Pélerinage au sanctuaire marial de Ngukomba : homélie du cardinal Nzapalainga

Nous, Église famille de Dieu à Bangui, célébrons dans la joie la solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, Mère de Dieu et Mère de l’Eglise. Ce dogme nous enseigne que Marie, notre Mère dans la foi et notre sœur en humanité, a été préservée du péché originel dès sa naissance en vue de l’Incarnation de notre Seigneur. Les mots de salutation de l’Ange Gabriel attestent l’être exceptionnel de la fille de Sion : "Je te salue Comblée-de-grâces, le Seigneur est avec toi."

 

Mère spirituelle de la multitude promise à Abraham (Gn 17, 5), Marie nous donne un modèle de la famille authentique que le Seigneur nous invite à constituer aujourd’hui et maintenant. Rappelons-nous que le thème choisi, devant guider nos activités pastorales cette année, c’est la famille.

Ngukomba : une famille en marche

Frères et sœurs,

Comme Joseph, Marie et l’Enfant Jésus lorsqu’ils effectuaient le pèlerinage à Jérusalem pour la fête de la Pâque (Lc 2, 41), c’est en famille que nous avons convergé vers Ngukomba répondant à la convocation du Seigneur. En frères et sœurs de sang nous avons marché jusqu’ici à Ngukomba. Mais encore, transcendant les liens charnels, par la force de l’Esprit, nous sommes ici, très nombreux, réunis par la fraternité spirituelle : mouvements et fraternités, groupes de prières, associations chrétiennes. Plusieurs jours durant, à travers les triduums, récollections et autres formes de piété, nous avons assidûment préparé ce grand jour. Les fruits de nos prières sont fécondés par le soutien que nous nous apportons les uns aux autres, comme une grande famille : ici à Ngukomba, sont aussi présents des pèlerins venus d’autres diocèses, d’autres pays, d’autres confessions religieuses et encore les membres du gouvernement de notre pays. C’est le peuple de Dieu que la Vierge Marie rassemble aujourd’hui et qu’elle conduit vers son Fils Jésus.

Ngukomba : en marche vers le Temple

Frères et sœurs,

La Vierge Marie veut nous conduire au Temple, le lieu de la rencontre avec le Seigneur. Elle veut nous mener jusqu’au Saint des Saints qu’elle a abrité. Oui, elle la nouvelle Arche de l’Alliance voudrait que nous fassions l’expérience de la proximité de son Fils : elle ne peut que nous permettre de rencontrer intimement et authentiquement Jésus dont elle a été mère et fidèle disciple. Oui, de tout temps, Marie est la voix qui nous dit : "Faites ce qu’il vous dira" (Jn 2, 5), nous qui cherchons le Seigneur pour nous rassasier de sa présence, pour nous renouveler à la fontaine inépuisable de sa miséricorde et pour lui confier nos peines et misères.

En arrivant à Ngukomba, guidés par notre Mère, nous avons découvert avec émerveillement une nouvelle église. Elle a été bâtie en quelques mois seulement grâce à toutes les contributions que nous avons pu collecter, les nôtres ici en République Centrafricaine, ainsi que celles qui, nombreuses aussi, sont venues de l’étranger. Le grand élan de générosité de nous tous qui aimons le Seigneur et sa Mère a permis la naissance d’un nouveau lieu de culte. Que le nom du Seigneur soit béni, Lui au sujet de qui le psalmiste dit : "Si le Seigneur ne bâtit la maison, c’est en vain que travaillent les bâtisseurs !" (Ps 126, 1)

Frères et sœurs,

Le Seigneur était à l’origine de ce projet et son souffle d’amour a accompagné sa réalisation jusqu’à son terme. "Mu na Nzapa fade Nzapa a mu na mo", avons-nous choisi comme slogan pour rappeler qu’en Dieu la logique du don est ininterrompue : Dieu est Don, il est la gratuité par excellence, et notre don, loin d’être une recherche de rétribution, est communion à sa vie. Notre don exprime notre gratitude, notre action de grâce à Celui grâce à qui nous pouvons tout (Ph 4, 13). La construction de cette église en si peu de temps est un miracle, le miracle de la foi, de l’espérance et de la charité. Cette église, ainsi que le chante aujourd’hui le psalmiste, atteste la victoire du Seigneur, victoire acquise par son bras très saint, par sa main puissante. À travers notre multitude, la diversité de nos provenances et aussi la diversité des provenances de nos contributions nous pouvons proclamer nous aussi que : "La terre tout entière a vu la victoire de Dieu". Oui, Famille de Dieu, en Centrafrique, aujourd’hui acclame le Seigneur, chante et joue !

À travers la construction de ce temple, le Seigneur nous a éloquemment éduqués : il nous a appris qu’un peuple qui se mobilise pour une noble cause, c’est une famille qui se lève. Oui, Dieu ne peut pas être insensible au fait de marcher en famille, de prier en famille et de construire en famille.

Que ce modeste exemple nous serve d’école, à nous qui aspirons tous au désir ardent de reconstruire notre pays en ruine : il est primordial que nous nous fédérions autour de projets communs pour que la reconstruction de notre nation soit authentique. Nous ne réussirons pas tant que nous ne formerons pas une famille. Que nous soyons issus de l’Est, de l’Ouest, du Nord ou du Sud de ce pays ; que nous appartenions à la communauté musulmane, protestante et catholique, tous nous sommes centrafricains et sommes appelés à former une seule famille. Comme au retour de l’exil ou le prophète Aggée appelait le peuple à s’unir et à se mobiliser pour la reconstruction d’Israël, pour nous aussi le moment est venu de transcender les clivages et d’œuvrer ensemble pour la reconstruction de la famille centrafricaine.

