URCA : déclaration du président Anicet-Georges Dologuélé

Conférence de presse du 15 décembre 2017 tenue à Bangui.

Déclaration de l'URCA relatif au bilan de l'année 2017 - Extrait

Agd 22 juillet 2017 paris 4

 

"L’année 2017 a été la plus meurtrière des 57 années d’indépendance de notre pays et c’est sans aucun plaisir que je la qualifierai d’année de la mort. En effet, si l’on consulte les différents rapports des ONG et autres organes spécialisés des Nations Unies, le nombre des victimes directes ou indirectes résultant des violences armées se situerait entre 13 000 et 15 000, rien que pour l’année 2017. C’est tout simplement énorme ! Quand l’on y ajoute les très nombreux décès anonymes des personnes déplacées ou exilées qui ont été enterrées à la hâte, ainsi que les victimes des mouroirs que sont devenus nos hôpitaux et centres de santé, notre pays a atteint un taux de mortalité qui représente une véritable menace son avenir."

Anicet-Georges Dologuélé, président de l'URCA,

Ancien premier ministre, député

 

Anicet-Georges Dologuélé@urca/AGD 22/0717

 

Déclaration liminaire du point presse du président de l'URCA sur le bilan de l'année 2017

Mesdames et Messieurs de la Presse,
Chers amis,

Dans une quinzaine de jours, nous dirons adieu à l’année 2017. Comme le veut la pratique dans tous les pays du Monde, le Président de la République présentera ses vœux à la Nation et en profitera pour dresser un bilan des réalisations de l’Exécutif au cours de l’année écoulée, de même qu’il indiquera comment son gouvernement compte faire face aux défis de l’année à venir.

C’est un moment attendu par toute la Nation et que nous suivrons tous avec intérêt.

Cependant, ma position dans l’opposition démocratique et sur l’échiquier politique de la République centrafricaine m’oblige assurément à des devoirs. C’est dans ce cadre que je vais, à l’occasion de ce point de presse, vous dire comment j’analyse la manière dont les nombreux défis auxquels font face les centrafricains auront été abordés et résolus par le gouvernement en 2017.

Je commencerai par faire un constat cruel : l’année 2017 a été la plus meurtrière des 57 années d’indépendance de notre pays et c’est sans aucun plaisir que je la qualifierai d’année de la mort.

En effet, si l’on consulte les différents rapports des ONG et autres organes spécialisés des Nations Unies, le nombre des victimes directes ou indirectes résultant des violences armées se situerait entre 13.000 et 15.000, rien que pour l’année 2017. C’est tout simplement énorme !
Quand l’on y ajoute les très nombreux décès anonymes des personnes déplacées ou exilées qui ont été enterrées à la hâte, ainsi que les victimes des mouroirs que sont devenus nos hôpitaux et centres de santé, notre pays a atteint un taux de mortalité qui représente une véritable menace son avenir.

Chers amis de la presse,

1) Il ne vous a certainement pas échappé que durant l’année 2017, la sécurité s’était dégradée jour après jour, à travers tout le pays. En 2016, le nombre de groupes armés n’était à peine que d’une dizaine. Aujourd’hui, la logique du morcellement du territoire en zones de contrôle a entraîné la création de nouveaux groupes et, avec le jeu des alliances et des mésalliances, leur nombre a été porté à une quinzaine. Les zones d’insécurité, qui étaient limitées à une demi-douzaine de préfectures, sont désormais étendues à 15 préfectures sur les 16 que compte le pays.

Les régions de l ’Est qui étaient relativement épargnées sont devenues l’épicentre de la violence, du fait de l’appel d’air créé par la conjonction du départ des troupes américaines et ougandaises et de l’expulsion des hommes de l’UPC de la ville de Bambari. Le nombre de déplacés et d’exilés a sensiblement augmenté et représente aujourd’hui plus de 20% de la population centrafricaine. Fait nouveau, les groupes armés ne respectent plus les casques bleus et les humanitaires, qu’ils attaquent et tuent désormais de manière délibérée.

