Centrafrique : propos du PAN devant la conférence des présidents du 24 octobre 2018

  • Honorables vices-présidents
  • Honorables présidents des groupes parlementaires
  • Honorables présidents des commissions

 

L’article 12 de la loi organique n°17.011 du 14 mars 2018 portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale dispose :

"Le président de l’Assemblée nationale peut faire l’objet de procédure de destitution pour manquement aux devoirs de sa charge sur demande motivée d’un tiers 1/3 des députés".

De cette disposition, il ressort que la conférence des présidents doit s’assurer non seulement des motifs allégués mais aussi de l’identité des signataires et de l’authenticité des signatures.

La conférence des présidents doit prononcer la recevabilité ou la non recevabilité de la demande de destitution sur ce premier point.

Sur la recevabilité de cette demande de destitution.

Primo :

La demande de destitution qui comporte 9 pages a recueilli 95 signatures, et donc la condition minimale exigée est remplie. Mais on peut relever deux vices de procédure :

Il est avéré que certains députés ont émargé à la place des autres, sans leur avis. Dans ce cas, il est nécessaire et impérieux de vérifier scrupuleusement par acte notarié toutes les signatures avant l’inscription de la question à l’ordre du jour de la conférence des présidents -une telle action pourrait avoir une incidence non négligeable sur la recevabilité de cette demande de destitution-,

Ayant constaté beaucoup de cas de correspondances d’écritures et de signatures, il est fort possible que certains députés aient signé avec un ou plusieurs mandats de leurs collègues ou ce qui serait plus grave, sans leur avis. La loi n’autorise, dans le premier cas, qu’une seule procuration ou mandat.

A titre d’exemple, le député Yekatom, qui, dans la liste, était la 15e personne à signer cette demande de destitution, a dénoncé sur les ondes de la radio qu’il n’est pas l’auteur de cette signature. Il en est ainsi également des députés Ngaisse Eusèbe et Namtoua Jean Bosco. Si une telle information est confirmée, cela constitue une infraction grave et sanctionnée par le code pénal. Nous sommes en effet en présence de faux en écritures publiques.

L’on remarque par ailleurs qu’une seule personne a signé de la même signature pour 5 autres. Pour des possibles cas de doubles ou multiples signatures, le règlement Intérieur n’a pas prévu une telle procédure, ces signatures sont nulles et non avenues et doivent être constatées par acte notarié.

Le document ne porte pas l’en-tête officiel de l’Assemblée nationale et n’est pas daté. Pire, les différentes pages de la demande de destitution ne sont pas paraphées. Ce qui donne à penser qu’un texte apocryphe a été soumis à signature dans les conditions ci-dessus relevées sans que les signataires n’aient connaissance du contenu.

Secundo 

L’article 21 de la loi organique n°17.011 du 14 mars 2018 portant règlement Intérieur de l’Assemblée nationale dispose :

"Est interdite au sein de l’Assemblée nationale la constitution de groupes ayant pour objet la défense d’intérêts particuliers, locaux, professionnels, ethniques ou religieux ainsi que la formation des groupes exigeant de leurs membres l’acceptation d’un mandat impératif ".

La violation de ces dispositions "entraîne de plein droit la suspension du député concerné" -al 2 de l’art.21-.

Il est de notoriété publique que le changement intervenu dans la composition de la représentation nationale au sein du parlement panafricain est à l’origine de cette demande de destitution autour de laquelle s’est construite une convergence d’intérêts particuliers.

La procédure de destitution a été engagée par des députés connus. Il s’agit du député Dimbelet Nakoé du KNK, volant au secours du secrétaire général de son parti, le député Béa et qui va jusqu’à signer de sa propre signature pour le compte du Député Béa.

Le groupe parlementaire cœurs unis s’est joint à la manœuvre pour réduire à l’ombre le PAN et atteindre ses objectifs partisans et non nationaux.

Du début à son terme escompté, la procédure de destitution sera marquée par un vote impératif déguisé.