"Chrétiens de l’Archidiocèse de Bangui, debout, sois responsable de ta famille !" avons-nous clamé lors de la rentrée pastorale diocésaine. Je voudrais aujourd’hui paraphraser ce slogan et en étendre l’extension à tout le peuple centrafricain pour rappeler à notre peuple dans sa diversité que l’heure est venue de se mettre debout et de mobiliser nos toutes énergies, toutes nos forces pour repartir et rebâtir notre terre l

La Vierge Marie qui est honorée aujourd’hui est un modèle d’espérance et de courage : il leur a fallu, à Joseph et elle, faire montre d’un courage exceptionnel pour prendre soin du Fils de Dieu, même quand il était menacé de mort (cf. la fuite en Egypte). Comme Marie et son époux, quand le spectre de la mort menace la concorde dans notre pays, ayons le courage d’être ensemble et d’œuvrer ensemble. Oui, Marie porte la sagesse qui devrait nous inspirer.

Marie est éclairée par la sagesse divine

À cause de son fiat, nous pouvons dire que la conduite de Marie tout au long de la vie terrestre de son Fils a été éclairée par la Sagesse divine. Dans la première lecture de la messe de ce jour, il est fait mention d’Eve, "la mère de tous les vivants". Eve a désobéi au commandement de Dieu et par conséquent elle a enfanté une humanité profondément marquée par le péché. Marie, elle, est tout auréolée de la présence divine. Lors de l’Annonciation ce n’est pas le serpent, ou le démon à qui elle fait face mais l’ange du Seigneur. Et parce qu’en toute liberté elle obéit à la voix du Seigneur, Marie engendre la vie. Elle inaugure une humanité nouvelle : elle est mère de la vie en Christ. Marie fut une bonne guide car elle conduisit l’enfant Jésus au temple, ce qui fait comprendre qu’avec Joseph ils lui ont prodigué une solide éducation religieuse depuis son plus jeune âge. Dans l’épisode de l’enfant Jésus retrouvé au temple l’évangéliste précise que c’est elle qui parle : "Ton père et moi nous te cherchions avec angoisse"(Lc 2, 48). La sainte Vierge s’est exprimée dans l’intérêt de toute la famille et nous montre que dans une famille, la singularité n’exclut pas la communion, la collaboration.

Au moment de la crucifixion de Jésus, Notre Dame des douleurs était là et avec foi elle a accueilli les paroles de son Fils faisant d’elle la Mère de l’Eglise (Jn 19, 26). Je voudrais au cours de cette méditation, grâce à la figure maternelle de Notre Dame de l’Oubangui, évoquer spécialement la détresse de toutes les mères du Centrafrique qui, dans la précarité, souffrent de ne pas pouvoir éduquer convenablement leurs enfants. Je les confie à la puissante intercession de Marie : fidèle adoratrice de notre Seigneur, qu’elle dépose sur l’autel de son Fils vos espoirs et votre volonté active de bien faire, chères filles et femmes du Centrafrique. Que fort de notre prière à Marie, nous nous engagions, chacun et chacune de nous, à apporter aux femmes de notre pays le soutien et la dignité qu'elles méritent dans la tâche difficile et noble d'élever des enfants, filles et garçons.

Je vous invite toutes, filles et femmes de l’Archidiocèse de Bangui et du Centrafrique en général, à voir en Marie un modèle de féminité et de maternité à imiter. Dans nos sociétés où nous devons encore nous battre pour que les droits de la femme soient effectivement pris en compte et sa dignité rehaussée, il arrive que nous perdions conscience du rôle crucial que les femmes peuvent jouer pour la promotion de la vie et le bonheur des familles. Marie est la joie de Dieu parce qu’elle a su coopérer à l’œuvre du salut de son Fils. Vous aussi vous pouvez coopérer à son œuvre pour le salut de nos sociétés si vous remplissez effectivement votre rôle de mères et de guides. Je ne suis pas ignorant de toutes les souffrances que vous endurez présentement ici et à l’intérieur du Centrafrique. Femmes battues, femmes violées, femmes abandonnées, femmes meurtries par la disparition tragique de leur époux, de leurs enfants, femmes illettrées ou analphabètes, femmes accusées de sorcellerie, Notre Dame des Douleurs communie à votre souffrance. Je me fais l’écho de sa voix pour appeler notre société à œuvrer pour le relèvement de la femme centrafricaine qui souffre. J’insiste sur le devoir d’instruire la femme, la fille. Dans plusieurs endroits elles sont non seulement interdites de fréquenter l’école, d’y cheminer aussi loin que les garçons mais, pis encore, il n’y a même pas d’école. Notre nation se meurt si l’on ne permet pas à la femme d’exercer son rôle de pilier de la famille. Mes filles, vous qui avez l’opportunité d’aller à l’école, saisissez-la, appliquez-vous !

Frères et sœurs,

Au cours de cette célébration eucharistique demandons au Seigneur, par l’intercession de la Vierge Marie, d’aider nos familles à vivre une authentique fraternité.

Ô Notre-Dame de l’Oubangui intercède pour nous afin que nos familles biologiques et spirituelles soient des lieux de prières, d’éducation, de rencontre authentique et de pardon, des lieux de relecture, de critique constructive et de projection ; oui des lieux où on peut s’asseoir ensemble, prier ensemble, manger ensemble et parler de ce futur à construire. Prie le Père et le Fils de nous envoyer l’Esprit de sagesse afin que nous sachions fonder nos vies sur les repères que les années de tribulations nous ont fait perdre au nombre desquels la joie d’être ensemble, le bonheur d’assister et de visiter gratuitement les autres. Amen.

Cardinal Dieudonné Nzapalainga - Archevêque  Métropolitain  de  Bangui

Le 9 décembre 2017