Le billet d'Arsène : "poète reventicatif !"

""Il s’est comporté en poète revendicatif.
On aurait aimé entendre sa vision stratégique et capacitaire plus que ses commentaires budgétaires".

 
Le premier mot qui surgit après la démission de notre CEMA est l’humiliation. Il ne s’agit pas de remettre en cause le général Lecointre. Sa personnalité est irréprochable, son parcours exemplaire, son idée de la France et de son armée incontestable. Mais comment ne pas se sentir humilié après cet épisode ? Accuser publiquement le CEMA de ne pas respecter son devoir de réserve est une vexation inutile. Dois-je rappeler que cette attaque fait suite à l’audition, à huit clos (c’est-à-dire portes et micros fermés, y compris pour les parlementaires !) du CEMA devant la commission de l’Assemblée nationale. Le général d’Armée Pierre de Villiers a aussi été major général (2010/2014), où il a accompagné, avec loyauté, l'élaboration de la loi de programmation militaire 2014-2019. Les représentants de la Nation ne doivent-ils pas être informés de la réalité de la situation avant de préparer, décider, voter et délivrer le budget ? 
 
Le CEMA "veille également au respect de la cohérence capacitaire dans l’exécution de la programmation militaire" et "propose au ministre les investissements nécessaires à la constitution des forces, à la préparation opérationnelle, à l’emploi et au soutien des armées, en veillant à leur cohérence physico-financière. 15".
15 Code de la défense Article D3121-9  
Il est nécessaire de préserver la cohérence entre les menaces, les missions et les moyens à l'heure où la France est engagée tous azimuts contre le terrorisme, du Sahel (Barkhane) au Moyen-Orient (Chammal) en passant par le territoire national (Sentinelle). Les budgets de fonctionnement sont évidemment très difficiles à modifier. La France n’est pas encore la Grèce. C’est le budget d’investissement qui est touché. On en revient à l’armée, fameuse variable d’ajustement, ce qui est absolument très dommageable et qui est le choix du président. Le rôle du CEMA est bien de veiller à cette cohérence. 

Le premier impact de la crise est évidemment militaire. Même si le nouveau chef d’État-major, le général François Lecointre, nommé par Emmanuel Macron fait l’unanimité, le président va devoir retisser le lien de confiance avec l’armée. En effet, c’est une véritable humiliation qu’aura servi le président français au général de Villiers en l’accusant, à toutes fins pratiques, publiquement d’avoir abandonné son devoir de réserve. "Je considère qu’il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique. J’ai pris des engagements. Je suis votre chef". Cette critique présidentielle est survenue suite à la comparution, à huis clos, du général devant la commission défense de l’Assemblée nationale. Autrement dit, même si le général est tenu à un devoir de réserve, celui-ci ne l’empêche pas de s’exprimer librement, à huis clos, devant les représentants du peuple, représentants en charge, notamment, de voter les budgets militaires. Un haut fonctionnaire, technicien reconnu, se doit d’éclairer le politique.                                                      
 
Dans sa démission le général de Villiers explique qu'il considère "ne plus être en mesure d'assurer la pérennité du modèle d'armée auquel (il) croit pour garantir la protection de la France et des Français, aujourd'hui et demain, et soutenir les ambitions de notre pays". Le président est le chef des armées. Aucun CEMA ou chef d’état-major n’a exprimé le moindre doute là-dessus, mais c’est un civil. Il est donc évident qu’il doit être conseillé et qu’il doit recueillir les avis des personnes reconnues compétentes. Cela n’induit pas qu’il soit obligé de suivre les recommandations de ses conseillers, mais du moins, il doit laisser leur parole libre afin de disposer pour sa réflexion d’une matière brute, la plus libre possible, sinon, il n’aura que des courtisans autour de lui.
 
Le second impact est que la relation de confiance entre le Président et son armée est rompue. Il est cependant évident, certain même, que les missions seront poursuivies, qu’aucun appel à la dissidence ne peut même germer dans nos têtes. Néanmoins, il est flagrant que nous briderons nos esprits si nous sommes interrogés. Les points de situation vont être désormais très sympathique : "Mon général, conformément à la directive Jupiter, je vous rends compte que tout va bien. Contrairement à la rumeur, l’adversaire ne nous a pas attaqué, les troupes ont un bon moral et nous disposons en nombre d’un excellent matériel ! A la limite, nous pourrions revendre deux-trois Caesar, et une dizaine de Rafale, histoire d’annuler la diminution des 5 euros d’allocation logement pour nos concitoyens". Pour renouer cette confiance, il faudra du temps et des preuves d’amour ! Nous sommes bien au-delà de nos capacités d’engagement. La preuve sera soit une diminution de l’engagement, soit la possibilité de remonter réellement et durablement dans les capacités des armées, avant le burn-out ou le nervous breakdown comme on dit de nos jours  !
 
Il ne s’agit pas de défendre un ministère, des droits acquis, des conditions de travail. Il ne s’agit pas d’envoyer un poids lourd politique croiser le fer avec Bercy. Nous ne sommes ni des syndicalistes, ni des poètes revendicatifs. Nous souhaiterions juste que les histers nous permettent encore de réfléchir, de penser, de parler et d’informer notre nation que les français roulent dans des VAB plus vieux qu’eux, sans climatisation, s’absentent des dizaines de jours par an, n’ont plus le temps de s’entrainer, et ne sont pas assez nombreux pour tout faire.
 

 
"Je lègue à l’avenir l’histoire de Guillaume Apollinaire
Qui fut à la guerre et sut être partout
Dans les villes heureuses de l’arrière
Dans ceux qui meurent en piétinant dans le barbelé
Dans les femmes dans les canons dans les chevaux
Au zénith au nadir aux 4 points cardinaux
Et dans l’unique ardeur de cette veillée d’armes.16"
                                                    
 16 Guillaume Apollinaire, Calligrammes, Œuvres poétiques, p. 272.