Bruxelles : le discours de circonstance de Touadera

  • Monsieur le Président du Parlement européen,
  • Madame la Haute Représentante, Vice-présidente de la Commission de l’Union européenne ;
  • Monsieur le Président de la Commission de l’Union africaine ;
  • Monsieur le Président du Parlement panafricain ;
  • Monsieur le Président de la Banque africaine de développement ;
  • Mesdames, Messieurs les Ministres,
  • Distingués invités ;
  • Mesdames et Messieurs,

 

Je prends la parole devant cette auguste assemblée de distinguées personnalités arrivant de la République centrafricaine, mon pays, pour porter la voix de mon Peuple aux Nations du monde et saluer l’expression de la constante solidarité à notre endroit.

Nonobstant les défis immenses auxquels nous faisons quotidiennement face, nous avons refusé de céder à la fatalité et avons décidé de contribuer aussi modestement que nous le permettent nos conditions à la construction d’un monde plus juste, plus paisible, plus prospère et plus fraternel.
Ainsi, à la veille du grand rendez-vous d’Abidjan où les pays de l’Union africaine rencontreront leurs partenaires de l’Union européenne pour parler d’avenir à travers le renforcement de leur partenariat, il me plaît de venir au Parlement européen partager quelques réflexions sur le sujet important de la marche commune vers un partenariat renouvelé avec l’Afrique.

Cette Afrique plurielle aux multiples réalités, qui œuvre à forger un destin commun à ses fils et filles pour faire de la diversité de ses peuples le riche socle de sa renaissance et de son rayonnement.

Ma contribution à la présente Conférence se basera sur  3 axes qui fondent les réflexions de la présente assise, à savoir la problématique de la gouvernance abordée dans sa plus large acception, les défis du développement durable pour une croissance partagée ainsi que le meilleur bénéfice que nos pays peuvent tirer de leur jeunesse, aussi bien celle qui opère en Afrique que celle qui fait cette diaspora dont l’Afrique peut se réjouir.

En termes de gouvernance, l’Afrique fait face à de nombreux défis qu’elle doit relever pour assurer sa stabilité, mais au prix d’un ajustement du paradigme démocratique.

Une nouvelle ingénierie est indispensable en matière de gouvernance à travers l’exigence de trouver une articulation de tous les éléments d’une charpente démocratique qui garantisse la paix, la sécurité, la démocratie et le respect des droits de la personne humaine.

Alors que l’Afrique tire les premières leçons de son expérience de démocratie multipartite, la multiplication des conflits internes à nos pays mérite réflexion.

Nous devons comprendre ce qui n’a pas fonctionné pour corriger les erreurs et améliorer nos performances démocratiques. Prenant exemple sur mon propre pays, la RCA, en exploitant les résultats du forum de Bangui de 2015, en analysant l’expression de la volonté populaire des élections générales de 2015-2016 et en tenant compte de mes échanges réguliers avec mes compatriotes en provinces ou dans la diaspora, il ressort clairement que nous devons davantage considérer les exigences de nos concitoyens dont les attentes sont à la mesure de leur soif de liberté et d’épanouissement.

La connaissance s’est démocratisée, la mondialisation a fait du monde un village planétaire, nombre de barrières ont cédé face à la déferlante vague de la globalisation.

A l’ère du tout numérique, le développement fulgurant des technologies de l’information nous impose un ajustement impératif de nos méthodes de gouvernance. L’instantanéité de l’information est un nouveau défi dans un monde où les grandes décisions étaient généralement prises à l’ombre de tous les regards.

L’on ne peut pas continuer à parler véritablement de démocratie si elle reste perçue comme un concept qui est l’apanage d’une certaine élite. La véritable démocratie est celle dont les citoyens se sont appropriés les différents éléments jusqu’à les transposer dans leurs comportements et leur vie quotidienne.

Sans doute est-il venu le temps de promouvoir un référentiel démocratique qui fasse que l’habit démocratique soit réellement aux mensurations culturelles des sociétés d’une Afrique à la culture plurielle.

