Les années Patassé 2/3 : 1998 à 2001 pragmatisme et apaisement dans un contexte social et politique très compliqué

Par Thierry Simbi

La MINURCA prend le relai de la MISAB et de la France.

Engagée dans une réforme de son armée, la France abandonne la conscription et passe à une armée de métier. Paris décide de réduire ses effectifs militaires sur le continent africain et supprime ses bases à Bouar et à Bangui. Le 31 juillet 1997, le ministre français de la Défense, le socialiste Alain Richard, se déplace à Bangui pour annoncer à Ange-Félix Patassé "l’opération Cigogne" entérinant ce retrait des forces françaises dans les douze mois.

Après des décennies de présence française, le pays perd son rôle de plaque tournante des opérations militaires françaises en Afrique centrale au profit du Tchad, dont le régime d’Idriss Déby, mis en place avec le concours des services secrets français, incarne mieux le désir de stabilité souhaitée par la diplomatie française. La base de Bouar est fermée début décembre 1997, le gros des forces des forces françaises quitte Bangui au printemps 1998.

Dans la foulée, Paris s’active à l’ONU pour transformer MISAB en une force de maintien de la paix sous le commandement de l’organisation internationale. C’est chose faite le 27 mars 1998 avec le vote de la résolution 1159 qui autorise le déploiement de 1 350 hommes au sein d’une Mission des Nations Unies en RCA -MINURCA- à partir du 15 avril 1998. Les troupes de la MISAB restent sur place mais changent la couleur de leur casque.

La MINURCA est notamment chargée de récupérer les armes en circulation, de former et de restructurer les forces de police. Initialement prévue pour durer trois mois mais la MINURCA restera finalement en place jusqu’en février 2000, date à laquelle l'ONU met fin à son mandat et le remplace par le Bureau d'observation des Nations-unies au Centrafrique -BONUCA-, chargé de l'appui et de la consolidation des efforts de paix.

Les élections législatives de novembre - décembre 1998

Ces élections législatives, dont le 1er tour a été fixé au 22 novembre et le 2e tour au 13 décembre, de l’année 1998 interviennent au terme du mandat de 5 ans des membres de l’Assemblée nationale, pour élire 109 nouveaux députés, au suffrage universel direct.

Après les différents soubresauts politico-militaires et le contexte de grèves chroniques dues aux arriérés de salaire, un Pacte de réconciliation nationale est adopté en mars 1998. Ces législatives représentent pour le parti MLPC au pouvoir l'occasion de constituer une nouvelle majorité et mettre enfin en exécution son programme politique.

Pour l'opposition par contre, ces scrutins sont l'occasion d'influencer la future législature afin de permettre la réforme constitutionnelle pour limiter le pouvoir du président au profit de celui du premier ministre. L’opposition s’est réunie au sein de l'Union des Forces Acquises à la Paix -UFAP-.

Les résultats du 2e tour donnent dans un premier temps, la majorité à l'opposition avec 55 sièges. Mais l'UFAP va vite se fissurer et ceci à cause à du ralliement au parti au pouvoir de 5 députés indépendants et du transfuge d'un député du PSD, monsieur Dieudonné Koudoufara au lendemain de la proclamation des élections. Le parti MLPC allait se retrouver avec 55 députés sur 109. Abel Goumba, leader de l’opposition, témoignera l'élu de son parti s’est vu offrir 15 millions de Fcfa en échange de son basculement dans le camp présidentiel.

Le gouvernement d’action et de promotion de la démocratie : 4 janvier 1999 - 15 avril 2000.

Nommé premier ministre après les élections législatives, Anicet-Georges Dologuélé, ancien ministre des finances dans le précédent gouvernement, a pour atouts sa jeunesse 42 ans, son profil de technocrate issu de la banque centrale et la confiance du président. Mais en plus des membres de l’opposition qui ne lui feront aucun cadeau, M. Dologuélé devra affronter le rejet du MLPC dont il n’est pas officiellement membre. Cette nomination intervient dans un contexte de mouvements de grève chroniques à cause des arriérés de salaire.

