Les années Patassé 3/3 le raidissement avant la chute 1er avril 2001 - 15 mars 2003

Par Thierry Simbi

Le 1er avril 2001, le président Patassé, qui souhaite reprendre la main, remplace le premier ministre Anicet-Georges Dologuélé, qui bénéficiait d’une certaine confiance auprès des bailleurs de fonds, par Martin Ziguélé, cadre du secteur privé. Ancien fonctionnaire de la Compagnie Interafricaine Commune de Réassurance des Etats membres -CICARE- à Lomé capitale du Togo, M. Ziguélé est alors détaché pour être nommé directeur national de la BEAC à Bangui. Mais, après une formation sur quelques mois, il ne pourra exercer que quelques jours avant d’être promu premier ministre. Contrairement à son prédécesseur, M. Ziguélé est membre du MLPC dont il fut responsable de la section Togo.

La situation du pays est alors critique sur les plans économique, social et politique. M Ziguélé est le chef d’un gouvernement appelé "gouvernement d’action et de combat."  Pourquoi le terme de "gouvernement de combat"? Etait-ce une prémonition des évènements qui allaient secouer le pays ?

Moins de deux mois après sa nomination, M. Ziguélé sera confronté à la tentative de coup d’Etat du 28 mai 2001 qui fera entrer le régime dans une phase de raidissement se traduira par un isolement croissant du pouvoir tant sur la scène nationale qu’à l’international. Il devra gérer une majeure partie de ses quasi deux années de gouvernement à gérer une situation proche d’une guerre civile.

28 mai : Pendant la nuit, une cinquantaine d'éléments lourdement armés -dont certains ont pris part aux mutineries de 1997, notamment le commandant Anicet Saulet- prennent le camp Kassaï et attaquent la résidence du président Patassé défendue par la garde dirigée par le colonel Bombayaké. La tentative de coup d’Etat tourne court avant l’aube. Il en résulte une vingtaine de morts et l’attaque est repoussée. Les assaillants se replient dans les quartiers du sud est de la capitale et au camp Kassaï où les combats se poursuivront. Sur leur route, ils attaquent l’émetteur de la radio nationale à Bimbo et le camp de Roux, libérant le général Lucien Guillaume Ndjengbot qui exécutait une peine de 10 ans pour avoir ordonné à ses hommes de faire feu sur la foule pendant la campagne présidentielle de 1992. Le secrétaire général de l’ONU condamne cette tentative de coup d’Etat.

29 mai : sous le comandement du chef de l’Etat-major François Bozizé, la contre-offensive commence. Le camp Kassaï est repris, puis reperdu. On observe d’importants déplacements de populations qui fuient les combats.

30 mai : depuis Zongo, entre 150 et 200 miliciens du Mouvement de libération du Congo -MLC- du rebelle Jean-Pierre Bemba tenant la région frontalière de l’équateur en RDC se déploient le long de l’Oubangui pour empêcher la fuite des putschistes par le fleuve. 2 Tupolevs libyens attérissent à Bangui M’Poko pour fournir des véhicules blindés légéers et 100 hommes destinés à soutenir la garde rapprochée de Patassé.

31 mai : l’ancien président Kolingba est déclassé au rang de soldat de deuxième classe -de même que le général Ndjengbot, le colonel Gamba, le lieutenant-colonel Guy-Serge Kolingba et le commandant Saulet- et prend la fuite après avoir demandé aux mutins de déposer les armes.

1er juin : Fort de ses soutiens de Libye et du MLC, Patassé lance une vaste contre-offensive sur les quartiers sud-est de la capitale, faisant au moins 300 morts et des dizaines de milliers de déplacés. Les quartiers de Ouango, Kassaï, Ngaraba, font notamment les frais d’une politique de terreur subissant exécutions, viols, destructions d’habitations et pillages. Un membre de l’opposition, le député Théophile Toumba est décapité. La télévision nationale diffuse des images des caisses d’armes françaises découvertes chez Kolingba et le pouvoir accuse à mots plus ou moins couverts l’ambassadeur d’avoir soutenu le coup d’État.

7 juin : le ministre de la Défense Jean-Jacques Demafouth annonce que toute la capitale est sous le contrôle de l’armée loyaliste.

11 juin : une commission nationale d’enquête est créée pour investiguer sur la tentative de coup d’Etat du 28 mai. Composée de 11 membres, cette Commission d’Enquête Judiciaire est présidée par le procureur général Joseph Bindoumi et doit remettre dans les 3 mois un rapport à la Cour du tribunal militaire permanent en charge de juger les centaines de personnes emprisonnées depuis la création de la commission et les rebelles en fuite.

