Le vivre ensemble dans la diversité

Le vivre ensemble dans la diversité : Combiner le programme DDRR-RSS et une politique de décentralisation pour préserver l’unité et la sécurité en Centrafrique

Notre République est à la recherche d’un modèle de vivre ensemble qui fournit paix et sécurité et qui soit compatible avec l’essentiel de ses valeurs républicaines, en particulier l’unité du Pays, la liberté des Individus et l’égalité des Territoires. Dans cette perspective, la politique du Président Faustin Archange Touadera se concentre, à côté des urgences du quotidien, délibérément sur la problématique d’une reconstruction de l’État.

Étymologiquement, reconstruire, c’est construire à nouveau. Pour nous, Centrafricains, c’est mettre en place des institutions nouvelles qui permettent à nos territoires et à nos habitants de vivre en paix, de vivre mieux, d’avoir l’ambition de devenir un pays modèle pour le reste de l’Afrique, les donner une forme légitime. Envisagée comme tel, l’idée de "reconstruction" implique une relecture de notre histoire institutionnelle, un bilan objectif. Ce bilan nous est, malheureusement, donné par nos souffrances communes : ce qui existe ne fonctionne pas -ou ne fonctionne plus-, l’intérêt de tous commande donc un changement revoyant les contours actuels et la nécessité de rebâtir. Que faut-il reconstruire lorsque le Président fait du DDRR-RSS le maillon essentiel de sa politique ?

Investir dans la décentralisation et la gouvernance locale

L’impatience légitime de la population, l’insécurité endémique, le besoin structurel des fonctionnaires de trouver un cadre et des missions claires, les incertitudes politiques, les idées sécessionnistes doivent trouver les solutions durables dans la reconstruction des rapports État-collectivités territoriales et sécurité initiés simultanément à la mise en œuvre des objectifs du DDRR-RSS.

La "reconstruction" constitue un projet de "réengagement" du pays sur de nouveaux principes directeurs ou sur le raffermissement de ceux-ci.  Comment alors peut-on rebâtir l’édifice ?  Ce débat doit être l’affaire de tous et doit, sous la direction du Président de la République, être exemplaire et participatif. Cet article a donc comme but d’exposer ma participation à ce débat.

Pour ma part, il me semblerait pertinent de procéder, d’une part, à une réorganisation de l’administration et la redistribution des rôles au sein de l’appareil étatique et, d’autre part, de promouvoir une nouvelle conception de sécurité, devenue le point focal aussi bien pour la classe politique centrafricaine que pour les citoyens. Cette reconstruction s’avère in fine démocratique et ne peut aujourd’hui émaner substantiellement que des territoires. 

Ce grand projet législatif de réforme administrative et territoriale devra résolument s’inscrire dans une vision décentralisatrice en vue d’établir sur des bases durables (et nouvelles) une bonne gouvernance par le bas, c’est-à-dire permettre la reconnaissance par l’État d’autres personnes publiques habilitées à intervenir dans des domaines précisément fixés avec un pouvoir de décision et disposant dans cette action d’une certaine autonomie.

Syncrétisme des aspirations de multiples acteurs, celle-ci a une visée pragmatique : elle exige plus d’efficacité dans la gestion publique.  Mais elle a également une visée politique, car elle offre une opportunité à de nouveaux acteurs politiques, au-delà de la capitale Bangui et des institutions nationales, de s’inscrire dans la légitimité républicaine et démocratique, de représenter un courant d’idées territoriales lors des consultations électorales locales et de concourir, ensuite, avec l’État à l’administration et à l’aménagement du territoire, au développement économique, social et à l’amélioration du cadre de vie de leurs concitoyens.

La décentralisation favorise d’abord la compréhension et finalement le contrôle par les citoyens de l’action politique. Elle rime aussi avec innovation car elle a pour vocation d’édifier de nouveaux "soubassements" et de redéfinir les contours relationnels d’une nouvelle dialectique Bangui-province qui relégitimise l’État.

S’engager en gérant les conflits d’intérêts et tensions

Il est fort probable que le DDRR-RSS, combiné à cette technologie institutionnelle de bonne gouvernance et de rationalisation des choix publics, puisse rencontrer d’évidents facteurs bloquants au premier rang desquels la réticence de l’appareil d’État tout aussi inavouée qu’explicite de conférer une certaine autonomie, notamment en matière de finances publiques aux nouveaux acteurs « du territoire ». En effet, dans le contexte centrafricain, la crainte du pouvoir central de devoir partager son pouvoir avec d’autres acteurs et certains élus locaux pourrait paralyser toute idée de rénovation et de modernisation de l’offre publique. C’est un problème classique, il suffit de voir toutes les difficultés de mettre en place une vraie décentralisation en France en voyant les nombreuses tentatives de recentralisation jusqu’à encore récemment. Un débat ouvert, tout azimut et transparent devrait pouvoir convaincre.

Après 56 ans d’indépendance rythmée par une gestion erratique de la République, la réforme administrative et territoriale initiée par la décentralisation doit s’imposer par elle-même. Il n’est guère possible de retarder l’échéance, eu égard à l’environnement politique actuel et aux défis immenses qui s’imposent à notre Nation.

Légitimer les acteurs locaux par l’expression démocratique citoyenne

Le succès du processus de modernisation des forces de défense et sécurité ou du programme DDRR-RSS suppose qu’à la forme autoritaire d’unité assurée par un État qui avait, face à une société passive voire implorante, le monopole des moyens importants, doit succéder une unité obtenue par coopération entre les représentants de l’État chargés de rappeler la règle commune-nationale et ceux qui ont la responsabilité des affaires territoriales : les élus locaux.

Évidemment, dans un système démocratique, la sécurité doit être un bien commun.  Dès lors, doit être abordée du point de vue des citoyens, de ceux qui vivent et ressentent l’insécurité. Elle doit être aussi abordée comme un droit, un droit auquel tout le monde doit y avoir accès et c’est aux pouvoirs publics (au niveau central et au niveau local) de le garantir- L’absence d’un réel pouvoir local n’a-t-elle pas facilité la propagation de l’insécurité dans nos provinces ? Et l’absence d’un pouvoir légitime autre que le pouvoir suprême, même s’il se situe à un autre niveau, ne provoque-t-elle pas le risque logique d’une concentration et une focalisation des mécontentements vers le Président de la République et vers les institutions nationales ?- La décentralisation, avec la création des collectivités autonomes, avec une classe politique différente et locale, avec des hommes et des femmes politiques qui sont directement et quotidiennement responsables de leurs actes et de leurs actions (ou inactions…) devant leurs concitoyens sera un mur de fer contre les désordres, la rébellion et la misère.

Bien sûr, la sécurité de nos concitoyens, celle qu’attendent les forces qui veulent agir pour leur Pays, est concrètement un monopole de l’État qui l’impose par les tribunaux et s’il le faut par la contrainte. Mais le travail pour retrouver ce monopole, nous le savons l’État n’a aujourd’hui pas tous les moyens à sa disposition pour l’exercer, ne doit pas faire oublier ou mettre au second plan, le travail pour une pacification globale de notre société dont un des chemins passe, selon moi, par la reconstruction institutionnelle de notre République.

L’État doit avoir un monopole dans ses domaines régaliens, mais pour le reste il ne doit point détenir le monopole de tout.

Alphone Goueth

Le 10 septembre 2016

Il est interessant d'avoir à l'esprit l'article paru le 13 mars 2016 cliquez sur Si j'étais la mandature FAT 2016 - 2021 en Répubique centrafricaine