Face à tout cela, le gouvernement de notre pays est demeuré absent, muet, presque indifférent. Nous savons tous que l’Etat n’a pas les moyens d’intervenir militairement. Mais la population centrafricaine souhaiterait sentir qu’elle n’est pas seule, qu’elle a un gouvernement qui se soucie d’elle, un gouvernement qui dénonce les violences à défaut de les arrêter, qui présente les condoléances aux familles endeuillées, qui essaye de trouver des solutions de prise en charge des veuves et des orphelins. Il serait donc temps que le gouvernement sorte de son mutisme et communique un peu plus, pour rassurer les populations.

2) S’agissant de la situation humanitaire, elle n’a fait que se dégrader durant toute l’année 2017, là également dans l’indifférence et l’inaction totales du Gouvernement. De villes et des villages ont été vidés de leur populations et des familles entières continuent d’errer dans la brousse ou dans la forêt comme des bêtes, démunies de tout, à la merci des intempéries et des serpents et complétement inaccessibles à l’aide humanitaire. C’est ainsi que les populations de la plupart des villes et villages du Centre-Sud et du Sud-Est du pays ont été contraintes de trouver refuge dans les forêts de la République Démocratique du Congo, sans que le gouvernement n’ait mené la moindre démarche pour les identifier et organiser leur prise en charge. Dans le même temps, la violence subie par les ONG a contribué à affubler notre pays du triste record du pays le plus dangereux au Monde pour les humanitaires. La conséquence en est que seul le tiers de l’aide humanitaire dont la RCA a besoin est aujourd’hui couverte. Il serait souhaitable que les ministres résidents soient plus impliqués dans la recherche des solutions pour les populations en détresse. Dans les zones en conflits, ceux-ci pourraient notamment diriger des missions d’information et d’action, avec les députés de ces localités et les responsables des ONG opérant sur le terrain. Nous pensons également que certaines actions diplomatiques menées dans les pays d’accueil pourraient permettre d’avoir un meilleur suivi de nos populations et une meilleure organisation de leur retour.

3) Face à cette situation sécuritaire très dégradée, la reconstruction de l’Armée nationale est souvent présentée comme l’unique solution et je note avec satisfaction l’important travail réalisé par nos partenaires de l’EUTM dans la formation de trois bataillons. De côté du gouvernement, aucun effort palpable n’a été fourni pour équiper les hommes et les rendre opérationnels. De plus, il est à craindre que la création d’une milice à la solde du pouvoir, composée de civils recrutés à la hâte dans une région du pays bien identifiée et envoyés en formation pratiquement en catimini, ne contribue à donner aux forces régulières l’impression d’un éternel recommencement dans la destruction de la cohésion au sein de notre armée. Au stade actuel, il devient urgent que le gouvernement produise un Livre blanc de la Défense nationale qui permettrait, dans le courant du premier semestre 2018, de présenter à l’Assemblée nationale une Loi de programmation militaire. Cela rendrait plus lisible et transparente la politique du Gouvernement en matière de reconstruction de nos forces de défense et de sécurité et permettrait de mobiliser plus facilement des financements.

Mesdames et Messieurs,

4) Plusieurs initiatives pour la paix et la réconciliation nationale ont vu le jour en 2017, certains ayant abouti à la signature d’accords immédiatement violés. Face à ces initiatives, le Gouvernement a donné une impression de passivité et l’on n’a senti de sa part ni un effort d’organisation et d’appropriation de ces initiatives, ni une volonté de leur vulgarisation au sein de la population. C’est ainsi que la Feuille de Route de l’Union africaine, désormais reconnue au niveau international comme l’unique cadre fédérateur de sortie de crise en Centrafrique à l’intérieur duquel seront menées les négociations de la paix et de la réconciliation nationale, n’est toujours pas connue par les centrafricains. Pour remédier à cette situation, il me paraît urgent que des actions de vulgarisation et d’appropriation de cette feuille de route au niveau national soient menées très rapidement par le Gouvernement, en partenariat avec l’Union africaine. C’est l’unique condition pour lui donner une chance de succès.