J’invite la conférence des présidents à constater formellement ces violations du règlement intérieur de notre Institution et à se prononcer sur le rejet de cette demande, motif pris de :

Sur le fond :

La principale question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si les raisons évoquées par ces partisans de destitution correspondent à celles prévues à l’article 70 de la Constitution et reprécisées à l’article 12 du Règlement Intérieur. Les raisons de cette destitution sont essentielles.

Article 12 :

Sont considérés comme manquements aux devoirs de sa charge :
1. Le fait de s’opposer de quelque manière que ce soit à ce que le Bureau de l’Assemblée nationale rende compte aux députés de ses activités et de sa gestion, conformément à l’article 130 de la présente loi organique portant Règlement Intérieur de ladite Institution,

2. La rétention délibérée du rapport d’une commission spéciale ad ad hoc à l’Assemblée,

3. La non transmission :
- De la résolution de mise en accusation du président de la République au procureur général Près la haute cour de justice, conformément aux alinéas 2 et 3 combinés de l’article 125 de la Constitution du 30 mars 2016,
- De la décision de mise en accusation des Députés, conformément aux dispositions de l’article 123 de la Constitution du 30 mars 2018.

Les raisons évoquées face à celles prévues à l’article 12 du règlement intérieur.

Première raison de destitution évoquée : rétention du rapport de la cour des Comptes et celui de la mission d’audit. Dans la lettre de destitution, les partisans ont estimé que le fait pour le PAN de ne pas transférer ces deux rapports est un manquement au sens de l’alinéa 2 de l’article 12.

Observations :

Cet argument est réfutable devant la rigueur juridique de l’alinéa 2 de l’article 12 qui ne prévoit la rétention de rapports que dans deux cas : le rapport d’une commission spéciale ou ad hoc. Le rapport de la Cour des Comptes et celui d’audit n’en fait pas partie. La Cour des comptes n’est ni une commission spéciale, ni une commission ad’hoc. Le rapport d’audit, non plus.

Deuxièmement, il sera aisé de démontrer que la cour des comptes n’a jamais transmis au président de l’Assemblée nationale un quelconque Rapport à l’issue de ses investigations en 2016.

Par contre, le président de l’Assemblée nationale a reçu en audience une délégation de la Cour des Comptes. Le Rapport d’activités 2017 du Bureau de l’Assemblée nationale comporte en annexe le Compte rendu ou procès-verbal de restitution à mi parcours de la mission de la Cour des Comptes.

Ce procès-verbal a été dressé par le conseiller financier -à l’époque M. Yakoro- à l’issue de cette audience à la délégation de la Cour des comptes conduite par le magistrat Pascal Tomandji le 14 décembre 2016.

Aussi bien le Bureau que la plénière ont donc eu connaissance des observations de la Cour des Comptes. C’est donc à tort que ce motif de rétention de rapport est retenu par les signataires de la demande de destitution.

Selon la procédure requise, les dossiers touchant l’aspect pénal ont été transmis à la Cour par l’ancien président de la deuxième chambre de la cour des comptes pour audition des concernés.

Le reste est affaire de procédure judiciaire sur laquelle ni le président de l’Assemblée nationale ni aucun d’entre nous, députés de la Nation, n’a aucune prise.

Deuxième raison de destitution évoquée : Marché de gré à gré

La procédure d’autorisation exceptionnelle de sélection par entente directe est bel et bien prévue par le Code de passation des marchés publics. Cette procédure a été déclenchée sur Accord du Bureau de l’Assemblée nationale en 2016 au lendemain de mon élection au perchoir pour des raisons sur lesquelles je reviendrai dans le détail.

Ma correspondance datée du 11 novembre 2016 à la direction générale des marchés publics et la réponse en date du 23 novembre 2016 du directeur général des marchés publics, les différents Avis de non objection de la DGMP et les différents contrats signés avec l’entreprise O BECAIR, l’entreprise JEFF ELECTRONIC, l’entreprise ACENETWORK LTD lesquels contrats ont été visés par la Direction du Contrôle Financier au Ministère des Finances, la direction générale des marchés publics, les états de paiements de ces contrats sur l’appel de fonds de 80 millions FCA seront présentés le moment venu.

