le projet d’accord de défense pour discussion et amendements. Ensuite, un vote sera proposé en plénière pour ratification. Ainsi, quel est le contenu de ce projet d’accord de défense caché depuis des mois et rendu public tardivement ?

L’ossature de l’accord de défense entre la Centrafrique et la Russie est constitué de 11 articles avec un préambule qui rappelle les relations d’amitié entre les deux pays sans réaffirmer notre souveraineté qui rappelle notre indépendance, l’inviolabilité et l’intangibilité de notre territoire. Ce même préambule a omis de mettre un garde-fou contre une quelconque ingérences dans les affaires intérieures de chaque État.

  • Le survol lapidaire de l’accord de défense qui donne une base juridique à la présence militaire russe sur le territoire national évoque le but de l’accord en son article premier.
  • Le second article qui concerne la direction de la coopération nous évoque les modalités de réalisation de l’accord qui se fera par un échange d’expérience en vue de renforcer les capacités et également une assistance technique militaire.
  • L’article 3 s’attarde sur les formes de la coopération qui se fera par des visites officielles, des consultations, des séminaires ou conférences et des visites de l’aviation militaire.
  • L’article 4 quant à lui évoque la réalisation des accords c’est à dire la création de groupes de travail conjoint.
  • L’article 5 par contre qui est assimilable à l’article 8 définit les conditions financières c’est à dire que chaque partie doit rembourser elle-même les dépenses de ses événements prévus par l’accord.
  • Les articles 6 à 10 correspondent aux exigences traditionnelles des contrats entre les parties contractantes.
  • Enfin, l’article 11 qui détermine l’échéance du contrat car il s’agit d’un contrat à durée indéterminée résiliable à la demande d’une partie et cela par voie diplomatique.

 

Telles sont les principales idées que comporte l’accord de défense entre la Centrafrique et la Russie. La lecture synoptique du contrat de défense a poussé le citoyen lambda à s’interroger en monologuant :

  • D’abord du point de vue de la forme, pourquoi ce projet de contrat est arrivé à l’Assemblée nationale juste au moment où la présidente de la commission "affaires étrangères" est absente car ce n’est pas la première fois qu’une demande de ratification se présente à son absence ?
  • Cela relève-t-il d’un simple hasard de calendrier ou s’agit-il d’un agenda caché ?
  • Pourquoi l’exposé de motif du projet de contrat soumis aux parlementaires a été présenté et signé par le ministre délégué chargé de la francophonie alors que le ministre des affaires étrangères non empêché est présent à Bangui ?
  • Ce phénomène confirme-t-il la mise en quarantaine avant limogeage du ministre des affaires étrangères ?

 

Nous vous rappelons au passage qu’un ministre délégué est administrativement placé sous l’autorité d’un ministre et souvent en charge d’un dossier précis. Dans les grandes démocraties, le ministre délégué ne participe au conseil de ministre que lorsque l’ordre du jour touche à son domaine.

  • Par ailleurs, ce projet de contrat est-il équitable et conçu pour défendre la cause centrafricaine ?
  • Quels sont les non-dits et la contrepartie de cet accord de défense ?
  • Outre la fédération de Russie, l’autre prédateur d’Afrique du 21e siècle c’est à dire la Chine a-t-il formé les forces armées centrafricaines sur la base de quel texte ?
  • Cette situation insinue-t-elle l’existence d’un autre contrat de défense non encore rendu public ?
  • Dans l’exposé des motifs du projet d’accord de défense, qu’est-ce que le ministre délégué entend par la "sécurité internationale" dès lors que l’accord interdit à la Russie de combattre pour la cause centrafricaine ?
  • A titre de rappel, l’expert militaire russe a confirmé devant la commission "affaires étrangères" de l’Assemblée nationale que l’armée russe ne ripostera qu’en légitime défense. Que fera la Russie si la MINUSCA lui demande de s’associer pour combattre les groupes rebelles ?
  • En d’autres termes, si la Russie veut sincèrement aider la Centrafrique, pourquoi ne pas intégrer officiellement la MINUSCA?

 

On remarque également que le projet de contrat est muet sur certains points mais cela n’a pas échappé au citoyen lambda.

  • La logistique et les approvisionnements liés aux activités russes sont-ils exonérés des frais douaniers et postaux ?
  • Les matériels militaires russes peuvent-ils faire l’objet de perquisition ou réquisition ?
  • Pour finir, pourquoi le pouvoir a tant hésité pour rendre public le projet de contrat ? Cette hésitation répond -elle à une contrainte exogène à la crise ?

 

En tout état de cause, les autorités centrafricaines ont délibérément violé l’alinéa 2 de l’article 60 de la constitution du 30 mars 2016 car ce dernier oblige le gouvernement à publier le contrat de défense dans les 8 jours francs suivant sa signature car le contrat est acté depuis le 21 août 2018 et soumis à l’assemblée nationale que le 6 décembre 2018.

En guise de contribution, nous encourageons les autorités centrafricaines à multiplier les partenaires en vue de la résolution de la longue crise. Ainsi, diversifier les nouveaux partenariats c’est bien mais éviter de froisser les anciens partenaires c’est mieux.

Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.

Bernard Selemby-Doudou - juriste, administrateur des élections

Paris le 14 décembre 2018