France : pour ne pas dire …. "je ne savais pas !!"

Le texte de révision de la loi de bioéthique, qui arrive à l’Assemblée nationale le 27 juillet 2020 en deuxième lecture, révolutionne la "génération", la filiation et même l’espèce humaine. Les mesures qui pourraient entrer dans la loi, à la va-vite, donnent le tournis.

Par Guyonne de Montjou

Une frontière se franchit sans bruit. Celle qui sépare la vie humaine de celle de l’animal est sur le point de l’être, dans un silence assourdissant. Ainsi en a décidé une poignée de députés, au début du mois de juillet, dans une pièce reculée de l’Assemblée nationale.

Le texte de révision de la loi de bioéthique, qui sera examiné en deuxième lecture à partir du 27 juillet au Palais-Bourbon, a été profondément remanié, réécrit, durci dans ses termes par rapport à sa première version, présentée l’année dernière. "Une dizaine de lignes rouges supplémentaires sont franchies, s’étrangle Patrick Hetzel, député -LR- du Bas-Rhin, l’un des rares mobilisés. C’est gravissime. On autorise le bébé médicament, l’embryon transgénique, les chimères homme-animal, le non-consentement du conjoint sur le don de gamètes, l’élargissement du diagnostic préimplantatoire aux maladies non héréditaires, on supprime l’équipe pluridisciplinaire pour préparer les couples à la procréation médicalement assistée"

Et la perspective de légalisation de la gestation pour autrui -GPA- se rapproche. Le nouveau texte prévoit une transcription quasi automatique du statut de l’enfant né de GPA à l’état civil, tandis qu’aujourd’hui, la procédure reste relativement dissuasive.

"Je suis très inquiète", confie Sylviane Agacinski. - Ndlr : épouse de Lionel Jospin ancien premier ministre -  Par ce texte, la France assure qu’elle n’est plus hostile à la GPA, qu’elle cautionne et encourage la marchandisation des corps et le système des mères porteuses." Reprenant son souffle, cette philosophe marquée à gauche, lâche : "Le lien mère-enfant n’est pas un rapport de propriété. Le lien filial ne peut être vendu. Si la loi m’autorise à louer la vie de quelqu’un et à lui acheter son enfant, alors elle traite les personnes comme des biens, autrement dit des choses."  Quant aux chimères et aux embryons transgéniques, le texte de loi autorise désormais leur fabrication et "utilisation". Ces expérimentations rejetées par le Sénat en première lecture ont été réintroduites dans le texte il y a trois semaines. Dans l’article 17, la modification génétique des embryons humains devient possible, ouvrant la voie à d’éventuels essais visant à faire naître des enfants génétiquement modifiés. Il est aussi envisagé d’expérimenter la création d’embryons animaux dans lesquels seraient intégrées des cellules humaines, qu’elles soient embryonnaires ou adultes reprogrammées. Noir sur blanc, la frontière homme-animal est abolie. C’est une rupture anthropologique majeure.

"Tout le monde a peur de s’opposer, confie le député Patrick Hetzel. Peur d’être traité d’homophobe, peur de passer pour ringard ou antiprogressiste. Vous n’avez qu’à compter, s’emporte-t-il soudain : nous sommes à peine 20 députés mobilisés !" 20 sur 577 parlementaires que compte l’Assemblée nationale.

Quelques élus de tous bords, parfois pas plus d’une poignée, ont ainsi, du 29 juin au 2 juillet, tenté de façon presque désespérée de faire passer 2 500 amendements en commission spéciale face à un petit groupe majoritaire, habité d’une rage transgressive. "Rejeté" ; "Les amendements sont rejetés"; "Rejeté", entendait-on plusieurs fois par minute.

Agnès Firmin Le Bodo, députée -AE- de Seine-Maritime, présidente de la commission, semblait pressée. Toute son attitude l’indiquait. Elle voulait en finir. Accrochée à son micro, portable ouvert à sa droite, pianotant de temps à autre une réponse par SMS, elle ne perdait pas le fil de son déroulé, article après article, aussi vite que possible. Le samedi 4 juillet, la députée-présidente devait se rendre au Havre pour applaudir la réélection d’Édouard Philippe - elle est aussi sa conseillère municipale. La commission a siégé trente-sept heures. Un record de vitesse pour un texte que le Sénat a mis plus de quatre mois à corriger jusqu’en février 2020. Devant le pupitre où siégeait également le rapporteur Jean-Louis Touraine -LREM, un militant revendiqué, les quelques députés présents entraient et sortaient, levant la main sans surprise.

