Golfe Persique : les forces françaises en opération

Le 11 janvier 2013, la direction générale des services extérieurs -DGSE- lançait un raid pour libérer un de ses agents, Denis Allex, retenu en otage depuis 3 ans 1/2 par des islamistes. Rien n'avait été laissé au hasard, et pourtant ...

Le 5 décembre 2012, le porte-hélicoptères "Mistral" quitte Toulon. Il part pour 4 mois assurer dans le golfe de Guinée la mission "Corymbe", destinée à soutenir, si nécessaire, une opération militaire régionale. Retour prévu en avril 2013. Le 10 décembre 2012 soit 5 jours après le départ et alors que le navire approche de sa destination, un ordre inattendu arrive : demi-tour, direction Toulon. Sans la moindre explication.

Combien de responsables sont-ils dans la confidence ?

A Paris, ils se comptent sans doute sur les doigts d'une seule main. Et personne à bord du "Mistral" n'imagine quoi que ce soit. Sous le sceau du secret le plus absolu, quelques hiérarques apprendront qu'un exercice ultraconfidentiel se prépare dans le golfe Persique, avec l'US Navy. C'est plausible mais c'est faux. La vérité est ailleurs. Depuis quelques jours, la décision a été prise : la DGSE va tenter de libérer par la force son otage Denis Allex (pseudonyme d'un adjudant-chef du service Action), enlevé par des chebab somaliens le 14 juillet 2009.

Il aura fallu 3 ans pour le retrouver mais, au cours de l'été 2012, l'otage est localisé. Il est vivant."On en a la preuve et on a des nouvelles", dit le 13 juillet le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, au micro d'Europe 1, la radio sollicitée par le service pour diffuser un message de l'épouse du prisonnier, repris par RFI. A la caserne du boulevard Mortier, le siège de la DGSE, on a retrouvé l'aiguille dans un champ de bottes de foin. Les services américains, qui ont parfois donné un coup de main à leurs collègues français, ne leur avaient pourtant guère laissé d'espoir, qualifiant leur camarade de "ghost hostage", un fantôme.

Les français ont tout tenté, négocié jusqu'à l'écoeurement avec tous les intermédiaires possibles. Un homme ayant eu connaissance de ce dossier nous confie : "Ils ont parlé avec tous les diables de la terre. Mais les chebab sont des malades mentaux, ils réclamaient des libérations de prisonniers impossibles à satisfaire. La négociation a ses charmes et aussi ses limites."

Les 50 agents qui ont travaillé à temps plein en France et en Afrique pour débusquer leur ami, avec tous les moyens concevables, ont fini par mettre la main dessus. Comment ? Ce secret-là ne sera pas levé de sitôt. Mais ils l'ont bel et bien localisé dans une première maison. Puis dans une autre. Et enfin, à la fin de l'été, dans une troisième, à Bulo Marer, à 110 kilomètres au sud-ouest de la capitale, Mogadiscio.

Aucun indice ne permet pourtant de repérer sa présence dans ce village. Allex est détenu dans une petite maison sans étage, construite en pisé et recouverte de tôle ondulée. La porte donne sur une cour carrée et l'ensemble est entouré de murs aveugles le rendant invisible de l'extérieur. A l'opposé de la maison, une cuisine a été aménagée dans un angle, des latrines dans l'autre. Une grande porte donnant sur la rue n'est que rarement entrebâillée, le temps qu'un geôlier récupère la nourriture apportée de l'extérieur par un adolescent.

Les français sont sur les dents. Ils ont tout vérifié, tout contrôlé : pas de doute, Allex est là. Il vit un calvaire, les fers aux pieds, ne pouvant faire quelques pas dans la cour qu'à la nuit tombée. La population alentour est dans l'ignorance absolue de sa présence. Ses camarades envisagent tous les moyens possibles pour le sortir de cet enfer. Des agents du service se rendent sur place pour faire des repérages. Une maison strictement identique à la prison dans laquelle Allex est détenu fait l'objet d'une visite. A moins de 300 mètres, ils pourraient presque le toucher !

Le ministre de la Défense est averti. C'est lui qui va demander à François Hollande s'il accepte qu'une "exfiltration militaire" soit organisée. C'est oui. Quant à l'épouse de Denis Allex, elle savait que tout serait tenté. Du côté des décideurs, trois hommes sont aux manettes qui s'apprécient et sont en confiance : le directeur de la DGSE, le préfet Erard Corbin de Mangoux, le directeur de cabinet du ministre de la Défense, Cédric Lewandowski, et le ministre lui-même, Jean-Yves Le Drian. Le chef d'état-major des armées, l'amiral Edouard Guillaud, est dans le secret et fournira tous les moyens humains et matériels demandés par la DGSE, sans exception.

