Y-a-t-il encore une armée en Centrafrique ? par Isidore Dekofio

16344571296 6564d3dc00 oAu moment où une cargaison d’armes, en provenance de Russie, arrive à Bangui, avec des fortunes diverses, l’opinion nationale semble osciller entre enchantement et expectative.

Enchantement de voir enfin cette armée sans armes être équipée pour faire face aux nombreux périls qui menacent chaque jour le pays et sa population.

Expectative pour certains quant à cette même armée en déshérence, théoriquement institution cardinale de la souveraineté, après plusieurs batailles perdues, restée inerte dans ses fondements sans la prétention de son autocritique, ni d’une contribution, ne serait-ce qu’intellectuelle, pour analyser sa propre déliquescence, celle de l’Etat et la patrie dont elle est le garant et le protecteur.

Alors que l’on parle de sa reconstruction, on aurait voulu que cette armée montre ce qu’elle veut devenir et démontre sa volonté et sa capacité à être l’acteur principal de son destin.                                                                                                                                                          @nato

Cet enchantement et cette expectative suscitent des interrogations légitimes que nous tenterons d’aborder tout au long de cette analyse. La RCA étant soumise au diktat des nombreux groupes armés qui ont pris pied dans le pays et qui par conséquent "administrent" de vastes pans du territoire national, abandonnés par le pouvoir central.

Y’a-t-il encore une armée en Centrafrique ?

Voici en infra, la définition du moteur de recherche Wikipédia, de ce qu’est une armée :

"Une armée est une organisation structurée d'hommes et de femmes armés visant à conquérir ou à défendre un territoire, détruire ou protéger d'autres unités militaires ou des unités civiles -entreprises, administrations…-.

Lorsqu'une armée est organisée par un État, elle est une institution et ses objectifs sont subordonnés aux objectifs politiques de cet Etat, on parle alors de l'armée.

L'armée peut également s'occuper de divers travaux et remplir diverses fonctions, comme les travaux de déblaiement en cas de catastrophe naturelle ou de police en cas d'occupation.

Enfin, lorsque l'État est en grand danger -par exemple en cas de guerre totale-, l'institution militaire prend habituellement une très grande extension, et toute la vie civile est militarisée à des degrés divers".

Quelle est la situation aujourd’hui ?

La communauté internationale, avec l’assentiment des autorités centrafricaines, a entreprit la reconstruction des forces armées centrafricaines. Une première mission sous financement de l’Union européenne, dénommée EUMAM vit le jour et s’attela à la reprise en main de l’armée par un vaste programme de remise à niveau du commandement militaire. Une seconde mission dénommée EUTM succéda à l’EUMAM pour dispenser les divers entrainements aux corps de troupes.

A l’heure actuelle, c’est une troisième mission russe qui s’occupe de l’entrainement au maniement des armes qui est dispensée aux troupes ayant validés les programmes EUTM.

Mais avant tout développement, il importe de faire une introspection depuis les origines de cette armée jusqu’à l’heure où sa reconstruction soit devenue une nécessité.

L’armée centrafricaine fut créée au lendemain des indépendances, au début des années 60. Elle a été dirigée dès le départ par des officiers centrafricains ayant fait leurs armes dans les différentes campagnes militaires de France de la 2e guerre mondiale aux guerres de décolonisation. Cette armée naissante a bénéficié de l’appui et de la coopération de la France dans sa structuration et ses opérations. Les premiers commandants de cette armée ne sont pas sortie des écoles et autres instituts de guerre et de stratégies militaires comme ceux qui tiennent les commandes des FACA aujourd’hui.

Une brève histoire de cette armée nous emmène à relever quelques actions de bravoure. A la fin des années 60, les rebelles mulélistes du Zaïre traversent l’Oubangui et occupent des provinces du sud-est centrafricain. Sous la conduite du capitaine Alphonse Mbaïkoua, un détachement de l’armée centrafricaine va neutraliser les assaillants et rendre la pleine souveraineté aux institutions de l’Etat. Au début des années 80, profitant d’une instabilité consécutive à une tentative de coup d’Etat ainsi qu’à des défections dans l’armée centrafricaine, certaines forces tchadiennes vont tenter de se sanctuariser dans le nord de la RCA. Le commandant André Mazi, à la tête du Régiment Mixte d’Intervention va rétablir l’ordre en repoussant ces forces en profondeur au Tchad.

