Un pays exsangue, où l’Etat a presque disparu, où la violence et la prédation dévorent tout, où les plus hauts dirigeants nationaux excellent, à l’instar de leurs prédécesseurs, dans l’art du double langage et de la langue de bois, telle est la Centrafrique qui accueille, depuis le mardi 24 octobre 2017, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, selon le juriste français Didier Niewiadowski, ancien conseiller à l’ambassade de France à Bangui. Le haut responsable des Nations unies n’ignore pas non plus que même les Casques bleus déployés sur le territoire centrafricain en rajoutent au calvaire des populations locales, en commettant notamment des viols.
Ndlr : Didier Niewiadowski a été un soutien du candidat Faustin-Archange Touadera lors des élections présidentielles de 2016. Accablant comme constat. Un entretien à lire.
JusticeInfo.Net : Quel est l'état des droits de l'homme en Centrafrique en ce moment la visite du secrétaire général de l’ONU ?
Didier Niewiadowski : Les massacres de civils, actuellement plutôt du côté des Peuls Mbororos dans le sud-est et des populations d'origine Bantou, dans le nord-ouest, s'intensifient et appellent des répliques de moindre intensité sur tout le territoire national, sauf encore à Bangui. Avec la quasi- disparition de l'Etat et la faible organisation de la société civile, la récente création d'une Commission nationale des droits de l'homme risque d'être un nouveau gadget à destination des bailleurs. En réalité, en dehors des crimes contre l'humanité ayant pour origine l'occupation des sites miniers et le contrôle de la transhumance des bovins, on peut constater que la société centrafricaine est frappée d'anomie. Comment expliquer les tueries, les lynchages publics, les mutilations de cadavres et autres barbaries sinon par le chaos résultant de la disparition de règles sociétales coutumières et l’ignorance de plus en plus généralisée des principes élémentaires de l'Etat de droit. Avec un pouvoir exécutif devenu inaudible et impuissant, la violence dévore tout y compris l'ordre générationnel et le respect dû aux responsables religieux. La prédation et l’instinct de survie coûte que coûte sont encouragés par l'impunité quasiment érigée en principe de gouvernance. La fin justifie tous les moyens. Didier Niewiadowski@nb
JIN : Les Casques bleus en Centrafrique sont de plus en plus accusés de passivité et de commettre eux-mêmes des viols. Que doit faire Guterres pour redorer le blason de cette force?
D.N : Malgré les résultats très en deçà des objectifs et le coût exorbitant de cette dixième opération de maintien de la paix en Centrafrique, la mission d'Antonio Guterres ne devrait pas apporter un quelconque changement de paradigme. La MINUSCA (ndlr : Mission de l’ONU en Centrafrique), avec ses 900 Casques supplémentaires, ne pourra pas davantage protéger la population des tueries qui risquent de s'accroître. Les graves accusations concernant de multiples agressions sexuelles et des trafics mettant en cause des responsables de la Minusca continueront de polluer une présence, de plus en plus contestée par les centrafricains. Même le président Touadera remet en cause le mapping des violences publiées par l'ONU et s'élève contre les propos de Stephen O'Bien évoquant des "signes avant-coureurs d'un génocide". L'ONU, qui a trouvé en Donald Trump un redoutable pourfendeur, continuera imperturbablement d'appliquer les vieilles recettes qui ont toujours échoué. Au lieu de s'accrocher à un énième DDRR (ndlr : Désarmement, Démobilisation, Réintégration, Rapatriement) mort-né ou à un embargo sur les armes pour les Forces armées centrafricaines, alors que le pays est devenu un super marché des armes en Afrique centrale via les Soudan et la RDC, pourquoi ne pas contrôler les sites miniers occupés par les rebelles, ne pas contrôler les escadrilles transportant les diamants de sang et l'or vers l'extérieur, ne pas assurer la sécurisation des parcours de transhumance pourtant bien connus, ne pas mutualiser les moyens des opérations de maintien de la paix en RDC, au Soudan du sud et en Centrafrique ? La crise centrafricaine est aussi transfrontalière. Raisonner au niveau national est une erreur magistrale.