A la citadelle de Perpignan, qui abrite le centre parachutiste d'instruction spécialisée du service Action -ancien-11e Choc-, auquel était affecté Denis Allex, c'est l'effervescence. Avant d'aller l'arracher à sa geôle, les paras doivent se préparer pour le jour fatidique dont ils ne connaissent très tôt qu'une seule chose : la date, le 11 janvier 2013, et l'heure, après minuit. Au moment le plus noir de la nuit la plus sombre, celle de la nouvelle lune. Pour préparer l'assaut, ils vont reconstruire, grandeur nature, la prison de leur copain. Les murs, la cour, le portail, la maison et sa carapace de tôle. Le tout en 3 exemplaires, le dernier étant monté dans l'énorme radier du "Mistral".

Le navire qui se dirige vers le canal de Suez a embarqué les 2 hélicoptères Caracal du service Action, plus deux autres appartenant au commandement des opérations spéciales, qui a également requis 2 hélicoptères de combat Tigre. Mais l'équipage du "Mistral" ne sait toujours rien. Des parties entières du bâtiment lui sont interdites d'accès. Depuis fin décembre, il est placé en position "Incon rouge" : les téléphones du bord, les liaisons Internet sont coupés. A Toulon, les épouses fulminent contre ce Noël sans nouvelles.

Des médecins sont arrivés et prennent possession de l'hôpital de bord. L'état-major de l'opération s'est installé dans des locaux de commandement particuliers - le bateau est équipé pour ça - et sont en liaison permanente avec le Centre de planification et de conduite des opérations, situé dans la "cuve" de l'état-major des armées, à Paris. C'est la première fois qu'une opération aussi considérable, aussi complexe, aussi secrète, aussi coordonnée avec les armées est lancée par les services secrets français. Tout est étudié, décortiqué, calculé, sauf le budget. Personne ne s'est préoccupé des finances, sinon pour dire qu'elles ne seront pas un problème. Les dernières répétitions ont lieu dans le désert de Djibouti : entraînement aux approches par la mer, tests des hélicos afin de s'assurer qu'à l'endroit prévu pour leur atterrissage les ravisseurs ne pourront les entendre.

Début janvier 2013, une semaine avant l'opération, le ministre de la Défense et le chef des services secrets se rendent ensemble chez le président. François Hollande approuve le plan de bataille mais réserve sa décision. Son feu vert n'arrivera que la veille de "l'action finale". Et celui d'Erard Corbin de Mangoux, 4 heures avant son déclenchement. Vers minuit, la quarantaine d'hommes qui vont mener l'assaut grimpent à bord des Caracal. Ils sont déposés à 9 kilomètres de Bulo Marer et vont progresser en silence durant plus de 3 heures. A Paris, les autorités politiques sont tenues au courant par téléphone et sont extrêmement tendues : dans l'après-midi, elles ont déclenché une seconde opération, au Mali, et un pilote d'hélicoptère, Damien Boiteux, vient d'être tué.

A Bulo Marer, le point de non-retour est franchi. Tout se passe sans anicroche dans un silence de mort. Les hélicos sont aux aguets, pas très loin. En outre, l'Oncle Sam a fait une fleur aux français, comme Barack Obama en personne en avertira le Congrès américain deux jours plus tard, révélant que "des avions de combat des Etats-Unis sont entrés brièvement dans l'espace aérien somalien pour soutenir l'opération de sauvetage, si nécessaire". A notre connaissance, il s'agissait entre autres d'un avion de relais radio et, peut-être, d'un gunship Hercules AC-130. Ce soutien avait été négocié au plus haut niveau entre Paris et Washington.

Les hommes du service Action n'ont toujours pas été repérés et sont tout près de la maison. C'est alors que le pépin survient. Au dernier moment, un homme qui n'avait pas été repéré se réveille en hurlant. Pas longtemps, car il est immédiatement abattu avec une arme munie d'un silencieux, mais l'alerte est donnée, l'effet de surprise anéanti.

En moins de 10 secondes, un sergent-chef de 40 ans, originaire de Cholet, parvient néanmoins à plaquer une échelle télescopique contre le mur. Il saute dans la cour avant de se précipiter vers le portail pour l'ouvrir afin de laisser entrer le reste du commando. Il n'y parviendra pas car il est tué. Le malheureux avait décidé de prolonger son contrat à la DGSE pour pouvoir tirer son camarade des griffes des chebab.

C'est alors que 4 coups de feu claquent à l'intérieur de la maison. Denis Allex est mort. S'ensuit une véritable bataille, les gardiens faisant usage d'armes de gros calibre alors que les renseignements faisaient seulement état de kalachnikovs. Et des renforts arrivent. Les hélicoptères interviennent et tirent pour protéger les agents français, contraints de repartir en laissant deux des leurs sur le terrain ; un drame dont ils ne sont pas près de se remettre. D'autant qu'un officier, le capitaine Patrice Rebout, grièvement blessé, décède à bord du "Mistral". 3 autres agents gravement blessés sont arrachés à la mort par les chirurgiens du bateau. Les chebab, eux, ont perdu 17 hommes. 15 autres seront victimes de règlements de comptes internes dès le lendemain.Photo 1

Les victimes @fsf

L'agent Denis Allex a été abattu par ses ravisseurs, le capitaine Patrice Rebout et un troisième agent dont le nom n'a pas été révélé sont décédés au cours de cette mission.

N'oublions jamais leur sacrifice !

Le 9 janvier 2018

FSF

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