Au début des années 2000, le capitaine Thomas Théophile Tchimangoua, revenant d’une mission à Bria avec son détachement mettra en échec une tentative de la rébellion de prendre la capitale et repoussera ces assaillants vers le nord du pays.

Au milieu des années 2000, le commandant José Gailloty assurera, à la tête d’un détachement des FACA, en coordination avec l’aviation française, les opérations de reprises des villes de Bria jusqu’à la reconquête de la ville de Birao à l’extrême nord-est, tombé entre les mains d’une rébellion venue du Soudan.

Tout ce qui précède démontre à suffisance qu’il peut y avoir du bon dans cette armée, que ce bon est occulté ou anéanti par la situation générale du pays et celle de cette armée qui n’a plus d’armée que le nom.

Pourquoi, elle n’a aujourd’hui d’armée que le nom ?

Plusieurs facteurs ont contribué à cette situation et nous pensons que les militaires, eux même serait les mieux outillés pour explorer cet état de fait. En tant qu’observateurs extérieurs, nous allons abonder sommairement ce qui nous apparait comme éléments, évènements ayant contribués à la descente aux enfers de ce grand corps malade.

L’armée centrafricaine qui est mise sur les fonds baptismaux en 1963, va très vite faire son intrusion sur la scène politique par le coup d’Etat de la Saint-Sylvestre. Le colonel Bokassa, chef d’Etat major de cette armée va renverser les institutions établies, dans la nuit du 31 décembre 1965, pour se déclarer président de la République. Les militaires seront au fait du pouvoir de l’Etat et de sa gestion, 14 années durant jusqu’à la chute du régime par l’opération Barracuda le 20 septembre 1979.

Pendant ces 14 années, l’armée centrafricaine se politisant, va planter durablement les graines de son autodestruction. C’est donc ainsi que le syndrome Obrou va hanter jusqu’à nos jours les rangs et les Etats-majors de cette armée.

Le coup d’Etat de la Saint-Sylvestre connaitra dans son déroulement l’assassinat du garde de la Radio Centrafrique ainsi qu’un cycle quasi ininterrompu de règlements de comptes qui vont progressivement altérer les capacités intrinsèques de cette armée ainsi que son commandement et l’inscrire sur le sentier de la perdition jusqu’à ce jour.

Plusieurs officiers et hommes de rangs seront assassinés pour des motifs des plus fallacieux pendant ce règne de 14 ans: les généraux Mandaba, Lingoupou ; le commissaire Mounoumbaye, les colonels Banza, Mandé, Mbongo, le commandant Abakar, etc.….

Le 3 février 1976, le commandant Obrou, avec quelques frères d’armes tentera de renverser le général Bokassa dont le régime dictatorial ne faisait que d’exterminer non seulement tous ceux qui osaient s’opposer à lui mais surtout les militaires prétendument anti système. Ce coup d’Etat échoua et ce fut l’occasion de nouvelles purges et exterminations dans les rangs des forces armées.

Bokassa, devenu entre-temps empereur, perdra le pouvoir à la suite d’une opération conduite par les forces françaises au mois de septembre 1979.

Apres un intermède de deux années 20 septembre 1979-21 septembre 1981 ou les civils reviennent au pouvoir avec le président Dacko, des troubles perturbent le fonctionnement des institutions, c’est dans ce contexte que le général Kolingba accède au pouvoir à la tête d’un gouvernement de militaires, le comité militaire de redressement national -C.M.R.N-. Une fois encore l’armée revient au pouvoir avec le programme de redresser un pays à la dérive. Les 6 premières années de ce régime exclusivement militaire verront la plupart des officiers et chefs de corps entrer en politique. Une décision interviendra pour leur interdire tout retour dans l’armée. Cette décision qui partait du bon sens, était en réalité sous tendue par l’idée d’écarter des officiers qui pourraient gêner une volonté de tribalisassions des forces de défenses. C’est dans cette période que l’on verra le plus grand nombre de promotion parentales et autres cire pompes à des postes stratégiques de l’armée centrafricaine.