L’impression d’urgence qui flottait dans l’étroite salle de l’Assemblée s’est renforcée lorsque la députée -NI- de l’Hérault, Emmanuelle Ménard, d’un ton courtois, a proposé que soit rappelé au-dessous d’un article "le principe qu’un embryon humain ne peut être conçu ni utilisé à des fins industrielles", comme le stipule le code de la santé publique. Le vice-rapporteur, Philippe Berta -MoDem-, a argué que cette précision existait ailleurs, alors pourquoi la rappeler ?

Mme Firmin a procédé au vote et le couperet est tombé : "rejeté". Le vice-rapporteur a tiré la langue dans un sourire de soulagement, satisfait. Sur quoi repose une telle désinvolture, cette implacable mécanique de l’idéologie ? Pas une lucarne, pas une échappée. Parfois un propos au bon sens paysan est survenu : le député de l’Ain Xavier Breton -LR- s’est par exemple interrogé sur le sens d’alléger les mesures et les procédures qui présideront bientôt à la fabrication d’enfants et de garder un "parcours du combattant" pour les parents qui souhaitent adopter des enfants déjà nés. Vaste question introduite. La tentative de débat a flotté un instant avant de retomber comme un soufflé.  "C’est du jamais-vu, il n’y a aucune recherche du consensus. Très peu de nos amendements sont adoptés et tout est précipité, s’étrangle le jeune député -LR- de Meurthe-et-Moselle Thibault Bazin. Les articles 14, 15, 17 ont été adoptés au lance-flammes. La dérive transhumaniste, avec l’homme augmenté, la neuromodulation et l’usage systématisé de l’intelligence artificielle : on y est !".

La ministre Nicole Belloubet a fait une courte apparition un soir dans cette commission, quelques heures avant d’être débarquée. De son côté, le ministre de la santé, Olivier Véran, pourtant ardent promoteur de ce texte, a brillé par son absence. "C’est regrettable, s’emporte Patrick Hetzel. Que le gouvernement ne vienne même pas participer au débat, défendre sa ligne sur un tel sujet, est incompréhensible. On a appris la semaine dernière par voie de presse que Véran était hostile à l’une des mesures. Il aurait pu prendre la peine de venir nous le dire en commission. " 

L’article en question, qui concerne la méthode dite Ropa -réception des ovocytes de la partenaire-, permettait aux lesbiennes qui souhaitent revendiquer toutes deux le droit d’être mères du même enfant, "d’éclater leur maternité" : l’une donne ses ovocytes pour qu’ils soient fécondés par un donneur de sperme avant que l’ensemble soit réimplanté dans le corps de l’autre, qui devient gestatrice avec les ovocytes de la première. L’article avait été adopté sans faire sourciller la majorité.

Lorsqu’elle était ministre de la santé, Agnès Buzyn, siégeant plusieurs heures d’affiliée dans cette commission, s’était montrée relativement ferme contre certaines mesures et la plupart des tentatives de "dérive eugéniste". "Cette fois, sans crier gare, les digues ont craqué et le gouvernement, tout occupé à son remaniement, a laissé filer, s’alarme Tugdual Derville, délégué général d’Alliance Vita, une association en pointe sur les sujets bioéthiques. La question de l’argent est à peine posée. À l’heure où les Français savent combien on a manqué de moyens médicaux, on s’apprête à faire payer par la sécurité sociale des pratiques individualistes qui n’ont à voir ni avec l’infertilité ni avec des problèmes médicaux".

L’absence du gouvernement dans ces discussions contribue à les maintenir hors des écrans radars médiatiques. "L’élargissement de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules est la mesure phare dont tout le monde parle. Mais elle est l’arbre qui cache la forêt. On a tout mélangé. Il y a des horreurs derrière, s’insurge Patrick Hetzel. Je suis député depuis 2012 et je n’ai jamais vu cela. C’est un passage au forceps".

Tandis que, dans la torpeur de l’été, le pays se prépare à une crise économique d’une violence inédite, le calendrier s’est brutalement accéléré au lendemain du remaniement. Ainsi, à peine installé, le gouvernement Castex a ordonné l’adoption en deuxième lecture du texte avant la trêve estivale, entre le 27 et le 31 juillet, dans un hémicycle clairsemé, sans vote solennel.

Le temps législatif programmé est de 25 petites heures. Presque le temps d’une journée pour révolutionner la condition humaine. 

 

 

Guyonne de Montjou est diplômée du CELSA et de Sciences Po et a collaboré à la Revue des deux mondes, Politique Internationale, La Vie et Le Figaro. Elle est l'auteur de "Mar Moussa, un monastère, un homme, un désert" aux Editions Albin Michel. Elle a travaillé chez LCI, BMTV puis à l’agence CAPA comme journaliste-reporter spécialiste des questions internationales. En 2010, elle a rejoint France Inter avec un Carnet de Route en Haïti.

Le 17 juillet 2020

https://www.lefigaro.fr/actualite-france/bioethique-le-debat-confisque-20200717