JIN : La décision du président Touadéra d'inclure dans son gouvernement des représentants des groupes armés est-elle cohérente avec sa promesse d'une "Jjustice implacable" ?
D.N : Les plus hautes autorités centrafricaines ont, de tous temps, tenus un double discours. L'un à destination de la communauté internationale pour attirer ses bonnes grâces et l'autre, davantage domestique, pour conserver le plus longtemps possible un pouvoir synonyme d'enrichissement personnel.
Le président Touadera a donc fait un geste pour les bailleurs et la Feuille de route de l'Union africaine en intégrant des représentants de chefs rebelles dans le gouvernement et son cabinet présidentiel. Ce geste ne coûte rien car le gouvernement, à part trois ou quatre ministres, est surtout symbolique. La plupart des ministères ne sont pas organisés et n'ont mêmes plus de services extérieurs en région. Les ministres sont en quelques sortes des hallebardiers du théâtre. Les slogans "la justice sera implacable", comme " la rupture avec le passé" sont destinés à masquer une irrésolution chronique.
Le président Touadera, son directeur de cabinet et son premier ministre ont, en revanche, des contacts directs avec les chefs rebelles. Le trio de l'exécutif a été 5 ans au pouvoir de 2008-2013 sous Bozizé aussi, connaissent-ils parfaitement les dissensions Rounga-Gula, les clans des Peuls Mbororos et des Foulbe, les groupuscules se réclamant de la nébuleuse anti balaka et les chefs rebelles de l'Ouest qui sévissent depuis des années. On peut se demander pourquoi ces contacts ne permettent pas d'enrayer la spirale de violence.
JIN : Le gouvernement du président Touadera veut-il vraiment la mise en place et l'opérationnalisation de de la Cour pénale spéciale ?
D.N : La Cour Pénale spéciale a été créé en juin 2015. A ce jour, elle n'est toujours pas opérationnelle bien que ses personnels soient nommés et en place à Bangui. Devant l'immensité de la tâche qui est de juger les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre commis depuis 2003, alors que plus de la moitié du territoire est hors de tout contrôle, que les victimes ont parfois été aussi auteurs des crimes, qu'il n'y a plus de centres pénitentiaires dignes de ce nom, que le procureur général était un représentant de la justice militaire du président Kabila ce qui augure bien de son efficacité, qui peut encore croire raisonnablement à son opérationnalisation. Une juridiction nationale ne peut fonctionner que dans le cadre d'un Etat. Où est l'Etat en Centrafrique ?
JIN : Peut-on encore légitimement croire Touadera capable de ramener son pays sur la voie de la paix et de la justice ?
D.N : Le président Touadera est un universitaire brillant qui a été propulsé sur la scène politique d'un pays où l'Etat se désagrège depuis plusieurs décennies. Son entourage clanique et évangélique l'a amené à la présidence de la République, dans des circonstances exceptionnelles, alors que son passage à la primature de 2008 à 2013 n'avait pas suscité un grand enthousiasme des Centrafricains. Son élection, en février 2016, avait, malgré tout, suscité un immense espoir. La déception est à la hauteur de cet espoir déçu. Avec son entourage qui a entraîné ce discrédit durable, le professeur Touadera aura beaucoup de difficulté à rétablir la réconciliation nationale et la reconstruction d'un Etat sur de nouvelles bases. Depuis sa prise de fonction, le 30 mars 2016, son bilan est maigre. Il a certes rétabli la République centrafricaine sur la scène internationale et obtenu la confiance des bailleurs. Au niveau interne, la croissance est de l'ordre de 5% mais les centrafricains s'en sont- ils aperçus? Où sont les reconstructions de la justice, de la santé et de l'éducation nationale ? L'impunité sévit toujours et les prédations n'ont guère cessé. Heureusement, la communauté internationale ne l'a pas abandonné, mais jusqu'à quand ? Tous ses prédécesseurs l'ont été.
Le 25 octobre 2017