Les braves qui ont su tenir tête à papa Bok

Par Félix-Yepassis-Zembrou

Bokassa avait dirigé la République centrafricaine d’une main de fer. Personne dans le pays parmi les personnalités civiles ou militaires n’osait le contrarier ni désapprouver ses actes. Tout ce qu’il disait était parole d’évangile. Ses décisions voire ses lubies ou mégalomanies étaient accueillies avec un enthousiasme déconcertant. Cependant , certains hommes et femmes avaient su tenir tête à l’homme fort. Nous citerons dans le lot :

Barnabe Nzilavo, maire de Bangui.

Un jour en conseil des ministres, ce dernier se fit vivement réprimander par Bokassa.
- Nzilavo, nda ta mo ! (C...ta mère). Je ne t’ai pas nommé maire pour dormir sur tes lauriers, mais plutôt pour redonner à la capitale son visage de "Bangui la Coquette".
La réponse du maire fut fulgurante :
- Mbokassa, nda ta mo nga ! (C...ta mère aussi). Z’ ne t’ai zamais d’mandé de me nommer maire. Toi, pas content, renvoie moi dans mon villaz !
Dans la salle, autour du président, ce fut la consternation. Les ministres qui, depuis un moment, assistaient perplexes, à cette scène peu habituelle, réagirent pour faire ravaler au maire ses insolences :
- Nzilavo, mo tene gnin, hin ? Tu as osé..! S’écrièrent-ils en choeur.
Aussitôt Bokassa s’interposa :
- Ala zia Nzilavo kpo !(Laissez Nzilavo tranquille). Gare à celui qui lèvera le bout du doigt sur lui !
Et les travaux du conseil des ministres reprirent comme si de rien n’était.

Christian Sombodey

En 1970, Bokassa fut épris d’une charmante jeune métisse, découverte lors d’un concours de beauté organisé au bar dancing le Rex. Une relation tumultueuse, car la jeune fille refusait farouchement de regagner la villa mise à sa disposition, préférant habiter chez ses parents malgré les supplications, stratégies et autres manœuvres d’intimidation visant à l’amadouer. Au même moment, le cœur du ministre du Tourisme, Christian Sombodey, battait la chamade. Cela déplut à Bokassa qui obligea celui-ci à choisir entre son portefeuille ministériel et la jeune femme. Sombodey choisit cette dernière et perdit naturellement sa place au gouvernement. Christian Sombodey n’a plus occupé de poste dans l’administration centrafricaine jusqu’à la fin du régime. Quant à la jeune femme, elle fut licenciée de son travail à Air Afrique pour " raison d’Etat".

L’intrépide ancien combattat  

Bokassa se rendit un jour à l’Office centrafricain des Anciens combattants et victimes de guerre à l’occasion de la célébration du 11 novembre 1918. Il serra chaque main. Quand vint son tour, un ancien médaillé de guerre bloqua la main de Bokassa dans la sienne en lui demandant tout de go :
- Président, mo inga d...mama ? (Est-ce que tu connais le c...de mère)
- Hein ?? Fit Bokassa interloqué.
- Mo inga d...mama ? Répéta l’autre.
Tout en desserrant sa main, Bokassa lui répondit dans un geste obscène :
- Nda ta mo !
Le ministre de tutelle, Louis Alazoula, témoin de la scène, ne savait où mettre la tête. Dit-on que Bokassa lui-même avait habitué ses frères d’armes à ce genre de plaisanterie de caserne.

Commandant Robert Goengonda, le vaillant fils   

Un as de l’aviation militaire qui n’hésitait pas à se livrer pour son propre plaisir à quelques exercices de vol aux commandes du Dassault Mystere-20, une acquisition de la RCA dont Bokassa était très fier. On raconte qu’un jour, ayant mis en marche le pilote automatique, après avoir ingurgité comme à son habitude, une bonne rasade de whisky, il vint dire à son illustre passager, Bokassa :

Mon général, là-haut, il y a un Souverain Suprême, Dieu. En bas, il y à vous. Mais ici à bord, c’est moi, commandant Goengonda. Et je peux faire de vous tout ce que bon me semble, car ici vous êtes à ma merci !
Dit-on que Bokassa était resté blême jusqu’à l’atterrissage où des sanctions furent aussitôt prises contre ce pilote effronté.

