Lors de sa dernière sortie médiatique, le président de la République a déclaré sans ambiguïté "qu’il fera tout pour que les prochaines échéances électorales se tiennent dans le délai constitutionnel". Cette rhétorique démagogique et électoraliste est ostensiblement en déphasage total avec les réalités socio-politiques actuelles de notre nation qui laisse perplexe les néophytes en analyse politique.
En effet, selon la constitution en vigueur, le mandat quinquennal du président de la République est légitimement valable jusqu’au 30 mars 2021 c’est à dire que les 2 tours du scrutin doivent se tenir dans un intervalle inclusif de 18 mois.
La constitution de la République est ainsi muette sur le dépassement de ce délai calendaire mais l’article 36 alinéa 2 de la constitution nous donne une idée précise sur le déroulé du processus électoral. En effet, l’article 36 alinéa 2 de la constitution dispose : "l’élection du nouveau président a lieu 45 jours au moins et 90 jours au plus avant le terme du mandat du président en exercice".
L’interprétation littérale de ce précieux article impose l’élection du président de la République au plus tard fin janvier 2021 dont la préparation des cérémonies d’investiture. Du survol synoptique du processus électoral ainsi que les innombrables aléas du terrain dérive l’affirmation qui ne souffre d’aucune contestation que le délai constitutionnel d’organisation des élections est intenable.
D’ailleurs, les trésoreries de l’Etat centrafricain n’ont pas de provisions suffisantes pour organiser de façon souveraine, crédible et transparente des élections acceptables mais aussi, les autres puissances occidentales communément appelées "partenaires au développement" ne sont pas pressés pour financer des élections groupées qui profiteront inéluctablement aux russes qui bénéficient de la quasi-totalité des permis miniers.
Il faut reconnaître que les défis à relever sont énormes pour l’agence nationale des élections -ANE-, organe légitime de gestion des opérations électorales. L’agence nationale des élections doit d’abord procéder à un nouveau recensement de la population, les inscriptions sur la liste électorale ainsi que son contentieux en tenant compte des mutations résultant de la guerre et qui nécessite une nouvelle cartographie électorale.
Cette dernière doit ainsi tenir compte de l’équilibre démographique et territorial des circonscriptions tout en créant ou en remodelant les circonscriptions électorales. Il faut ensuite intégrer le dépôt des candidatures, les deux semaines de campagne électorale, la logistique de vote, la formation des formateurs, le vote lui-même.
Enfin, le dépouillement, la centralisation informatisée des résultats, la validation des procès-verbaux et la proclamation nécessite un capital " temps". Cette précieuse notion de temps interpelle le citoyen lambda qui s’interroge :
- Les prochaines échéances électorales peuvent-elles se tenir dans le délai constitutionnel ?
- Que se passera-t-il si le délai constitutionnel d’organisation des élections est dépassé ?
- Quelles sont les conséquences juridiques et politiques de ce dépassement de délai ?
- A ce stade, peut-on affirmer que le pays se dirige-t-il inévitablement vers une nouvelle transition politique ?
- Dans le contexte de la transition, le président de la République actuel est-il légitime de diriger la transition ?
- Dans l’affirmative, va-t-on lui imposer un nouveau premier ministre qui ne partage pas sa vision politique ?
- Animé par le souci d’éviter ce macabre scénario, le pouvoir sera-t-il tenté de bâcler à nouveau les élections comme en 2015 ?
Au-delà de ces préoccupantes interrogations ainsi que la problématique de la sécurisation du pays occupé à 80% par les groupes armés non conventionnels, on enregistre des innombrables démissions en cascade des nouveaux alliés du pouvoir qui remet profondément en cause la quintessence de l’accord de Khartoum sensé ramener la paix par voie de dialogue. Il est enfin important de rappeler qu’en dépit des affrontements meurtriers de Birao et suite à l’insistante demande du président de la république, l’ancienne puissance coloniale a plaidé et obtenu du conseil de sécurité de l’ONU un allègement ou un assouplissement de l’embargo sur les armes. Ainsi, qu’entendez-vous par l’allègement ou par l’assouplissement de l’embargo sur les armes ?
Proportionnellement aux réalités du terrain, l’idéal consistait à lever complètement cet embargo qui cause un tort injustifié à la population centrafricaine. De cet allègement de l’embargo, la Centrafrique n’attendra que des donations en provenance des puissances occidentales parce qu’aucune ligne budgétaire pour l’achat des armes n’avait été prévue par la loi des finances en vigueur. Paradoxalement, l’on s’interroge légitimement sur l’utilité des armes qui seront éventuellement livrées aux forces armées nationales dès lors que le président de la République s’oppose farouchement à la logique de la guerre ou de l’usage de la force contre les groupes armés au profit de dialogue.
En définitif et en dépit de la volonté manifeste du président de la République d’organiser les élections groupées dans le délai constitutionnel, les indicateurs réels militent malheureusement en faveur d’une transition politique.
Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.
Paris le 13 septembre 2019.
Bernard Selemby-Doudou
Juriste, Administrateur des élections