Centrafrique : le sursaut patriotique viendra-t-il de la plateforme des confessions religieuses ?

Depuis le retour de l’ordre constitutionnel, le pouvoir issu de la volonté souveraine du peuple a solennellement prêté serment pour protéger la population conformément aux dispositions de l’article 1 de la constitution du 30 mars 2016.

En effet, l’alinéa de l’article précité dispose : "la personne humaine est sacrée et inviolable. Tous les agents de la puissance publique, toute organisation ont l’obligation absolue de la respecter et de la protéger". En quintessence, cet article confirme le caractère sacré de la personne humaine et impose à la puissance publique c’est-à-dire l’Etat,  deux engagements fondamentaux : la respecter en toutes circonstances et la protéger sur toute l’étendue du territoire national. Le président de la République, pourtant conscient de la profondeur de la crise a bien entamé son quinquennat en rendant visite à son challenger du second tour des élections, symbole d’une main tendue à toutes les compétences sans exclusive pour la reconstruction du pays.                                                              Bernard Selemby-Doudou@bsd

Selemby doudou bernardTrès vite, les démons sont revenus au galop et la course à l’enrichissement personnel et illicite a pris le dessus sur les besoins et attentes prioritaires du peuple. Fruit de l’impréparation et de l’amateurisme, les stratégies, méthodes ou approches politiques du pouvoir sont révélées diamétralement opposées aux résultats escomptés : le programme DDRR aux arrêts, les négociations répétitives et abusives avec les groupes armés non conventionnels soldées d’échecs, l’opposition démocratique marginalisée, les finances publiques dilapidées, les déplacés et victimes de guerre oubliés et enfin la sécurité du peuple et la protection du territoire confiée par procuration à la MINUSCA et à la coopération militaire russe au contour ambigu.

En conséquence de ce qui précède, le bas peuple innocent et inoffensif continue d’enterrer leurs morts dans des fosses communes tandis que le pouvoir ne laisse passer aucune occasion festive.

La fracture est très ouverte, on assiste à une déconnexion totale entre le pouvoir et le peuple. Abusé et écœuré par le massacre d’Alindao qui n’est qu’une suite logique de celui de Bambari et Batangafo, l’église catholique membre de la plateforme des confessions religieuses a effectué une sortie médiatique fracassante pour briser le tabou.

Le prélat, au cours d’une conférence de presse a lancé un vibrant appel à la conscience collective en demandant aux chrétiens et personnes de bonne volonté de s’abstenir de la célébration festive de la journée du 1er décembre au profit d’une journée de deuil et de prière pour les morts.

L’opposition démocratique, la société civile et même certains membres du gouvernement ont adhéré à la démarche du cardinal. Considérant l’appel du cardinal comme un camouflet, le pouvoir et la majorité présidentielle accusent le cardinal d’ingérence et lui oppose à tort le principe de laïcité.

C’est quoi le principe de laïcité ? Inscrit dans le préambule de la constitution centrafricaine, le principe de laïcité calqué de la loi française de 1905 et issu de la pensée de Jules Ferry institue la séparation juridique des églises et de l’Etat.

La laïcité s’affirme conformément aux dispositions de l’article 10 de la déclaration universelle des droits de l’homme et des citoyens de 1789 qui dispose : "nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses". En d’autres termes, la société civile est le lieu de la coexistence des libertés et l’Etat s’engage à les respecter. Ainsi, la laïcité ne se désintéresse pas des différentes communautés religieuses existantes car il entretient des rapports par le canal du ministère de l’intérieur. En conséquence, la loi sur la laïcité n’est ni pro ni anti religieuse. Elle cherche simplement à garantir la liberté religieuse dans le respect de l’ordre public.

Submergé par la bataille médiatique et la guerre de communiqué entretenu par le chef du gouvernement autour de la leçon de morale du prélat, le citoyen lambda s’interroge :

  • Le cardinal a-t-il tort de réveiller la conscience collective sur la passivité et le non-respect des engagements du gouvernement ?
  • En quoi le discours du cardinal était-il incendiaire, viral et constitue une violation du principe de laïcité ?
  • Pourquoi vouloir nécessairement politiser l’exhortation pacifique du cardinal ?
  • Devrions-nous rester insensible, indifférent aux souffrances de la population et se faire massacrer tous les jours ?
  • Au nom de quel intérêt le pouvoir laisse massacrer son peuple par des extrémistes ?
  • Comment comprendre qu’un pays qui ne vit que de l’aumône internationale ou de la mendicité ne laisse passer aucune occasion festive et surtout budgétivore ?
  • Ne peut-on pas utiliser ce budget pour assister les victimes ?
  • Avec ce gaspillage devenu viral et pandémique comment peut-on être crédible devant nos généreux donateurs ?
  • Au-delà de la polémique stérile, quel est l’organe légitime chargé par la constitution pour assurer la sécurité et la protection de la population ?
  • S’agit-il de l’Etat ou de la MINUSCA qui n’est qu’un instrument mis au service du pouvoir par le conseil de sécurité de l’ONU ?
  • Pour quel mobile l’Etat accuse la MINUSCA de passivité alors qu’il lui appartenait de lui dicter ses besoins ?
  • Dans les États civilisés et respectueux des valeurs morales, les autorités écourtent les voyages ou annulent certains programmes et rendez-vous. Pourquoi cela n’est pas valable pour la Centrafrique ?
  • Pensez-vous qu’un drapeau mis en berne ou décrété des jours de deuil suffisent à panser les plaies béantes ?

 

Au-delà de tout quiproquo, nous tenons à rappeler qu’un président de la République doit être à l’écoute de son peuple.

La manipulation politicienne qui consiste à accuser l’autre comme source de nos problèmes est désormais désuète. Hier on accusait l’ancienne puissance coloniale, aujourd’hui le gouvernement dénonce officiellement la passivité de la MINUSCA. Ce qui suppose et confirme par voie de conséquence que les autorités centrafricaines n’ont aucune responsabilité dans la descente aux enfers du peuple.

N’oublions pas que le pouvoir faisait la promotion et la propagande de la coopération militaire russe en organisant une compétition perdue d’avance entre les russes et les anciens partenaires au développement…le résultat se passe de commentaires nonobstant des virements par erreur de codage au profit de l’Etat centrafricain et bloqué dans le circuit financier.

En guise de conclusion, nous partageons in fine l’appel patriotique du cardinal qui, sans offensé diverses sensibilités est resté dans la mission de l’église qui est celle de proclamer la paix, la justice et la vérité.

Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.

Paris le 30 novembre 2018

Bernard Selemby-Doudou, juriste administrateur des élections