Centrafrique : la Cour constitutionnelle émet un avis défavorable

Selemby doudouLors des élections groupées marquant la fin de la transition démocratique, le président de la république ainsi que les parlementaires de la 6e législature étaient élus pour un mandat de 5 ans. A l’approche de cette échéance quinquennale, l’autorité nationale des élections -ANE-, organe désigné par la constitution chargé de gérer les opérations électorales a retenu dans son chronogramme définitif la date du 27 décembre 2020 pour organiser le premier tour du scrutin présidentiel et législatif. Des difficultés techniques, matérielles et logistiques apparentes s’accumulent sans oublier le paramètre d’insécurité qui prend en otage le facteur "temps" rendant quasi impossible l’organisation des élections dans le délai constitutionnel. Bernard Selemby-Doudou@bsd

Pour combler l’éventualité du glissement du calendrier électoral avec corollaire une situation non prévue par la constitution, certains députés véreux agissant sous le contrôle et l’aiguillage du pouvoir ont trouvé un prétexte parfait à travers la pandémie du coronavirus comme facteur du retard pour modifier et compléter certaines dispositions constitutionnelles. Cette modification de la constitution propose une nouvelle rédaction des articles 36 et 68 de la constitution pour contourner les verrous rigides des articles 35, 38, 153 et 158 recommandés par le forum de Bangui en y intégrant la notion de "force majeure".

Les forces vives de la nation se sont insurgées contre cette démarche qui y voit d’une part une manœuvre de monopolisation du pouvoir et d’autres part un moyen de dicter sa volonté. C’est dans ce climat alimenté par des charges électrostatiques que la Cour constitutionnelle a été saisi pour donner son avis sur la constitutionnalité de la procédure. Sur la forme, la noble cour constitutionnelle s’est d’abord déclarée compétente pour statuer et a déclaré la requête recevable. La prudence et la difficulté des sages au cours de l’instruction du dossier étaient palpables car cette dernière a procédé à l’audition et la concertation de certaines personnalités politiques, missions inédites non répertoriées dans les missions de la Cour attribuées par l’article 95 de la constitution du 30 mars 2016.

Au fond, la Cour constitutionnelle à travers l’avis N°015/CC/20 du 5 juin 2020 relatif à la révision de certaines dispositions de la constitution du 30 mars 2016 a émis un avis formellement défavorable à la modification de la constitution et a décidé qu’en cas de glissement du calendrier électoral synonyme d’un vide juridique constaté, le recours à une large concertation consensuelle au détriment de la transition politique s’impose. Conscient de la capacité notoire du pouvoir à politiser les institutions de la république, le citoyen lambda s’interroge :

  • L’avis défavorable émis par la Cour constitutionnelle sur le projet de modification de la constitution est-elle conforme à l’esprit de notre loi fondamentale ?
  • Pourquoi la Cour constitutionnelle a organisé l’audition des chefs de partis politiques alors que ces derniers n’ont pas saisi la noble cour ?
  • La réception et l’audition des forces vives de la nation sont-elles les nouveaux baromètres pour légitimer les décisions de la Cour constitutionnelle ?
  • Sa décision d’exclure la transition politique consensuelle équivaut à la continuité du mandat du président de la République au-delà du délai constitutionnel, cela n’est-il pas contraire aux dispositions de l’article 35 de la constitution ?

 

Au-delà des interrogations qui alimentent les débats politiques, il est important de souligner que cet avis de la Cour constitutionnelle n’est une victoire pour personne si ce n’est que le droit qui a triomphé. Les démocrates avertis ne peuvent que saluer cette décision qui confirme l’indépendance et la neutralité de la Cour constitutionnelle à l’égard du pouvoir établi pourvu que ça dure c’est à dire que le peuple souverain espèrera mieux lors des prochaines échéances électorales. Pour ce faire, nous encourageons les juges constitutionnels d’éviter au maximum d’être inféodé au pouvoir au risque de politiser l’institution qui est le gendarme de la loi fondamentale.

Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.

Bernard Selemby-Doudou

Juriste, administrateur des élections.

Le 5 juin 2020