Centrafrique : les scénarios juridiques post destitution du président de l’Assemblée nationale et ses effets

Selemby doudou bernardLa procédure de destitution du président de l’Assemblée nationale a été initiée par une frange de députés sur la base de la violation de l’article 70 de la constitution et l’article 12 de la loi n°17 011 du 14 mars 2014. Le nombre des signataires a largement dépassé le minimum requis par les textes en vigueur ouvrant royalement la voie à la recevabilité de la pétition, nonobstant d’énormes irrégularités liées à la forme du document, les doutes et réserves observés  sur l’authenticité des signatures. La pétition relative à la destitution du président de l’Assemblée nationale a fait l’objet d’un minutieux examen devant la conférence des présidents de l’Assemblée nationale avant d’être débattue en plénière.

Il est important de rappeler que le désormais ancien président de l’Assemblée nationale qui n’a nullement bénéficié de la présomption d’innocence qui est un principe fondamental de droit, a méthodiquement et surtout de façon pyramidale démonté les griefs fantaisistes qui lui sont maladroitement reprochés. Il est par ailleurs important de souligner la présence dans l’hémicycle de la presse locale, internationale, et au final les parlementaires centrafricains ont fait preuve d’une organisation démocratique d’un débat contradictoire quand bien même pré-orienté, louable et qui peut servir d’exemple et de cas d’école au niveau de la sous région. Comme les algèbres ne peuvent se confondre avec les arithmétiques, le sort du président de l’assemblée nationale était malheureusement connu avant le simulacre de plénière marathonienne caractérisé par la corruption et le déni de vérité.                                                                                                                                                                                                     Bernard Selemby-Doudou@bsd

Cependant, en  bon démocrate, le président de l’Assemblée nationale s’est prêté au jeu et sans surprise la sentence du vote a été fatidique.

140 suffrages exprimés y compris les procurations ou mandats, 98 parlementaires ont voté pour la destitution du président de l’Assemblée nationale contre 41, et on a enregistré également 0 abstention et un bulletin nul. Conformément à la constitution et au règlement intérieur qui régissent le fonctionnement de l’Assemblée nationale, le président de l’Assemblée nationale est déchu de son poste et l’intérim de la présidence est assuré provisoirement par le premier vice-président en attendant l’élection du nouveau président de l’Assemblée nationale dans 3 jours francs, avec mandat impératif d’assurer la suite de la 6e législature.

Fatigué et lassé par ce long débat qui ne sert ni la démocratie ni le peuple meurtri, le citoyen lambda s’interroge :

  • Qu’est-ce que la destitution du président de l’Assemblée nationale a changé dans la crise centrafricaine ?
  • Face aux risques de débordements et de récupérations politiques qui peuvent ébranler les fondements de notre démocratie, l’option de la destitution du président de l’Assemblée nationale est-elle l’idéale dans la résolution de la crise ?
  • N’a-t-on pas l’impression que les choses vont de mal en pire ?
  • Par ce vote, l’Assemblée nationale a- t-elle légalisé la corruption qui malgré tout est un délit pénal ?
  • Après la destitution, va- t-on poursuivre judiciairement le président de l’Assemblée nationale pour les griefs pénaux qui ont motivé les choix des parlementaires ?
  • L’ancien président de l'Assemblée nationale va-t-il se muer en farouche opposant ou va-t-il abandonner son mandat et s’exiler ?
  • A travers cette mascarade de vote, quelles leçons les rescapés du KNK initiateurs de la procédure veulent enseigner au peuple ?
  • Par ce coup d’Etat parlementaire et constitutionnel, les acquis démocratiques et la cohésion sociale sont-ils remis en cause ?
  • Où sont les éminents "constitutionnalistes" pour éclairer la lanterne des centrafricains ?
  • Quelle est la réaction du parlement de la communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale -CEMAC- sur l’interprétation abusive des dispositions constitutionnelles ?
  • Et si le président de l’Assemblée nationale déchu refuse de céder son fauteuil au motif que les textes n’ont pas été respectés ?
  • Quels sont les différents scénarii possibles ?

 

En effet, de prime à bord, l’ancien président de l’Assemblée nationale peut s’inscrire dans la logique d’une longue bataille juridique en demandant à la haute cour constitutionnelle de valider souverainement le vote aux regards des textes qui régissent le fonctionnement de l’Assemblée nationale. A titre d’illustration, la cour constitutionnelle malgache avait invalidé la motion de destitution du président de l’Assemblée nationale au motif que les griefs évoqués n’étaient pas juridiquement fondés. S’il refuse la sentence, les parlementaires qui se réclament du "chemin de l’espérance" vont boycotter les activités de l’Assemblée nationale qui ne pourra  fonctionner que sur la base de méfiance et d’accusations. Le président de l’Assemblée nationale pourra ainsi être qualifié d’illégitime, d’illégal et d’anti-démocratique. On assistera alors à une dualité de directoire - deux présidents : un de droit et un de fait-, synonyme de blocus, c’est-à-dire celui d’une crise institutionnelle. Le parlement centrafricain s’inscrira de fait dans la logique du parlement algérien. Pour éviter cette crise institutionnelle, le président de la République pourra envisager la dissolution de l’Assemblée nationale.

En cas de dissolution, il faut rappeler que le président de la République est obligé de légiférer par ordonnance et cela est souvent limité dans le temps alors que certains dossiers exigent l’accord formel du parlement. Par ailleurs, le trésor public ni les bailleurs de fonds ne sont pas disponibles pour financer une éventuelle élection législative.

En tout état de cause, cette destitution  se révèle l’aboutissement d’une lutte politique entre clans, d’un difficile partenariat entre l’exécutif et le législatif depuis le début de la 6e législature. Le pouvoir exécutif s’emparera du législatif, portant ainsi atteinte au principe de séparation de pouvoirs, et  à l’Etat de droit. De toute évidence, pour Touadéra, Sarandji et Autres, c’était le seul scénario possible pour contourner les dispositions de l’article 60 de la constitution qui exigeaient l’autorisation  de l’Assemblée nationale avant la signature de tous contrats miniers par le gouvernement.

Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.

Fait à Paris le 26 octobre 2018
Bernard Selemby-Doudou