Inclure ces dynamiques endogènes dans la modélisation de la vie démocratique permettra de préserver les grands équilibres sociaux et constitue un puissant levier de prévention des conflits et de saine redistribution des richesses nationales, assurant que personne n’est laissé sur le bas-côté de la route du développement.

Mesdames, Messieurs,

Le deuxième axe de notre contribution porte sur les défis liés au développement qui doit être ressenti par nos concitoyens comme le résultat de l’effort individuel à une œuvre collective dont chacun aura une juste part des fruits de la croissance. Ici, nous voulons mentionner le rôle important des investisseurs privés, en complément des efforts publics.

Dans le cas de la RCA, nos premiers efforts ont été orientés vers la recherche de la paix pour créer les conditions minimales de l’amorce d’un élan de développement.

Parallèlement, nous mesurons avec acuité qu’aucune œuvre de paix ne saurait prospérer dans un contexte de pauvreté ! Alors que la reconstruction, la paix, le développement sont des chantiers qui requièrent des moyens importants, l’Etat n’aura pas les moyens de répondre seul à tous les besoins d’une population exigeante et impatiente.

Le concours des acteurs privés dont il faut libérer le potentiel d’investissement s’avère indispensable.

A ce niveau, notre préoccupation est de créer des conditions d’investissement qui dont que les investisseurs ne soient pas être pressés de rapatrier leurs bénéfices dans leur pays d’origine.

Nous savons, par ailleurs, que parmi les autres points qui crispent les relations entre les opérateurs économiques et l’Etat, il y a la recherche d’un équilibre entre la maximisation des recettes fiscales pour répondre aux obligations de l’Etat et la pression fiscale dont les opérateurs économiques se plaignent.

Nous affichons la volonté et l’ambition d’établir un dialogue dynamique avec le secteur privé dans l’idée de trouver les mécanismes de garantie qui incitent opérateurs économiques à réinvestir leurs bénéfices en RCA.
Les instruments de renouvellement du partenariat Europe- Afrique doivent nous permettre d’innover sur ce point. La croissance inclusive et partagée, c’est aussi réinvestir dans le pays de production.

Ensemble, nous devons développer des solutions innovantes à travers des mesures simples, fonctionnelles, équilibrées permettant d’améliorer le climat des affaires en RCA sans léser aucune des parties.

Il serait mal venu de décourager ces opérateurs qui, malgré les pertes subies, ont continué à croire en la RCA.

Dans l’élan national de reconstruction, et surtout dans le cas d’un pays polytraumatisé comme la RCA, je voudrais partager la proposition de voir le renouvellement du partenariat entre l’Afrique et l’Europe créer un cadre de discussion pour que les entreprises européennes opérant dans le secteur des matières premières assurent qu’une partie significative de leur production soit transformée dans nos en vue de créer de la valeur ajoutée, source d’une vraie richesse nationale. Cela peut se concevoir notamment par l’aménageant d’un dispositif mutuellement bénéfique et limité dans le temps.

Mesdames, Messieurs,

Vous aurez remarqué que ma contribution insiste sur le renforcement de tous les instruments de nature à accroître la prise en mains par les Africains de leurs destinées.

Une gouvernance démocratique adaptée et un modèle de développement qui mise sur la création de valeur ajoutée sont, pour moi, des éléments qui peuvent générer des ressources pour alimenter le système économique et financier, permettant à l’Etat d’offrir des alternatives et des opportunités à ceux qui, lorsqu’ils en manquent, s’en vont nourrir les statistiques macabres des migrations illégales.

Les pays africains dont la RCA ont perdu une frange non négligeable de leurs bras valides et des jeunes qui ont choisi de partir à l’aventure, souvent dans des conditions que le désespoir a rendues acceptables.

A l’époque de la mondialisation marquée par l’interdépendance croissante du monde, les mouvements migratoires en sont la plus éclatante illustration. Mais il est assez paradoxal de constater que ces mouvements véhiculent autant de peurs et d’appréhensions. La globalisation a ouvert le monde à notre jeunesse hautement connectée et qui assiste aux mutations internationales dont elle veut être un acteur de premier plan.

