Par Guy-José Kossa
Que reste -t-il à un peuple qui en est réduit à vendre aux autres ses terres et ses maisons, le sol dans lequel dorment ses ancêtres, la terre qui le nourrit et devrait encore le nourrir, "la terre qui n'est pas un don de nos parents, ce sont nos enfants qui nous la prêtent" comme dit le proverbe indien ?
Avez-vous seulement remarqué, à quelle vitesse les terres convoitées de Centrafrique - celles de Bangui et de ses environs en particulier -, tombent une à une, par dizaine ou par centaine d’hectares, dans des mains nanties autres que Centrafricaines ?
Pourtant, "l'or te donne la terre, la terre te donne l'or" insiste le vieil Indien.
Voilà pourquoi, s’approprier nos terres et toutes nos terres, acheter nos maisons et toutes nos maisons - qui n’ont pas de prix ! -, est devenu l’autre forme de guerre que nous livre tous ceux qui viennent de partout et convergent vers notre pays. C’est d’ailleurs ainsi que le Km5 s’était créé, a poussé dans le désordre, la promiscuité avec les trafics et les armes, pour enfin devenir ce qu’il est, avec toutes les conséquences que nous connaissons aujourd’hui. On arrive, on s’installe, on importe ses compatriotes par milliers. Ensuite, on crée et alimente la crise qui pousse les Centrafricains dans leur dernier retranchement, les appauvrit et les oblige finalement à céder pour quelques sous, biens, maisons et parcelles de terrain, avant de "… donner eux-mêmes leur vie comme le pauvre son dernier vêtement".
Il est temps de tirer la sonnette d’alarme. La terre de Centrafrique et l’honneur du centrafricain ne sont pas à jeter aux chiens. À situations nouvelles, lois nouvelles ! Il est urgent de légiférer sur les terres centrafricaines. Comme partout ailleurs. Mais en RCA malheureusement, le parlement et les autorités dirigeantes, semblent chacun si englué dans des intrigues personnelles et préoccupé plutôt à s’enrichir à la vitesse grand "V", que personne ne voit jamais rien venir, ne sent jamais l’odeur de ce qui lui pourrit sous le nez. Des petits Km5 sont en train de naître partout ! Et demain, il sera trop tard comme c’est le cas aujourd’hui.
Au lieu de s’acharner sur ces mêmes vieilles maisons coloniales, ces mêmes vieux immeubles situés dans le centre-ville et ses environs immédiats, et qui de régime en régime, passent des mains d’anciens barons fauchés à celles des pachas à l’honneur et à la page, il est temps que tous les nouveaux riches du pouvoir, pensent plutôt à acheter à leurs frères dans le besoin, toutes ces terres bradées, pour y dresser leurs immeubles à quatre étages qui pourraient ainsi embellir le visage de la capitale. Or la triste réalité à l’heure actuelle, c’est que des milliers de non-Centrafricains friands de terres et de maisons, se sont mis à acquérir à la pelle, les terrains nus, les titres fonciers, et toutes les habitations en vente libre.
Et demain ?
Que les centrafricains puissent s’inspirer, de la réponse que fit en 1854 le Chef indien Seattle, au gouvernement américain qui lui proposait d'abandonner sa terre aux blancs, et promettait une " réserve " pour le peuple indien :
"Vous devez apprendre à vos enfants que le sol qu’ils foulent, est fait des cendres de nos aïeux. Pour qu’ils respectent la terre, dites à vos enfants qu’elle est enrichie par les vies de notre peuple. Enseignez à vos enfants ce que nous avons enseigné aux nôtres, que la terre est notre mère. Tout ce qui arrive à la terre, arrive aux fils de la terre. Si les hommes crachent sur le sol, ils crachent sur eux-mêmes."
Soumis à la puissance de feu des rebelles, alléché par l’argent- roi des nababs étrangers, le Centrafrique n’en finit plus de se vider de son sang, de ses larmes, et de brader son âme et sa chair pour des miettes. Au risque de n’être plus centrafricain, de ne plus appartenir bientôt aux Centrafricains. Si l’on n’y prend pas garde bien sûr !
À quelques bouts de terre près, la RCA est aujourd’hui un pays sous occupation de groupes rebelles hétéroclites qui poussent comme des champignons vénéneux sous la pluie. Appâtés par le gain facile, attirés par l’odeur du sang comme des hyènes affamés, ce sont des milliers de redoutables sanguinaires étrangers sans terre, sans foi ni loi - Boko Haram compris -, qui arrivent de tout le continent africain et d’ailleurs. Ils parviennent généralement à s’imposer sans coup férir, puis s’installent aisément avec armes et bagages. Sans craindre d’être délogés.
Pendant ce temps, de milliers de centrafricains les mains nues, abandonnent leurs terres, leurs troupeaux, leurs maisons ainsi que tous leurs biens, pour chercher à trouver refuge dans des contrées proches ou lointaines. Cet exil forcé, ils ne peuvent que très mal le vivre. Certains de ces exilés internes, arrivent parfois à rejoindre Bangui.
Bangui ! Siège du pouvoir et des institutions de la République. Une capitale désormais prise en otage par un gang qui résiste, défie la puissance publique, élargit son emprise, menace des populations obligées de s’enfuir, met en coupes réglées des territoires et des communautés qu’il rançonne.
Diantre ! Jusques à quand allons-nous laisser faire Djamous Nimery alias "Force" et ses hommes, les laisser empoisonner la vie des Centrafricains, et priver les citoyens de ce pays, de leur liberté d’aller et venir ? Sous nos yeux, le Km5 des rebelles s’avance, s’élargit, conquiert terre après terre, s’implante et se renforce. De Boeing à Cattin jusqu’aux portes de Fatima; de Béa -Rex au Pont Jackson sur l’avenue Boganda, à l’école Kangala jusqu’aux portes des quartier Bacongo et Kpétènè; de l’aéroport en passant par "l’avenue Madou", le commissariat du 5e arrondissement jusqu’aux portes des Castors etc, Circuler à pieds ou en voiture dans toutes ces zones revient aujourd’hui à jouer sa propre vie, à s’exposer au mortel danger. De jour comme de nuit.
Dans "Tropique de la violence" -, son roman au style très dense, Natacha Appanah, écrit : "De là où je parle, ce pays ressemble à une poussière incandescente et je sais qu’il suffira d’un rien pour qu’il s’embrase."
On se croirait en Centrafrique, alors que cette fiction d’une beauté frappante et d’une violence stupéfiante, sombre et noire, a pour cadre l’île de Mayotte,
Que n’y a-t-on donc pensé plus tôt ? "Chaque parcelle de cette terre est sacrée pour mon peuple. Chaque aiguille de pin luisante, chaque rive sableuse, chaque lambeau de brume dans les bois sombres, chaque clairière et chaque bourdonnement d’insecte sont sacrés dans le souvenir et l’expérience de mon peuple. L'or te donne la terre, la terre te donne l'or. Et Tout ce qui arrive à la terre, arrive aux fils de la terre", aurait conclu le chef indien.
À la terre donc, comme à la guerre centrafricains ! Car, lorsqu’on n’est plus capable de défendre le moindre carré de son territoire, lorsqu’on en arrive à brader à l’étranger le sol dans lequel reposent ses aïeux, il faut s’attendre tôt ou tard, à torcher le vainqueur et ses héritiers. Ainsi, finit-on dans la servitude volontaire. Disons, la servitude tout court.
À la terre comme à la guerre donc !
Guy José Kossa
Le 6 juin 2018