Le 15 janvier, le gouvernement est formé avec notamment des ministres issus des rangs du MDD, parti de Dacko Dacko alors dans l’opposition. Le premier ministre fait son discours programme le 30 janvier 1999 à l’Assemblée nationale. La mission principale de son gouvernement est avant tout la préparation des élections présidentielles d’octobre 1999, soit dans un horizon d’un an, mais le nouveau premier ministre s’engage aussi sur plusieurs autres points. Il insiste notamment sur une réforme fiscale en baissant sensiblement certains impôts pour attirer de nouveaux investisseurs, en élargissant la base fiscale afin de créer les conditions d’insertion du secteur informel, le paiement régulier et à terme échu des agents de l’Etat ainsi que la résorption des arriérés de pensions et de bourse.

Il veut clarifier les relations entre les bureaux d’achat de diamants et les sociétés minières pour augmenter la part des recettes revenant à l’Etat. Il s’engage à relancer le processus de désengagement de l’Etat du secteur productif en privatisant 7 entreprises publiques ou parapubliques -Pétroca, Enerca, Imprimerie centrafricaine, Sofitel, Hôtel du Centre, BARC, SEGA, Socatel-. Le premier ministre définit de grands chantiers allant de la restauration de l’autorité de l’Etat à l’amélioration du cadre de vie des centrafricains. Les principaux chantiers annoncés sont :

  • La résorption partielle ou totale des arriérés de salaires de 1998 grâce à la relance de l’économie synthétisée dans le document cadre de politique économique 1998-2000 arrêté avec le FMI et la Banque mondiale,
  • La restructuration des FACA pour en faire une armée républicaine, moderne et pluriethnique,
  • Le démantèlement des nombreuses barrières routières illégales qui ruinent les commerçants,
  • Le parachèvement de la révision du statut général de la fonction publique, suivi d’un forum sur l’emploi,
  • La relance de l’économie qui est la priorité du nouveau premier ministre doit permettre à moyen terme de créer des conditions favorables à la réduction de la pauvreté en mettant l’accent sur la santé et l’éducation. 

 

Le nouveau gouvernement entend par ailleurs mener une lutte sans merci contre la fraude. A cet effet, il entend élaborer une loi de finances 1999 rigoureuse et sociale dont les mesures novatrices porteront sur :

  • Une baisse sensible de certains impôts notamment fonciers en vue de relancer l’immobilier et de favoriser l’accès au logement, 
  • La suppression des prélèvements opérés sur les pensions des retraités, 
  • L’organisation des états généraux de l’économie et des finances en mai 1999,
  • L’organisation d’une table ronde des bailleurs de fonds en juin 1999.

 

En juin 1999, un premier test survient pour le nouveau gouvernement, source de tous les dangers, lorsque des milliers d’hommes de l’armée de la République Démocratique du Congo mis en déroute dans la région de Gbadolité par l’avancée du Mouvement de libération du Congo de Jean-Pierre Bemba arrivent dans le Sud-Est du pays. L'événement est géré avec tact et diplomatie par le nouveau gouvernement.

Les élections de 1999 et les défis du gouvernement.

La campagne présidentielle débute le 30 août 1999. Le 31 août, les parti d’opposition s’engagent à soutenir le candidat le mieux positionné au second tour face à Patassé. Le 12 septembre, quelques heures avant le début du vote, le premier tour est reporté à cause de difficultés techniques.

Les élections présidentielles du 19 septembre 1999, organisées dans un contexte de tension politique sont remportées dès le 1er tour par le président Ange-Félix Patassé, avec 51,63 % des voix, devant :

  • André Kolingba RDC - 19.38%,
  • David Dacko MDD -11.15%,
  • Abel Goumba FPP - 6.06%,
  • Henri Pouzère 4.19%,
  • Jean-Paul Ngoupandé PUN - 3.14%,
  • Enoch Derant-Lakoué PSD - 1.33%,
  • Charles Massi FODEM - 1.31%,
  • Fidèle Gouandjika 0.94%,
  • Joseph Abossolo 0.86%.

