Les dessous de la procédure de destitution du président de l'Assemblée nationale centrafricaine

Lundi 1er octobre 2018, jour de la rentrée parlementaire, une lettre appelant à la destitution du président de l’Assemblée nationale -PAN- circulait dans les travées du parlement centrafricain. Derrière cette initiative, des députés indépendants et apparentés la mouvance "cœur uni" reprochant à Karim Meckassoua "des fautes liées à une gestion patrimoniale des finances et des biens de l’Assemblée nationale." Cette lettre dénonce ainsi des cas de "marchés publics passés sans appel d’offres", de "détournements de fonds publics", une "gestion clanique de l’institution" et "des abus de pouvoir" notamment dans les nominations "en contradiction avec les statuts de la fonction publique parlementaire".

L’article 12 de la loi n°17.011 du 14 mars 2017 portant Règlement intérieur de l’Assemblée nationale dispose que  "le président de l’Assemblée nationale peut faire l’objet d’une procédure de destitution pour manquement aux devoirs de sa charge sur demande d’un tiers des députés". Il y est indiqué que cette demande doit être "motivée et revêtue des signatures des députés et adressés à la conférence des présidents pour programmation".

En réaction à ce projet de destitution et pour impressionner ses adversaires, Meckassoua évoque les critères limitatifs de cette procédure en soulignant qu’il ne peut y avoir "manquement aux devoirs de sa charge" que dans 3 conditions dont aucune ne pourrait lui être opposé.

  1. Si le PAN s'oppose à ce que le Bureau de l'assemblée nationale rende compte aux députés de ses activités et de sa gestion,
  2. Si le PAN empêche la publication du rapport d'une commission spéciale ou une commission ad hoc,
  3. Si le PAN refuse de transmettre au Procureur près de la Haute Cour de Justice la résolution de mise en accusation du président de la République ou la décision de mise en accusation des Députés.

 

Autre argument avancé auprès des partenaires internationaux, il serait le meilleur président de l’Assemblée nationale que la RCA ait connu contrôlant à merveille le gouvernement et assurant ainsi un équilibre des pouvoirs nécessaire au fonctionnement de la démocratie centrafricaine.

Enfin, l’argument mis en avant par Meckassoua -surtout auprès des "partenaires internationaux"- serait celui de la crise confessionnelle qui découlerait de sa destitution avec les groupes armés qui risqueraient de prendre sa destitution comme prétexte pour rompre les négociations en cours avec le gouvernement. Même s’il est fort à parier qu’aucun de ces groupes armés -hormis le MPC d’Al Katim dont Meckassoua a contribué à la création- ne s’offusquera de sa destitution, cet argument est pris très au sérieux par les bailleurs de fonds et diplomates occidentaux qui s’en alarment actuellement en coulisses...

Si cette lettre appelant à la destitution du président de l’Assemblée nationale signée par 1/3 des députés arrive sur le bureau de la conférence des présidents, elle ouvrira la voie à un vote et les députés qui devront se prononcer sur le cas cette destitution. Il faudra alors le vote d’au moins 105 députés pour acter la destitution du président de l’Assemblée nationale.

Si cette procédure se concrétise, Meckassoua réalisera que sa destitution est acquise à 80% mais ne s’avouera pas vaincu pour autant. S’il n’accepte pas le vote des députés et refuse de partir en retraite anticipée, il saisira probablement la Cour Constitutionnelle pour contester la procédure sur le fond - il est très proche notamment de sa présidente Danièle Darlan et a montré par le passé sa capacité à corrompre cette institution, notamment lors du débat sur l’article 60 de la Constitution, pour faire invalider cette procédure-.

Derrière cette procédure de destitution, 2 puissances -Russie, France- s’affrontent en coulisses pour des questions d’influence en Centrafrique. Il n’y a pas que des enjeux économiques -autour de l'article 60 de la Constitution qui donne pouvoir au bureau de l'Assemblée nationale de valider ou pas les contrats miniers et forestiers-. L’enjeu est aussi stratégique dès lors que Meckassoua francophile organise son réseau parti depuis Paris. Touadéra n’est lui pas un initié des cercles politiques parisiens, malgré son passage à la Primature et semble aujourd’hui miser sur une alliance entre la République centrafricaine et la Russie. Tandis que les français voient dans la procédure de destitution de Meckassoua une attaque à l’un de leur soutien, les russes ne veulent pas d’un francophile qui puisse valider les contrats miniers. Mais il s’agit au fond surtout de positionnement en République centrafricaine. Les russes veulent démontrer aux français qu’ils sont en net recul dans ce pays et la destitution du président de l’Assemblée nationale leur permettrait de marquer un point non négligeable en mettant la main sur la deuxième institution du pays. Ce deuxième volet international plus feutré explique pourquoi diplomates français et africains se pressent actuellement pour rencontrer Touadéra afin d’évoquer en urgence ce dossier sensible. Alors que les "Touaderateurs" semblent déterminés à destituer le président de l’Assemblée nationale, l’on peut se demander si ce président de la République résistera aux pressions car au final ce sera la plus déterminée des deux parties qui prendra l’avantage dans ce combat institutionnel…

Thierry Simbi

Le 3 octobre 2018