5) Le plan national de relèvement et de consolidation de la paix en RCA -RCPCA-, qui représente aujourd’hui le principal gisement de financements de la politique du gouvernement compte tenu de l’importance des promesses annoncées à Bruxelles en Novembre 2016, tarde à prendre son envol. Il a fallu au gouvernement près d’un an pour réussir à mettre en place le secrétariat permanent du RCPCA et ni le budget 2017, ni celui de 2018 ne comportent des éléments qui peuvent laisser espérer à une évolution positive des décaissements dans les mois à venir. La mise en œuvre de ce important Plan conçu par nos partenaires en développement met en relief des faiblesses structurelles importantes : absence de vision de l’Exécutif, incapacité du gouvernement à s’approprier le RCPCA, lacunes graves dans la communication gouvernementale, incapacité des Autorité du pays à identifier et structurer des projets à soumettre au financement des bailleurs de fonds, faiblesse institutionnelle de l’Etat, insuffisance de formation des cadres de l’Administration, etc.

Or ce Plan représente aujourd’hui l’unique espoir de la RCA pour reconstruire une armée, démobiliser les combattants des groupes armés, doter le pays d’un minimum d’infrastructures socio-économiques, relancer l’éducation de nos enfants et améliorer la prise en charge sanitaire des centrafricains. Si rien n’est fait pour accélérer sa mise en œuvre à travers des projets concrets qui déboucheront sur la signature de conventions de financement dont les montants seront inscrits dans le budget de l’Etat, il est à craindre que notre pays ne perde une bonne partie des fonds annoncés.

Au-delà de l’idée surréaliste de fêter le premier anniversaire du RCPCA, nous espérons que des actions concrètes seront prises par le Gouvernement pour corriger le tir et rattraper ce qui est encore rattrapable.

Mesdames et Messieurs,

6) Comme vous le savez, la restauration de l’autorité de l’Etat est une étape capitale dans la reconquête et le contrôle des 15 préfectures dans lesquelles les groupes armés dictent leur Loi, massacrent les populations, nomment aux fonctions civiles et militaires, prélèvent l’impôt, s’accaparent des principales richesses du pays et font ce qu’ils veulent quand ils le veulent. Chaque action de restauration de l’autorité de l’Etat doit donc être minutieusement pensée et programmée avant d’être mise en œuvre.
Malheureusement, les décrets nommant les Préfets et les sous-préfets, ainsi que les conditions de leur installation traduisent un amateurisme et une impréparation de la part du Gouvernement. Aujourd’hui, notre pays ne peut et ne doit pas perdre le bras de fer créé avec les groupes armés à l’occasion de l’installation des préfets dans certaines localités. Des Chefs de guerre se permettent le luxe de remettre en question la signature du Chef de l’Etat et d’empêcher l’installation des Préfets et autres représentants de l’Etat. Le Gouvernement doit rattraper ces graves erreurs, comme il doit également rattraper la maladroite nomination de certains Ministres issus de groupes armés dans le Gouvernement, en violation de la Constitution et en dehors de tout cadre consensuel. En effet, dans la situation d’extrême fragilité que vit notre pays, il n’est pas responsable de poser des actes à priori destinés à apaiser le climat militaro-politique, sans s’assurer de l’impact réel qu’ils auront sur le terrain. Aujourd’hui, ces actes pris par l’Exécutif semblent au contraire avoir entraîné des raidissements et de la défiance chez certains chefs de guerre.
Nous savons tous que la qualité et la personnalité des personnes nommées participe pour beaucoup au respect et à la confiance qu’elles pourraient inspirer sur le terrain. Il en est de même des conditions de leur installation. Le Gouvernement doit rapidement corriger le tir et mieux organiser la restauration de l’autorité de l’Etat dans nos provinces.

7) Si l’on aborde le bilan de la situation sanitaire du pays en 2017, vous savez tous qu’il est catastrophique. Les hôpitaux et centres de santé manquent de tout. Le personnel médical, déjà très insuffisant à Bangui, déserte les centres de santé de l’arrière-pays pour des raisons de sécurité. La République Centrafricaine est devenue un mouroir à ciel ouvert, dans lequel le commerce le plus florissant est celui des pompes funèbres, c’est-à-dire la vente des cercueils et des couronnes mortuaires, la location des chapiteaux et j’en passe. Aujourd’hui, le centrafricain dépense la moitié de son temps dans les veillées mortuaires et les cérémonies funèbres. Là également, la politique du gouvernement, s’il y en a une, n’est pas lisible. Le volet santé est pourtant prévu dans le RCPCA et les bailleurs de fonds y sont très sensibles. Ils attendent juste que des projets concrets leurs soient présentés et ne comprennent pas que le gouvernement continue de tourner en rond dans un domaine où il est très aisé de mobiliser des ressources.