 

Le 26 octobre 1999, Anicet-Georges Dologuélé est reconduit au poste de premier ministre pour mener à bien le programme présenté à l’Assemblée nationale en début d’année mais les défis sont nombreux. L’économie est entrée dans une phase de ralentissement due à la crise cotonnière et caféière, à la baisse de la production de manioc et à l’effet récessif du dernier choc pétrolier.

Malgré ces difficultés, le gouvernement de M. Dologuélé va réussir des avancées importantes avec notamment l’introduction de la TVA comme impôt indirect dans la loi de finances adoptée en février 2000, la privatisation de Pétroca -reprise par le groupe Total-, celle de l'Union Bancaire en Afrique Centrale -UBAC- qui deviendra de la Commercial Bank Centrafrique -CBCA-, la recapitalisation de la Banque Populaire Maroco-Centrafricaine -BPMC-, la réforme de la filière coton avec la mise en place d’un système de fixation des prix aux producteurs, la suppression des subventions aux entrants, la mise ne œuvre des nouveaux statuts de fonction publique, instituant un système sélectif d’avancements fondé sur le mérite et de nouveaux plans de carrière.

Par ailleurs, le gouvernement Dologuélé entreprendra une démarche volontaire de promotion d’infrastructures culturelles, sportives et touristiques, avec notamment la construction du monument des Martyrs, le lancement du chantier du Stade des 20 000 places et de l’Hôtel Ledger Plaza. Notons aussi la création en ce sens d’un ministère des Edifices Publics, dont la première mission a été de réparer les nombreux dégâts physiques causés par les mutineries des années 1996 et 1997 sur les bâtiments publics et sur certains commerces situés au centre-ville de Bangui.

Ce gouvernement par ailleurs dû manœuvrer dans un environnement politique très compliqué. Dès sa reconduction, une note de novembre 1999 est rédigée à l’attention du chef de l’Etat, le MLPC -qui reproche au premier ministre de l’avoir écarté des affaires-, les partis alliés et les personnalités indépendantes ayant formé l'ancienne "majorité présidentielle" manifestent leur opposition au nouveau gouvernement Dologuélé. En plus de cette opposition de son propre camp, le nouveau gouvernement devra affronter une crise sociale de grande ampleur, récupérée par une opposition virulente qui n’a pas digéré ses derniers revers électoraux.

Les difficultés rencontrées par l’économie centrafricaine sont amplifiées par le renchérissement des coûts de transport du carburant consécutif à l’arrêt de la navigation sur le Congo-Oubangui depuis que la République Démocratique du Congo a organisé un véritable blocus de la navigation fluviale -en rétorsion au soutien du Président Patassé au leader du MLC de Jean-Pierre Bemba-, obligeant le pays à s’approvisionner en carburant depuis Douala par voie routière. Le contexte social et politique est délétère lorsque le pays traverse grave crise économique due à une pénurie de carburant, une grève générale déclenchée par les syndicats de la fonction publique pour réclamer le paiement immédiat des arriérés de salaire paralysant toutes les activités et une opposition radicalisée regroupée au sein des Forces Acquises à la Paix -UFAP-.

Le 16 avril, suite au dépôt d’une motion de censure déposée par 45 députés -sur 109 députés au total- et repoussée, le premier ministre centrafricain procédera à un remaniement partiel de son gouvernement en nommant notamment au ministère de la justice d'un magistrat, Antoine Grothe, qui remplace Denis Wangao Kizimalé.

Le gouvernement de la renaissance : 16 avril 2000 - 31 mars 2001 confronté à la pénurie de carburant et aux grèves de de la fonction publique.

Au cours de l’été 2000, alors que la pénurie de carburant bat son plein, le Conseil de sécurité de l’ONU se dit "satisfait des progrès réalisés dans la mise en œuvre des accords de Bangui et du pacte de réconciliation national". Les Nations-unies critiquent aussi les exécutions sommaires de délinquants par la police qui peuvent avoir lieu à Bangui. Ces exécutions, cautionnées par une grande partie de la population au nom de la lutte contre l’insécurité, sont menées via l’office central de répression du banditisme -OCRB- créé en 1997 et dirigé par le redouté et populaire commissaire divisionnaire Louis Mazangue qui affirme ne "prévenir qu’une fois" les délinquants.