22 juin : le gouvernement présente à la communauté internationale "un plan d’action minimale pour la relance socio-économique" de 55 milliards de Fcfa , qui ne rencontre qu’un écho très limité dans le contexte que connaît la RCA.

5 au 22 juillet : une mission de la fédération internationale des droits de l’homme visite Bangui pour investiguer sur la violation des droits humains durant cette tentative de coup d’Etat, avec une attention particulière portée sur les victimes de la repression à cause de leur appartenance ethnique.

5 juillet : Le secrétaire général des Nations-Unies Kofi Annan, dans un rapport au Conseil de sécurité demande un soutien financier d’urgence pour la RCA. Il se réfère à la tentative de coup d’Etat du 28 mai indiquant qu’un soutien financier favorisera un dialogue politique national et une réconiciliation.

17 juillet : la frontière RCA-RDC est fermée.

25 août : la garde présidentielle arrête le ministre de la Défense Jean-Jacques Demafouth qui est placé en détention sur la base d’une conversation qui aurait été interceptée le 26 juillet dans laquelle Jean-Jacques Demafouth aurait demandé à Bemba 600 hommes pour "l’aider à prendre le pouvoir". M. Poloko, ancien conseiller du président Patassé, est arrêté et placé en détention par les autorités centrafricaines qui lui reprochent d'être "proche des milieux hostiles au chef de l'Etat".

30 août : une attaque terroriste dans Bangui provoque la mort de l’ambassadeur de Libye en RCA, cela quelques heures avant une visite de Patassé en Libye. Le ministre de l'intérieur, Théodore Bikoo est limogé.

13 septembre : sur ordre du ministre de la justice Marcel Métifera, la commission d’enquête nationale est étendue jusqu’au 11 décembre.

10 octobre : signature avec le FMI à Washington d’accord de programme intérimaire de 6 mois qui, par nature, n’autorise aucun versement jusqu’à son échéance. La RCA accepte de respecter les objectifs fixés par ce budget en diminution de 31% par rapport au budget de l’année 2000. En échange, la Banque mondiale paiera les 15 millions de dollars + 2,4 millions de dollars de soutien au pays pour faire face à la sitution post-conflit. De plus, la BEAC accordera en avance les 3,5 milliards de Fcfa de sommes dues à la location de la base d’attérisage de M’Poko par les Nations-Unies pour la mission qui sera menée au Congo.

18 octobre : Patassé dissoud la coordination nationale du bureau du MLPC suspectant certains d’entre eux, étant compromis lors du coup d’Etat manqué du 28 mai.

27 octobre : le chef d’Etat-major Bozizé est renvoyé et remplacé par son assistant le colonel Ernest Bété.

2 novembre : Patassé envoie la troupe, soutenue par les soldats libyens pour mettre Bozizé aux arrêts. Il se heurte à une forte résistance. Bozizé se retranche dans sa résidence pendant 4 jours avant de prendre la fuite direction le Tchad qui devient la base arrière de la rébellion. De Bangui, les combats se déplacent vers le nord-ouest du pays, les rebelles prennent les villes de Kabo et de Batangafo. Le soutien apporté à Bozizé par une partie de l’armée et des milices nordistes "Karakos", accentuera l’isolement croissant du pouvoir en place. Sous pression, Patassé va plus s’appuyer sur l’aide de la Libye mais aussi sur celle du Soudan.

3 décembre : sommet de Khartoum au Soudan pour tenter une médiation entre le Centrafrique et le Tchad, soutien des rebelles. Il y est décidé la mise en place d’une force de maintien de la paix mais surtout l’instauration d’un comité politique présidé par le Soudan visant à ramener le calme en RCA. Ces mesures vont à l’encontre des jeux d’influences en vigueur, les crises centrafricaines se gérant habituellement au sein du " système françafricain", avec des décisions prises à Paris et mises en œuvre par un relais africain, en l’occurrence Omar Bongo. Celui-ci voit d’ailleurs clairement que la situation lui échappe.

4 décembre : sommet de Libreville, en présence d’Idriss Déby-Itno, de Denis Sassou-Nguesso et d'Ange-Félix Patassé pour discuter des mêmes sujets qu’à Khartoum en proposant les mêmes solutions qui traduit de la volonté de Bongo de reprendre la main dans la résolution de cette crise.

Janvier 2002 : l’OUA décide d’envoyer une mission de maintien de la paix en RCA alors que le général François Bozizé lance depuis la frontière tchadienne une attaque.