8) Il en est de même pour l’éducation de nos enfants, dont la scolarité a été durablement compromise en 2017. En effet, 40% des élèves n’ont pas pu aller à l’école durant l’année écoulée, pour plusieurs raisons :

  • les salles de classe servent de dortoir aux groupes armés ;
  • ces enfants vivent dans des camps de réfugiés ou en brousse ;
  • les instituteurs et professeurs ne peuvent pas exercer leur métier pour des raisons de sécurité ;
  • les parents n’ont plus les moyens de payer les maîtres parents, etc.

 

Dans les villes où la scolarité est possible, les établissements continuent de manquer de tout et les élèves sont assis à même le sol, entassés par centaines dans des salles de classe prévues pour une quarantaine d’élèves. Même à l’Université de Bangui, la situation ne fait qu’empirer. Pourtant, notre pays est dirigé aujourd’hui par des enseignants qui, mieux que quiconque, connaissent l’importance de l’éducation dans un pays ! Tout cela peut paraître anecdotique compte tenu de la longue liste des malheurs que connaît notre pays. Mais les conséquences seront extrêmement graves pour la RCA et pendant de très longues années, car ces enfants représentent l’avenir du pays et seront les dirigeants de demain.
Pourtant, comme pour la santé, le volet Education est prévu dans le RCPCA et les bailleurs de fonds sont dans l’attente de projets à financer.

Mesdames et Messieurs,

9) Au plan économique, le pays est à l’agonie, malgré le mirage d’un taux de croissance positif de l’économie brandi comme un trophée de guerre. Comme chacun le sait, 80% de notre pays est entre les mains des groupes armés qui exploitent à leur profit l’or, le diamant et le commerce du bétail et prélèvent les impôts et les taxes douanières. Les paysans ne peuvent plus aller au champ. Aucune politique n’est pensée pour booster les activités économiques dans les zones où la sécurité est encore préservée. Le climat des affaires est très morose et les quelques entreprises qui payent l’impôt sont harcelées et pressurisées. Par ailleurs, le rapport de la commission finances de l’Assemblée nationale souligne à juste titre que seuls 30% des importations sont taxés, les 70 % relevant des accords d’exonération des droits de douanes.

Le gouvernement a donc du pain sur la planche.

Dans ces conditions, ce n’est pas un forum des investisseurs qu’il fallait organiser puisque le pays ne réunit pas encore le minimum de conditions pour attirer les investisseurs. Notre pays a besoin de véritables Etats généraux de l’économie pour mettre tous les problèmes sur la table et y trouver des solutions concertées et organisées.

10) La lutte contre l’impunité n’est demeurée qu’un slogan. La justice de notre pays subit des actes et des décisions de soumission et d’instrumentalisation de la part de l’Exécutif, comme il n’y en a jamais eu par le passé. La séparation des pouvoirs prévue par la Constitution est foulée aux pieds. Le fait le plus récent est le scandale de la liste des OPJ de la Cour Pénale Spéciale.

Par ailleurs, la corruption a atteint un niveau jamais égalé. Les plus grands repris de justice occupent des positions dominantes dans la chaîne de décisions au plus haut sommet de l’Etat et les trafics de pierres précieuses sont opérés à des niveaux insoupçonnés.

11) Au plan politique, malgré des tentatives répétées des leaders politiques, toutes tendances confondues, de créer un climat de dialogue avec le pouvoir, la situation demeure très crispée. Le pouvoir fait fi de l’avis des partis politiques dits de la majorité, et nourrit beaucoup de ressentiment et de suspicion vis-à-vis des leaders de l’opposition démocratique, qu’il tente de museler par des accusations fantaisistes de tentatives de coups d’Etat.

Ainsi, chers amis, vous aurez constaté avec moi qu’en 2017 le pays a reculé sur tous les plans et qu’au stade actuel de nos analyses, aucun signal positif ne s’annonce pour freiner cette descente aux enfers. Nous sommes donc malheureusement pessimistes pour l’année 2018.

Je vous remercie pour votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

Anicet Georges Dologuélé

Bangui le 15 décembre 2017

Le 16 décembre 2017