C’est dans ce sens que lorsque des africains émigrent pour offrir leurs bras ou leur matière grise à d’autres pays, nos pays d’Afrique accueillent d’autres citoyens qui apportent chez nous les capitaux et la technologie pour produire.

C’est aussi de la migration, Mesdames, Messieurs. Jusqu’à là, rien d’anormal car les mouvements migratoires sont consubstantiels à la nature humaine.

Les problèmes surgissent dès que ces mouvements échappent à tout contrôle, lorsqu’ils sont porteurs d’éléments d’insécurité, de peurs et de rejet de l’autre différent.

En reconnaissant que les difficiles conditions de vie dans plusieurs pays alimentent les circuits d’immigration souvent illégale, il faut aussi mettre sur la table de discussion toutes les options de solution.

Dans le cas de la RCA dont je porte la voix, la jeunesse fait face à de nombreux défis aggravés pas l’incapacité de nos Etats à répondre à leurs attentes aussi pressantes et urgentes qu’est grande leur ambition d’un avenir radieux.

La faiblesse de la puissance publique, la mauvaise redistribution des richesses nationales, les carences en matière de gouvernance démocratique, la prolifération de zones de conflits, l’absence de repères endogènes qui puissent de source d’inspiration authentique, voilà de manière non exhaustive certains des facteurs qui finissent par faire penser à nos jeunes concitoyens qu’ils ne pourront jamais réaliser leurs rêves et leurs ambition dans leurs pays, en terre africaine.

Ainsi, certains prennent-ils la grave décision de partir en quête de plus d’opportunités et de mieux-être.

Les réflexions que j’ai partagées avec vous donnent l’idée du cadre dans lequel nous pouvons aborder les pistes de solution au problème de la migration illégale en offrant aux jeunes des réponses concrètes à leurs attentes.

Nous devons ensemble travailler à divers pistes qui permettent à ce que les migrations soient une occasion de célébrer la fraternité et la solidarité. En somme, une véritable ôde à la diversité qui permette de se reconnaître dans l’autre différent.

Pour ce faire et comme première action, j’en appelle à une mobilisation générale pour dénoncer de la manière la plus énergique les filières de ces esclavagistes des temps modernes qui n’ont trouvé rien de mieux que d’ajouter au drame du désespoir la lugubre opportunité de se livrer à la vente aux enchères de nos jeunes concitoyens.

La morbide chosification de nos jeunes concitoyens doit secouer les consciences des décideurs africains et européens.

Pour ma part, notre action doit se poursuivre à travers le développement d’un dialogue novateur avec la nouvelle génération qui émerge à l’aune de la prolifération des nouvelles technologies qui façonnent un nouveau type de citoyen hyper-connecté, multilingue et ignorant les barrières.

Nos actions induiront de nécessaires ajustements des pratiques de gouvernance et imposeront des décisions aussi bien audacieuses qu’originales pour créer un cadre attrayant pour les investisseurs.

Excellences,
Mesdames, Messieurs,

La plus grande préoccupation des décideurs que nous sommes se trouve être la manière de relever le défi d’un développement intégral de nos pays en tenant compte des valeurs endogènes et de la forte demande des jeunes générations à être davantage impliquée dans les décisions qui engagent l’avenir.

Les jeunes d’Afrique et du monde ont trouvé un slogan fédérateur qui doit orienter nos actions. Pour eux et à juste titre, l’avenir se prépare aujourd’hui ! Ils demandent d’en être des acteurs de premier plan, faute d’en être les seuls architectes.

Si je reviens au cas de la RCA, tout est prioritaire, le pays est à reconstruire de fond en comble. Le souci d’efficacité m’a conduit à mettre en exergue les points saillants qui doivent présider à la discussion réussie d’un partenariat renouvelé entre l’Afrique et l’Europe en insistant sur le cadre de ces discussions.

Pour clore mon propos, je souhaite rappeler que les jeunes qui nous écoutent, nous regardent et nous attendent au sommet d’Abidjan nous disent que l’avenir se préparent maintenant. C’est un défi qui nous est lancé et il est de notre responsabilité d’y répondre avec courage et responsabilité.

Merci pour votre aimable attention.

Le 22 novembre 2017