Sur le chemin de Bruxelles pour la table ronde de toutes les espérances...et dérives

Par Guy José Kossa

Ayant délaissé "dieu" pour un moment, les centrafricains semblent avoir découvert depuis quelques temps, une espèce de bouée de sauvetage, une planche de salut à laquelle s’arc-bouter : la table ronde de Bruxelles.

Tout le monde en parle, mais la plupart des gens ignorent de quoi il s’agit véritablement. Alors, on y pense en ces termes : c’est la réunion à l’issue de laquelle, la RCA va avoir de l’argent, beaucoup d’argent. Le Président de la République lui-même, ainsi que ses ministres et conseillers, reviendront à Bangui – après un éventuel détour par Rome pour assister à l’élévation par le Pape François de Dieudonné Nzapalainga à la dignité de Cardinal -, avec des valises bénies et remplies d’une quantité énorme de liquidités, destinées à résoudre tous les problèmes d’insécurité et de pauvreté de tous les centrafricains.

Et dites-vous bien, ceci n’est pas le produit de l’imaginaire du centrafricain de la rue, ou le fruit de la réflexion féconde de l’un de "ces cafardeux qui troublent perpétuellement de leur humeur maussade la joie du peuple". Non, c’est ici, la définition et l’explication que certains officiels laissent entendre ou sous-entendre de la table ronde de Bruxelles.

La dernière fois, après avoir pris connaissance de mon article publié sous le titre "QUAND DES GANGS TERRITORIAUX S’ENRACINENT ET RUSENT AVEC UN POUVOIR QUI S’USE ET SE DISCRÉDITE", un ami de mes connaissances, politiquement bien placé à Bangui, a cru devoir décrocher son téléphone pour m’asséner les mots "très gentils" que voici :

"GJK! Quand te décideras-tu enfin à fermer définitivement ta grande gueule. Arrêtes d’écrire des insanités et des mensonges, et dépêches-toi de venir prendre le poste qu’on te propose ici, et tu verras toi-même la réalité. En plus, saches une chose : Bruxelles c’est pour bientôt. Dans moins de trois mois, on ne parlera plus ni de rebelles, ni de tes gangs territoriaux, ni d’armes. La RCA n’aura plus de problèmes d’argent et elle va pouvoir enfin décoller".

Il en faut plus, pour me déstabiliser.

Pour toute réponse, j’ai préféré pour une fois garder le silence – ce qui n’est pas ma principale qualité -, mais après avoir raccroché, j’ai senti une espèce de boule, remonter subitement du fond de ma gorge, qui a bien failli m’étouffer.

Ainsi, on n’oublie que la table ronde de Bruxelles – à moins que je me trompe dangereusement à mon tour -, est plutôt une grande réunion organisée par l’Union européenne, dans le but de susciter l’intérêt des bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, sur le drame centrafricain, et à l’occasion de laquelle, les grands projets de développement du gouvernement, devront être présentés, dans le but de chercher à obtenir des promesses de financements des projets validés. Ceci dit, l’Union européenne projette et espère recueillir de cette façon, environ 3 milliards de dollars de ressources mobilisées, pour des investissements qui vont s’étendre sur les trois (3) prochaines années. Tout cela, afin de parvenir à relancer l’économie centrafricaine par la mise en œuvre de grands travaux. Enfin, il faut bien préciser, que cette table ronde est l’œuvre de l’Union européenne et de la Banque Mondiale qui sont les principales co-organisatrices, auxquelles il faut adjoindre le Fonds Monétaire International (FMI), qui a bien voulu accorder en juillet dernier, une facilité élargie de crédit à la RCA.

Présentée de cette manière, où voit-on les caisses du Trésor public centrafricain remplies de billets de banques dès le 18 novembre 2016, comme l’on veut insidieusement le faire croire au peuple naïf, dans le but d’expliquer et de justifier l’absence de réalisations depuis six mois, et arriver ainsi – espère-t-on -, à gagner du temps et à taire les impatiences qui grondent ? Mais jusqu’à quand et où veut-on nous amener ?

Que n’entend-on donc pas dire à l’heure actuelle, au sujet de la fameuse table ronde de Bruxelles, dont personne ne peut parier de manière certaine, sur les retombées auxquelles la RCA peut s’attendre raisonnablement ? Et voilà des responsables en fonction, tous, en train de distiller des informations qu’ils ne maîtrisent pas du tout. À moins que cela participe d’une stratégie de diversion.