19 février : Le bras de fer diplomatique est dans un premier temps gagné par l’axe Tripoli-Khartoum, la sécurité de Patassé se renforçant de soldats soudanais qui arrivent à Bangui comme soutien militaire de la Communauté des Etats Sahélo-Sahéliens -CEN-SAD-, dirigée par la Libye. Il peut par ailleurs compter sur la fidélité de Paul Barril, l’ancien capitaine de gendarmerie français.

6 août : nouveaux affrontements armés à la frontière entre le Tchad et la RCA. Le président Patassé, se méfiant des FACA et du général Bozizé lorsqu’il était chef d'Etat major de l'armée avait fait recruter environ 300 mercenaires de nationalité tchadienne sous le commandement de Martin Koumtan Madji alias Abdoulaye Miskine. Ces mercenaires sont des proches de l'ancien dictateur Hissène Habré, de Goukouni Oueiddeye, des CODO -rebelles tchadiens du temps de Hissène Habré- et des personnes désoeuvrées. Ils sont habillés et armés par les forces libyennes.

Après la tentative de coup d'Etat de mai 2001, le président Patassé charge les troupes de Miskine de la "sécurisation" de la frontière avec le Tchad où il opère depuis la ville de Kabo. Il n’était pas rare que ses éléments détroussaient et même tuaient des éleveurs qui faisaient la route depuis le Tchad jusqu’au Centrafrique pour vendre leur bétail. Le Tchad, alors harcelé sur ses frontières nord par des éléments libyens, souhaite sécuriser son flanc sud, riche en ressources naturelles, en mettant hors d'état de nuire les troupes d’Abdoulaye Miskine.

L'armée régulière tchadienne fait une percée sur le sol centrafricain sur une zone d'environ 15 Km. Le général Bozizé et 200 de ses éléments profitent de cette brèche pour occuper Kabo après le retrait des militaires du président tchadien Idriss Deby-Into. C'est de cette position stratégique que les hommes de Bozizé vont préparer un coup de force contre le régime de Bangui.

26 août : André Kolingba et 20 autres officiers non présents lors du réquisitoire sont condamnés à mort pour leur implication dans le coup d’Etat manqué du 28 mai 2001.

26 septembre : la Libye annonce que 200 hommes envoyés en RCA en juin 2001 pour épauler la garde de Patassé sont rappelés.

2 octobre : lors d’un sommet de la CEMAC à Libreville censé mettre un terme à la crise, un accord est conclu entre le Tchad et la RCA après des négociations difficiles sous la pression de la France et de l’OUA. Paris voit d’un mauvais œil la présence libyenne en RCA et pèse de tout son poids pour que celle-ci soit remplacée par une force de la CEMAC comportant elle-aussi une force de 300 hommes. En échange d’un retrait libyen, le Tchad exilera François Bozizé vers un pays tiers. Celui-ci atterrit finalement en France, où réside son épouse mais il n’y restera pas longtemps.

25 octobre : les troupes rebelles attaquent les quartiers nord de Bangui qui ont pris la veille les villes de Kabo et Batangafo. Les rebelles investissent, au prix de sanglants combats, les quartiers de Boyrabe, Fou, Combattant, Galabadja 1,2,3, Miskine, Malimaka, Gobongo, l’avenue des Martyrs entre PK 4 et PK12. Les assaillants atteignent la route principale desservant les résidences du président et du premier ministre ainsi que le siège du parti MLPC.

Charles Beninga est tué et Prosper N'Douba, porte-parole de la présidence, est fait prisonnier. Des tirs nourris se font entendre dans la capitale pendant 6 jours. Les rebelles appuyés par des éléments tchadiens sont arrêtés par les forces loyalistes, les Bayamulengués -qui font régner la terreur comettant viols, meurtres, pillages et destructions, protégant le régime contre ses ennemis contre l'asile offert à Jean-Pierre Bemba, lui permettant d'utiliser l'aéroport de Bangui pour ses ventes de diamants et ses achats d'armes-, les libyens -dotés notamment d’avions légers-, les éléments d'Abdoulaye Miskine et les barbouzes du capitaine Barril attachés à la sécurité de la personne de Patassé. Les conséquences sont terribles pour la population : des centaines de centrafricains sont tués, tandis que des millliers sont déplacés à l'intérieur comme à l'extérieur du Centrafrique.

Depuis Paris, François Bozizé annonce diriger les opérations. Après 6 jours de combats, les rebelles sont obligés de se replier à l’extérieur de Bangui. L’échec de l’assaut sur Bangui n’empêche pas la poursuite de la lutte par la rébellion qui attaque et pille Bozoum à la fin de l’année 2002. Les troupes de Bozizé occupent désormais une large partie du nord ouest du territoire centrafricain.