Bruno dede enza, une tête brûlée   

Il avait l’apparence d’un volcan endormi. Un jour, il fut désigné par le service de reportages de la radio pour couvrir la visite du chef de l’Etat tchadien, Ngarta Tombalbaye en RCA. Bokassa était aux côtés de son homologue dans les locaux de l’ambassade du Tchad à Bangui. Pendant que celui-ci s’adressait à ses compatriotes, Bokassa dit à Enza :
- Poussou ndourou na tèrè ti lo ka, (approche toi de lui).
Dédé Enza s’exécuta.
- Poussou ndourou na tere ti lo, mo sala mbeto pèpè (Approche-toi de lui. N’aie pas peur).
Enza se rapprocha de nouveau de Tombalbaye, le micro tendu.
- Poussou na tere ti lo ! Disait-il inlassablement.
A la fin, excédé, Dede Enza se retourna vivement vers Bokassa et lui aboya à la figure :
- Mo zia mbi kpo, mbi sala kwa ti mbi ma !
Et Bokassa n’importuna plus le journaliste qu’il laissa terminer tranquillement son reportage.

L’intrépide gardien de poullailler de Berengo  

Dans la ferme présidentielle de Berengo, on rapporte à Bokassa qu’un de ses poulets est mort, foudroyé par une morsure de serpent. Bokassa convoqua dare-dare le gardien chargé du poulailler :
- Hein, tu as laissé mourir mon poulet exprès pour pouvoir le manger, n’est-ce pas ? Eh bien, ce poulet, tu vas le manger devant moi, cru. Tu m’entends, cru !
- Papa, ce poulet a été mordu par un serpent. Je ne suis pas responsable de sa mort, répondit l’homme, consterné.
- Tu vas le manger tout de suite ! Insista Bokassa.
- Mo yé mo fa gon ti mbi. Mbi yeke tè kondo so na fini pepe ! (Egorge moi, si tu veux. Ce poulet, je n’en mangerai point)
- Tu vas le manger !
- Jamais de la vie. Si vous les ngbaka (ethnie du chef de l’Etat), vous mangez du poulet cru, chez nous les yakoma, on n’en mange point !
Bokassa dut s’incliner devant un tel affront.

NB. D’autres braves avaient su également tenir tête à Jean-Bedel Bokassa. Parmi eux, le numéro-deux de la junte militaire de la St Sylvestre, le colonel Alexandre Banza qu’il craignait comme la peste. On raconte qu’il aurait pointé son arme sur Bokassa en lui disant : "Si tu recules, je t’abats !", au moment où, pris de panique, celui-ci voulait renoncer au coup d’Etat. On raconte aussi que l’un des proches de Banza, le commissaire Kallot, aurait assené un coup à Bokassa avec ses menottes lors de son arrestation.

Par ailleurs, l’ancien Premier ministre, Madame Elisabeth Domitien, s’était farouchement opposée au projet de couronnement de l’empereur Bokassa 1er, de même que la 1ere Dame Catherine. Il y avait également le lieutenant Robert Roland Zatao, un militaire des Forces armées centrafricaines qui s’était illustré par sa bravoure lors de la tentative du coup d’Etat manqué du commandant d’Escadrille Fidèle Obrou et son frère jumeau Martin Meya à l’aéroport de Bangui-Mpoko. Il avait résisté seul dans des échanges de tirs nourris avec les forces de sécurité malgré que le putsch ait échoué. Et puis, dans la foulée n’oublions pas les élèves et écoliers martyrs qui avaient bravé et vaincu la dictature par la guerre "aux cailloux", en janvier et avril 1979.

Toutes nos pensées à nos braves et chers disparus.
 

Félix Yepassis-Zembrou

Le 17 mars 2018