Centrafrique : manipuler, comploter, conspirer, magouiller, manigancer…ces verbes peuvent-ils se conjuger au parlement ?

En attendant l’effectivité du Sénat, l’Assemblée nationale est la chambre monocamerale du parlement centrafricain. Composée de 140 députés élus au suffrage universel direct, la 6e législature de l’Assemblée nationale est présidée par le député du 2e circonscription du 3e arrondissement de Bangui. 

Après plus de deux années d’exercice, la gestion administrative et financière de cette noble institution républicaine est à l’opposé des attentes de la population. Incapable de remplir pleinement le rôle dévolu par la constitution du 30 mars 2016, l’Assemblée nationale se fait remarquer négativement par la recherche incessante des intérêts privés et surtout entretient dans ses rapports avec l’exécutif un climat de tension nuisible aux intérêts du peuple.

C’est dans ce contexte délétère qu’un député hybride, avec un passé controversé profite du séjour médical prolongé du président de l’Assemblée nationale à l’étranger pour tenir des séries de conférences de presse. En substance de ses préoccupations, il réclame la destitution du président de l’Assemblée nationale pour violation des dispositions de l’article 70 de la constitution, de détournement des fonds alloués à l’Assemblée nationale, de passation de gré à gré des marchés publics, de forfaiture et surtout de liens avérés avec les groupes d’autodéfense ainsi que les groupes armés non conventionnels.

La gravité de ces différentes accusations sans preuves nous laisse perplexe et nous oblige à rappeler le contenu de l’article 70 de la constitution qui dispose

"Le président de l’Assemblée nationale peut faire l’objet de procédure de destitution pour manquements aux devoirs de sa charge sur la demande motivée du tiers (1/3) des députés. La destitution n’est prononcée que si le vote recueille la majorité des deux tiers (2/3) des députés composant l’assemblée nationale. L’Assemblée nationale procède alors à l’élection d’un nouveau président dans les trois (3) jours francs qui suivent cette destitution. Le scrutin se déroule à bulletin secret." 

A la lecture de cette disparition constitutionnelle, nous constatons que cette procédure de destitution du président de l’Assemblée nationale est bien encadrée par la constitution et la notion de "manquements aux devoirs de sa charge" bien définie par l’article 12 de la loi organique N1°7 011 du 14 mars 2017 portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Évaluant les risques et les conséquences d’une telle démarche au sein d’une Assemblée nationale déjà fragile et divisée de façon clanique, le citoyen lambda s’interroge :

  • Le député initiateur de cette procédure de destitution du président de l’Assemblée nationale maîtrise t-il la quintessence de la notion de "manquements aux devoirs de sa charge" évoquée comme grief ?
  • Réciproquement, peut-on faire usage de la compréhension de notre célèbre député pour réclamer la destitution du président de la République ainsi que la démission de son gouvernement ?
  • Cette initiative n’est-elle pas de nature à perturber durablement l’ordre républicain ?
  • La réconciliation et le rapprochement au niveau des hommes politiques ne peuvent-ils pas être ébranlés par cette démarche ?
  • Ce député controversé est-il politiquement et moralement apte d’être le porte-flambeau d’une campagne de déstabilisation dont il n’a pas la paternité ?
  • En d’autres termes, le parcours politique malsain de ce député lui permet-il de prendre le bâton de pèlerin et de naviguer en eaux troubles ?
  • En attendant de prouver la culpabilité du président de l’Assemblée nationale qui bénéficie de la présomption d’innocence dans cette procédure, ne peut-on pas commencer à s’attaquer aux fossoyeurs de la République déjà connus comme les chefs des groupes d’auto-défense et des groupes armés ?
  • Cette démarche résulte t-elle d’un règlement de compte personnel entre parlementaires et sans rapport avec des intérêts républicains ?
  • Cette initiative a t-elle une chance d’aboutir sans le soutien du pouvoir ?
  • De peur de taxer négativement les initiatives parlementaires, quel est l’apport de cette procédure à la résolution de la crise actuelle ?
  • Que gagne la nation d’une telle démarche qui ne compromet que les efforts de paix, de cohésion sociale et de la réconciliation nationale?
  • Pourquoi les obsessions de nos hommes politiques sont toujours ailleurs ? 
  • Au regard de ces différentes interrogations, il est important et nécessaire de rappeler que le passé de la Centrafrique est rythmé et cadencé par ces verbes transitifs et intransitifs qui expliquent notre retard par rapport aux autres États africains.

 

Nous remarquons également que les centrafricains passent leur temps à polluer l’environnement politique mais prêt à accuser l’occident d’être la cause de notre malheur. A travers cette étude, nous avons fait sans le vouloir un parallèle avec la situation actuelle du pays : nous sommes en face d’une élection couplée et mal organisée, un président surprise mais élu dans les conditions que nous savons, un président de l’Assemblée nationale élu sur la base de mensonges et de corruption, des députés leader de l’opposition éliminés à la première élection mais repêchés à la deuxième, des bourreaux du peuple élus députés…tous les ingrédients sont réunis pour favoriser le chaos total.

En conséquence de ce qui précède, nous invitons humblement les forces vives de la nation de prôner et de privilégier la réconciliation nationale, la cohésion sociale, le vivre ensemble, de désarmer les cœurs…bref la paix.

Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.

 

Paris le 25 mai 2018

Bernard Selemby-Doudou -  Juriste, administrateur des élections.