Ce que je puis dire, c’est que des problèmes de santé entraînant des difficultés de mobilité m’ont contraint à emménager au rez-de-chaussée et à y faire mener des travaux de réfection de la salle d’attente et de mon bureau. Le tout, après accord du bureau et après avis de la direction générale des marchés qui avait retenu l’urgence avait demandé que soit inscrite au budget 2017, le coût de ces travaux.

Troisième raison de destitution évoquée : les kits

Dès l’installation de l’actuelle législature, Madame Dekono née Dekandji Agnès,  chargée de mission genre à l’Assemblée nationale s’est rapprochée du Bureau pour livrer des kits commandés par la Transition et demande paiement de la facture qui s’élève à 322 millions Fcfa.

Il y avait un besoin évident et les kits sont livrés.

Après plusieurs explications, le président a autorisé d’inscrire au collectif budgétaire la somme de 100 millions Fcfa. Le Collectif a été voté et un appel de fonds a été émis le 2 décembre 2016.

Un deuxième appel de fonds a été émis le 8 Mai 2016 en remplacement de celui de 2016 tombé dans la masse en raison des contraintes budgétaires.

En août 2017, un règlement de 100 millions a été effectué en présence de la directrice générale des finances, du matériel et de la logistique et de la questeure, l’Honorable Mboulou Bernadette.

Curieusement, un second appel de fonds de 100 millions est payé quelques jours seulement après, sans la présence des responsables de l’Assemblée nationale et sans qu’aucun appel de fonds n’ait été émis par les services financiers de l’Assemblée nationale. Des mesures conservatoires ont été prises par la DGFML à la suite de ce paiement.

En 2018, le solde de la facture de Dame Dekono a été payé sur un appel de fonds signé du 1er vice-président de l’Assemblée nationale et sans la présence des responsables de l’Assemblée nationale.

Le 27 août 2018, le Président de l’Assemblée nationale a saisi le ministre des finances et du budget d’une demande de communication des copies de pièces du dossier du dernier paiement -Appel de fonds, Décharge du payeur de l’Assemblée nationale seule habilité à décaisser les fonds, copie du chèque de règlement.- Cette lettre demeure sans suite à ce jour.

4 e raison de destitution évoquée : Manipulation du budget de l’Assemblée nationale

Pourquoi ? Et pour qui ?

Suite à la lettre du président de la commission finances de l’Assemblée nationale, un arrêté déterminant le programme d’emploi rectificatif de la dotation globale de l’Assemblée nationale pour l’exercice 2018 a été pris par le président de l’Assemblée nationale pour tenir compte des lignes de fonctionnement qui ne l’avaient pas été auparavant.

Ce qui est sûr, c’est que suite au rapprochement des chiffres opérés par un Comptable public mis à disposition à ma demande par le Ministre des Finances et du Budget, sur le premier semestre de l’année en cours, l’Assemblée Nationale était à 49% de consommation de son budget.

Ce qui est établi également, c’est que sur le 1er trimestre de l’année en cours, le poste mission était à environ 57 millions. Du mois d’avril au mois de juin, pendant que je me trouvais en soins en France, ce poste a explosé à 144 millions. De sorte qu’à ce jour, nous accusons une augmentation de près de 300 % sur la ligne mission. Il en est de même des évacuations sanitaires.

L’opinion nationale et internationale sait que des missions ne sont pas effectuées alors que des frais de mission sont empochés, des titres de transport utilisées ou monnayées. Le scandale de notre collègue Dame Béa est encore dans toutes les mémoires.

Cinquième raison de destitution évoquée : le PAN a fait "un mouvement général du personnel en augmentant considérablement le nombre des membres de son cabinet et en ne se basant que sur des critères subjectifs violant les textes qui régissent la fonction publique parlementaire".

Cette raison, avec en filigrane le cas du conseiller juridique Jean-François Akandji-Kombé qui "vit et salarié en France", avec "les dépenses en billets d’avion, pour le faire revenir à Bangui plusieurs fois dans l’année sont forts élevés" .