A la rentrée, les syndicats annoncent que si au moins 12 mois d’arriérés de salaire ne sont pas immédiatement soient payés, ils prendront des mesures de large ampleur. Le début de l’année scolaire pour l’école primaire et secondaire est même reporté. Le président Patassé promettra 10 millions de dollars de sa caisse personnelle pour prendre en charge les arriérés de salaire mais les leaders de 6 syndicats déclarent que les promesses du président n’altéreront pas leurs positions. A partir de début novembre, la grève prend de l’ampleur.

Le 24 novembre, en dépit d’une interdiction de dernière minute de la part du ministre de l’intérieur, une marche de prestation de plusieurs milliers de fonctionnaires a lieu. En décembre, l’opération Centrafrique pays mort, organisée par les syndicats et appuyée par les partis politiques d’opposition paralyse le pays. Les fonctionnaires en grève depuis plus d'un mois réclament toujours le paiement immédiat de 12 mois d'arriérés de salaires. Le premier ministre avance toutefois la nécessité d'un compromis entre syndicats et gouvernement avec un paiement des salaires selon un échéancier dans le temps.

Suite à la grève de décembre, le Président fera procéder au remplacement de Maurice Regonessa par Théodore Bikoo -Parti libéral démocrate, membre la majorité présidentielle- tandis qu'un nouveau poste de secrétaire d'Etat à l'Intérieur, chargé de la Sécurité publique, est confié à Robert Zana -ancien régime Bokassa, sous lequel il a dirigé la police et été ministre de l'intérieur-. Regonessa a fait les frais de sa décision d'interdire trop tardivement la marche de protestation des fonctionnaires en grève prévue le 24 décembre, qu'il avait autorisée plus tôt dans la journée.

Le 30 décembre, le conseil de sécurité de l’ONU adopte un rapport présenté par le secrétaire général de l’ONU Kofi Annan lequel met en lumière ses préoccupations quant à la persistance de la grève du secteur public et les conséquences de la guerre au Congo.

Le 11 janvier 2001, après d’intenses discussions, le FMI et la RCA trouvent un accord pour un prêt de 10 millions de dollars dans le cadre de la 1re tranche de la "2e année" de la facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance -FRPC-. Soulignons l’importance de l’action du premier ministre qui a permis de renouer les liens avec le Fond Monétaire International après des années d'absence pour apurer les arriérés de dette héritées des années précédentes.

M. Dologuélé commence à prendre une réelle envergure et alors que son potentiel politique commence à susciter méfiance en hauts lieux. La grève générale déclenchée par les syndicats de la fonction publique donnera l’occasion au chef de l’Etat de s’en séparer bien qu’il eut négocié une trêve avec les syndicats sous l’égide de l’archevêque de Bangui, Monseigneur Joachim Ndayen. Il est à noter que cette grève généralisée a été gérée avec sagesse et sans violence. Cette trêve est intervenue à l’issue du paiement en une seule fois de plusieurs mois de salaires suite aux efforts déployés auprès des bailleurs de fonds internationaux.

Jean-Marc Simon, ambassadeur de France en République centrafricaine en place à cette époque écrira dans son ouvrage -Secrets d’Afrique - Le témoignage d’un ambassadeur- les mots suivants : "le premier ministre, qui avait pourtant entrepris courageusement de redresser la situation économique et était sur le point de réussir, est alors soumis aux attaques de la mouvance présidentielle dont il devient le bouc émissaire. Il est menacé d’une motion de censure et se voit contester par le président lui-même.

Le 1er avril 2001, il est remplacé par Martin Ziguélé, un cadre du secteur privé, établi au Bénin et jusque - là méconnu sur la scène politique centrafricaine."

Le bilan de ces années sans violence -et cela dans une période économiquement et politiquement très compliquée- aura permis de lancer des réformes importantes tout en maintenant ouvert le dialogue social et en renouant le contact avec les bailleurs de fonds internationaux.

A suivre.... 2/3

Le 11 juin 2017

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