Par ailleurs, on se demande, quel sort malicieux semble ainsi s’abattre indéfiniment sur cette République centrafricaine, où, rien de ce qui apparaît pourtant normal et facile ailleurs, ne parvient au grand jamais, à bien s’y concevoir, s’énoncer ou se préparer clairement, encore moins, se dérouler et s’achever aisément, c’est-à-dire sans difficultés et autres problèmes grossièrement et volontairement créés.

Et c’est maintenant au tour de la table ronde de Bruxelles d’être prise dans les mailles du filet de l’impréparation caractérisée, ou plus exactement, d’une préparation suspectée d’ores et déjà, de donner lieu à de multiples magouilles que viennent confirmer des dénonciations de plus en plus insistantes. C’est le cas des membres du secrétariat technique mise en place pour accompagner ce projet, et qui s’estiment aujourd’hui victimes de mise à l’écart, quand bien même leur absence à Bruxelles parait difficilement concevable. Il en est également ainsi, de la situation confuse des représentants de plusieurs associations identifiées par l’Union européenne, le PNUD, l’UNFPA ou d’autres agences onusiennes, que le Ministre du plan – devenu invisible depuis lors -, envisagerait en personne, d’écarter de force, au profit d’une liste établie depuis la Présidence de la République, liste comportant les noms de certains responsables qui, du point de vue purement technique ou des attributions, n’ont absolument rien à voir de loin ou de près, avec cette table ronde, hormis le fait qu’elle leur offrirait une opportunité supplémentaire de mission officielle, surtout financièrement avantageuse.

Au-delà de tout, on voit poindre à l’horizon, les regards avides de tous ces margoulins qui salivent déjà, à l’idée d’avoir à gérer bientôt des dizaines de milliards de Fcfa. En perspective, que de châteaux construits en Espagne ! D’appartements payés à tour de bras dans l’hexagone ou ailleurs – en plus de ce que l’on a acquis à peine arrivé -, ainsi que des comptes à ouvrir dans des paradis fiscaux ! Et patati patata.

Tout cela, "grâce à Bruxelles !", suis-je tenté de m’écrier, comme jadis, l’opération Barracuda en Centrafrique, occasionna de grandes casses perpétrées au cri de "grâce à Dacko" !

Cependant, que les centrafricains veuillent se rassurer. Les bailleurs de fonds ne sont plus dupes. Mieux, la RCA traîne avec elle une telle réputation de détournements, mauvaise gestion et autre gabegie, que le moindre centime à accorder à notre pays, est désormais assorti systématiquement de conditionnalités à vous couper le souffle et enlever même l’envie d’accepter ces dons.

D’ailleurs, il y’a moins d’une semaine, chacun a dû suivre sur les ondes de RFI, l’interview accordée par Abdou Karim Meckassoua, le Président de l’Assemblée Nationale. La voix de l’homme sentait une telle lassitude, autant qu’elle cachait à peine son agacement. J’ai noté ceci :

"Oui, les besoins de la République centrafricaine dépassent les 3 milliards. Donc si nous développons un bon plaidoyer, cet objectif peut être aisément atteint. Par contre, je peux vous dire que tous les bailleurs sont soucieux d’une chose. C’est la redevabilité, la reddition de compte. Et c’est ce que nous, au niveau de l’Assemblée, nous voulons utiliser comme outil que nous permet la Constitution. Au lieu que ce soit la communauté internationale qui contrôle l’exécution des budgets et de l’aide, l’Assemblée nationale est outillée pour assumer pleinement son rôle de contrôler l’exécution du budget et de cette aide. Et ça, en termes de redevabilité et en termes de reddition de compte, c’est un aspect important comme argument pour pouvoir lever ces ressources et atteindre le chiffre fatidique, voire de dépasser, les 3 milliards."

Alors, lisez et relisez, à travers, au-delà et en deçà des lignes ci-dessus. Ne soyez surtout pas étonnés de voir commencer ou recommencer à circuler bientôt et avec insistance cette fois-ci, une motion de censure demandant la dissolution du bureau de l’assemblée nationale et l’éviction de son Président. C’est aussi cela la RCA.

Vivement que cette table ronde de tous les espoirs, ne se transforme de Bruxelles à Bangui, en table de tous les désespoirs ; qu’au lieu d’aider à résoudre les problèmes de la RCA, elle ne puisse paradoxalement, contribuer à les complexifier, et créer d’autres problèmes autrement plus graves encore. C’est dire que rien n’est gagné, bien au contraire, nous ne sommes pas à l’abri de très mauvaises surprises.

GJK- Guy José Kossa, l'élève certifié du Village Guitilitimö - Le 11 novembre 2016