Le début du pouvoir du CMRN connaitra d’importantes défections au sein de la grande muette. Les généraux Mbaïkoua et Bozizé ainsi que certains officiers tel le capitaine Sérénam etc., et certains hommes du rang, à la suite de ce qu’ils considéraient comme une dérive tribale du comité militaire de redressement national, vont tenter de prendre le pouvoir en date 2 mars 1982. La réaction du régime ne se fera pas attendre, ces militaires seront pourchassés, certains seront capturés et emprisonnés, d’autres perdront la vie. Une fois encore, l’armée centrafricaine perdra de ses membres et les divisions en son sein ne feront que de s’approfondir.

Le règne du général Kolingba aura duré 12 années, de septembre 1981 à octobre 1993, au cours desquelles, on connaitra une armée des nordistes et celle des sudistes.

A partir d’octobre 1993, la décrépitude des FACA ne va que s’accentuer et sa descente aux enfers n’en sera que des plus inéluctables. Les nouvelles autorités élues ne traiteront l’armée davantage que comme une milice. Elle sera traversée par plusieurs mutineries qui atteindront viscéralement son unité et son commandement.

Le coup d’Etat du 28 mai 2001, ourdi par des membres de l’armée, la défection du chef d’Etat major de l’époque, le général Bozizé sonneront comme l’oraison funèbre de cette armée. Le général Bozizé, fort de la soldatesque qu’il aura levée avec des mercenaires étrangers, défera les forces loyalistes du Président Patassé et accèdera au pouvoir de l’état, le 15 mars 2003.

Dix années durant, un régime hybride, mi-militaire et mi-civil, dirigera le pays. Une fois encore, l’armée s’en retrouvera desservie, car certains officiers et soldats prendront le chemin de l’exil. On assistera à de nombreuses promotions éclairs, sans que la compétence n’ait à y redire. Il y eu l’armée du clan au pouvoir et le reste. Cette armée du pouvoir croisera la Séléka et connaitra le crépuscule de sa triste renommée.

Après la défaite face à la Séléka, l’armée s’est évanouie et dissoute dans la population et la nature.

Pour l’histoire, lorsque la Séléka arrive aux portes de Bangui, seules deux régions militaires étaient tombées. Il restait aux forces de défenses du pouvoir trois régions militaires -Bossangoa, Bouar, Nola- ainsi que deux places fortes -la garnison de Bossembélé et le centre d’instruction de Bérengo- sans compter les camps militaires de Bangui -Kassaï, Beal, De roux-.

La Séléka, commandée par des pisteurs et appuyée de mercenaires étrangers, a conquis la capitale Bangui sans résistances. Une fois au pouvoir, la Séléka a vu le ralliement de plusieurs officiers de l’armée dont certains ont accepté le fait des ordres des pisteurs devenus Généraux.

Les défaites notoires de 2003 et 2013, le comportement des chefs de cette armée jusqu’à ce jour, nous emmènent à nous demander s’il y a véritablement une armée en Centrafrique ?

  • Un chef d’Etat-major général de l’armée française, le général De Villiers, en raison d’une inconvenance dans un arbitrage budgétaire en défaveur de l’armée, à pris sa plume pour, dans l’honneur rendre son tablier.
  • Le chef d'Etat-major centrafricain n’a pris sa plume, non pas pour parler de son armée mais plutôt de sa situation personnelle et proférer des menaces, démontrant s’il en était besoin de ce que le commandement de cette armée est davantage rongé par une guerre d’égaux.
  • Y'a-t-il vraiment une armée en Centrafrique ?

 

Pour revenir à la définition fort juste du moteur de recherche Wikipédia, les centrafricains ne se souviennent pas :

  • de quand est-ce que leur armée a défendu le territoire,
  • de quand cette armée à protéger les civils,
  • de quand cette armée a appréhendé la déliquescence des institutions si ce n’est pas elle qui en a souvent été à l’origine.

 

La population à plutôt souvenance de cette confusion de cette armée avec les différents pouvoirs politiques. Cette armée s’est souvent ingéniée à servir des pouvoirs et leurs intérêts, à se retourner contre la population qui, aujourd’hui malgré tout réclame son rétablissement.

  • Les FACA vont-elles se reconstruire ?
  • Les FACA vont-elles rebâtir le lien armée-nation ?
  • Les FACA vont-elles être enfin à la hauteur des enjeux de cette époque et des urgences centrafricaines ?

 

Gageons que cette fois-ci, les efforts de l’EUTM, des russes, le réveil des chefs militaires, conjugués à la volonté de l’Eternel des armées, porteront leurs fruits.

Isidore Dekofio,

Le 27 juillet 2018