A la fin du mois d’octobre, on promet le paiement des arriérés des 5 derniers mois de salaires grâce à un décaissement du FMI appuyé par la France pour la mise en place d’un programme de facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance -FRPC-. Signalons que les arriérés de salaires ont malgré cette facilité atteint des records au cours de cette période ce qui s’explique par le fait qu’une très large partie du budget national était alors alloué en priorité aux dépenses d’armement.

5 novembre : Ange-Félix Patassé remet les insignes de commandeur dans l'ordre du mérite centrafricain à Abdoulaye Miskine, juste avant son départ forcé pour le Togo en exécution de l'accord de Libreville signé le 2 octobre 2002 entre le Tchad et la RCA.

7 novembre : une quinzaine de militaires gabonais débarquent à Bangui précurseurs de la future force de la CEMAC devant compter 300 hommes -gabonais, congolais de Brazzaville et équato-guinéens- Cette force est soutenue par l’armée française de l'opération Boali.

21 décembre : les troupes libyennes commence à se retirer, de même que les troupes envoyées par la CEN-SAD.

1er janvier 2003 : le président Patassé déclare que son pays est dans un état de guerre et que la population doit désormais s’unir à tout prix.

6 janvier : le président de la conférence épiscopale monseigneur Paulin Pomodimo et son assistant l’ancien premier ministre Henri Maïdou sont nommé négociateurs et entament des pourparlers politiques et diplomatiques avec la coordination des partis politiques de l’opposition qui appellent à un cessez le feu et à une amnestie générale.

11 janvier : la radio nationale attire l’attention sur les populations qui fuient les zones sous contrôle des rebelles. Les prêfets et sous-prefets quittent les territoires occupés.

23 janvier : Bozizé déclare qu’il essaye de rassembler toutes tendances d’opposition au sein d’une coordination des patriotes centrafricains -CPC- dirigée par Karim Meckassoua, anciennement directeur de cabinet de Ngoupandé. La CPC affirme souhaiter ouvrir des négociations avec le pouvoir et qu’une amnestie générale soit octroyée pour les rebelles.

3 février : le porte-parole du gouvernement Gabriel Koyambounou déclare qu’un dialogue national pour mettre fin à la crise se tiendra en mars prochain.

4 février : Henri Maïdou et Paulin Promodimo vont à Libreville rencontrer le président Bongo avant d’aller à Brazzaville rencontrer Sassou Nguesso. Face à la communauté internationale, le président Patassé fait mine de chercher une solution politique à la crise en mettant en place un dialogue national parrainé par Omar Bongo. Par ailleurs, Jean-Pierre Bemba annonce aussi son intention de retirer ses miliciens. En réalité, il n’en est rien.

13 février : une contre-offensive des forces loyalistes contre les rebelles a lieu à dans les localités de Sibut, Kaga-Bandoro et Bossangoa. Patassé cherche probablement à se placer en position de force pour peser dans les négociations qui ne manqueront pas d’avoir lieu lors du sommet Afrique-France s’ouvrant à Paris fin février.

14 février : le gouvernement américain ferme son ambassade à Bangui et évacue ses ressortissants.

20 février : le sommet Afrique-France s’ouvre à Paris. La France décide de "baisser le pouce" lors de ce sommet. Se met alors en place une coordination régionale pour chasser le président centrafricain du pouvoir. Discrètement, François Bozizé quitte la France pour rejoindre ses troupes. Grâce à des fonds fournis par le Congo-Brazzaville et des armes livrées par le Congo Kinshasa mais aussi un renfort en hommes issus de la garde présidentielle d’Idriss Déby-Itno, il lance un nouvel assaut pour Bangui à partir du 10 mars alors que les forces loyalistes affirment avoir repris le crontrôle des zones qui étaient auparavant tenues par Bozizé, notamment Bozoum, Kabo, Bossangoa, Sibut, Kaga-Bandoro et Damara.

13 mars : le président Patassé arrive à Nyamey capitale du Niger pour prendre part au 5e sommet de la Communauté Economique des Etats Sub-Sahariens CEN-SAD

15 mars : profitant de la participation du président centrafricain à ce sommet de la CEN-SAD, les rebelles investissent Bangui sans rencontrer de résistance. Les forces loyalistes tout comme les troupes de la CEMAC restent l’arme au pied. La France se contente de renforcer son contingent pour procéder à l’évacuation de ses ressortissants. Aucun soutien ne viendra des miliciens du MLC qui fuient Bangui par le fleuve, ni de la Libye. Lâché par tous, Patassé atterri au Cameroun avant de s’exiler au Togo et François Bozizé peut s’autoproclamer président en toute tranquillité.

Le 17 juin 2017

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