Observation :

La Cour constitutionnelle centrafricaine a rappelé dans son avis n° 007/CC/18 du 19 septembre 2018 "Sur la demande d’avis du président de l’Assemblée nationale relative à l’interprétation de certaines dispositions de la loi organique n° 017.011 du 14 mars 2017 portant règlement Intérieur de l’Assemblée nationale" que la décision de nomination des membres du Cabinet du Président de l’Assemblée nationale "est un pouvoir propre du président" pour deux raisons :

1ère raison : le cabinet est un organe restreint, composé de collaborateurs personnels choisis par le président, ayant pour mission de le conseiller et de l’assister dans la réalisation de l’ensemble de ses missions.

2e raison : la science administrative centrafricaine n’applique pas le système dit "des dépouilles", un procédé permettant de renvoyer un nombre important de fonctionnaires et de les remplacer par d’autres, politiquement des proches, l’existence d’un cabinet s’explique par la nécessité pour le chef d’une Institution de pouvoir compter sur une équipe dévouée qu’il a lui même choisie.

C’est dire que, conclut la cour constitutionnelle, Le président de l’Assemblée nationale a le pouvoir de nommer et de révoquer librement les membres de son cabinet.

Il est remarquable de noter que tous les griefs relevés à la suite de l’évocation de la situation du conseiller juridique du président de l’Assemblée nationale sont repris en totalité du procès verbal de l’audience accordée à la délégation de la Cour des comptes le 14 décembre 2016. Ce qui vient détruire le motif allégué de rétention d’informations.
Sur tous ces griefs, je précise une fois de plus que la Cour des comptes n’a jamais transmis de Rapport et que les auteurs présumés de ces actes devraient faire l’objet d’audition par les instances judiciaires habilitées.

Conclusion générale

Il faut qu’une demande de destitution soit justifiée par les raisons prévues par la Constitution -article 70- et le règlement intérieur -article 12-. Seules ces raisons énumérées ci-haut sont valables et non d’autres qui ne peuvent absolument pas y être ajoutées.

La gestion ou la mauvaise gestion de l’Assemblée nationale n’est pas retenue parmi les motifs de destitution du Président de l’Assemblée en cours de mandat. La commission de vontrôle de comptabilité, mécanisme interne à l’Assemblée nationale, la Cour des comptes et la haute autorité de la bonne gouvernance sont à pied d’œuvre pour tirer au clair la gestion de notre Institution.

Il y a lieu de s’interroger, pour s’en inquiéter et faire échec à une fuite en avant des principaux initiateurs de cette demande de destitution, sur les motivations réelles de cette grossière opération d’enfumage qui ne vise qu’à se protéger des conclusions de ces investigations.

Je relève par ailleurs que les principaux initiateurs se sont organisés pour être absents au moment du débat en plénière en sollicitant des autorisations d’absence aussi suspectes que bien compréhensibles, confirmant la violation de l’art.21 de notre règlement intérieur. C’est ainsi que les 3 premiers signataires de cette demande de destitution ne sont pas parmi nous, à savoir les députés Dimbélé, Béa Bertin et Béa Nadia.

Sur les autres aspects tels que les visites spontanées aux collaborateurs, je remarque que le 1er vice-président de l’Assemblée nationale est le responsable de l’administration si on s’en tient à l’art.16 al. A du R.I

J’admets que sans y être expressément obligé, ce point de management humain aurait du attirer mon attention, comme je le vois depuis que je préside personnellement les réunions de mon cabinet. Cela fait partie des leçons que je me dois de tirer du présent exercice de même que s’impose l’évidence d’un organigramme du cabinet et des services de l’Assemblée nationale, outil important de l’amélioration de la performance de notre noble Institution.

Le rassemblement et l’unité dans la diversité que j’appelle de tous mes voeux depuis l’ouverture de la présente session résultera des nécessaires adaptations auxquelles il nous faudra d’un commun accord procéder au bénéfice de tous et garantira davantage la stabilité et la crédibilité de notre Institution

Chers collègues je m’en remets à votre sagesse.

Bangui le 24 octobre 2018