Centrafrique : les leçons et enjeux politico-juridiques du retour clandestin au pays natal d'un général d'armée sans étoiles

Selemby doudouLa République centrafricaine, un pays isolé au cœur de l’Afrique vient pour la énième fois de son histoire de s’inscrire dans le registre des records. En effet, il s’agit d’une situation inédite jamais connue à travers le monde où un ancien président de la république exilé à l’étranger rentre clandestinement dans son pays natal jusqu’à atteindre la capitale sans que les autorités légitimes ne s’en aperçoivent.

Ce défi du siècle synonyme d’humiliation et digne d’un film hollywoodien qui sème la panique au sein d’une population déjà traumatisée. Nous faisons l’économie des moyens logistiques utilisés par le général d’armée pour anéantir les effets juridiques de la circulaire du ministre des transports et de l’aviation civile datée du 17 novembre 2016 interdisant aux compagnies aériennes de l’embarquer à Bangui. Nous regrettons au passage l’amateurisme, le cafouillage, le tâtonnement au sommet de l’Etat, le manque de communication qui a poussé certains concitoyens à faire leur valise dans l’optique d’un éventuel exil ou déplacement de la population.    Bernard Selemby-Doudou@bsd

N’oublions surtout pas que le prince de la monarchie de Bangui a utilisé tous les moyens et prérogatives liés à son pouvoir pour faire obstacle au retour programmé du candidat naturel du KNK. L’opinion nationale et internationale est sans ignorée qu’un mandat d’arrêt international a été décerné en date du 29 mai 2013 contre le général d’armée en exil pour crimes et incitation au génocide.

Le porte-parole du gouvernement a enfin rendu officiel un communiqué très tardif du gouvernement qui cultive plus de confusion qu’il ne calme les ardeurs. Ce communiqué est à la frontière de l’ambiguïté et de l’absurdité. Devant cette cacophonie politique qui met à nu l’apprentissage politique devenu viral et pandémique du couple de l’exécutif, le citoyen lambda s’interroge :

  • Pourquoi les services de renseignements et de sécurité intérieure n’ont vu aucun signal traduisant la présence du général d’armée dans la capitale centrafricaine ?
  • Pourquoi le général d’armée a-t-il choisi de défier le pouvoir de Bangui par ce mystérieux scénario ?
  • Quelles sont les conduites à tenir définies par le pouvoir pour résoudre ce qui s’apparente à un dilemme ? 
  • Le général d’armée sera-t-il arrêté puis traduit devant les tribunaux nationaux ou extradé à la cour pénale internationale ?
  • Quelle est la place des victimes du général dans cette macabre mise en scène ?
  • Les éventuelles troubles liées à son arrestation doivent-elles annihiler les effets du mandat d’arrêt international ?
  • Quelles sont ses intentions politiques ou plus simplement quel est son avenir politique ?
  • Sera-t-il candidat ou non aux prochaines échéances électorales ?
  • Au-delà de toutes considérations politiques, le retour du général d’armée constitue-t-il un frein ou une valeur ajoutée au processus électoral en cours ?
  • Pour finir, l’accord de Khartoum garde-t-il toujours le statut du livre de chevet des autorités établies ?

 

D’emblée, la tendance est unanime que le général d’armée est un citoyen centrafricain qui jouit d’un droit légitime de revenir dans son pays natal conformément aux dispositions de l’article 5 de la constitution qui dispose que nul ne peut être contraint à l’exil contre son gré. Ceci dit, il est important de rappeler que la célèbre maxime qui rappelle la suprématie de la loi en ces termes  "nul n’est au-dessus de la loi" et que "force doit toujours rester à la loi". S’inscrivant dans la suite logique de ces maximes juridiques, le pouvoir doit sans détour utilisé la violence légitime pour exécuter le mandat d’arrêt établi depuis 2013 pour crimes.

Nous tenons évidemment à souligner que le président de la République est le garant du bon fonctionnement des institutions républicaines. En conséquence, il ne peut être à la fois le garant et le fossoyeur des institutions. Le parquet général doit exécuter le mandat d’arrêt sans attendre une quelconque décision de l’exécutif à défaut d’assister à un dictat judiciaire où le président de la république décide de l’opportunité des poursuites. Par contre, l’hypothèse d’une extradition à la cour pénale internationale est exclue parce qu’elle ne remplit pas les conditions prévues par l’article 17 du statut de Rome relatif au principe de complémentarité. Cet article définit en occurrence deux conditions : le manque de garantie d’une justice équitable et l’effondrement du système judiciaire, ce qui n’est pas le cas de la Centrafrique. Si le président de la République s’oppose ou refuse de traduire le général devant les tribunaux pour satisfaire ses intérêts égoïstes, il peut être accusé de déni de justice et par voie de conséquence déclencher la procédure de mise en accusation devant le parlement selon les procédures définies à l’article 125 de la constitution du 30 mars 2016.

Pour finir, nous rappelons l’opinion nationale qu’en attendant d’autres épisodes dans ce long feuilleton qui n’est qu’à son début, des démissions en cascade devraient être enregistrées dans la chaîne sécuritaire du pays mais comme en Centrafrique tout ce qui est anormal ailleurs est normal chez nous…cela n’étonne personne.

Mais attention, ne le dites à personnes. Si on vous demande m, ne dites pas que c’est moi.

Bernard Selemby Doudou, juriste, Administrateur des élections.

Le 20 décembre 2019