Le musée quai Branly/Jacques Chirac accueille "Madagascar, arts de la Grande Ile" du 18 septembre 2018 au 1er janvier 2019

Commissaire : Aurélien Gaborit, responsable de collections Afrique au musée du quai Branly -Jacques Chirac

Pour la première fois depuis 1946, la France accueille une grande exposition consacrée aux arts de la Grande Ile.

Sans titre 18Les publications sur le sujet sont nombreuses, souvent dédiées aux arts plastiques, mais elles n’abordent que rarement le sujet sous l’angle de l’histoire de l’art. L’exposition au musée du quai Branly - Jacques Chirac présente l’art de la Grande Île à travers près de 360 pièces sélectionnées pour leur intérêt historique, esthétique et ethnologique, depuis les époques anciennes jusqu’à la période contemporaine. Si l’art, l’histoire et la culture malgaches restent encore méconnus, cette exposition vise à les faire découvrir à travers des œuvres et des documents, anciens ou contemporains, répartis en 3 grandes sections.

La première section s’applique à replacer Madagascar dans l’espace et dans le temps. Cette très grande île située au large des côtes africaines orientales, est dotée d’un environnement exceptionnel. Si les Européens ne s’installent sur l’île qu’à partir de 1500, elle est depuis plusieurs siècles un carrefour d’influences des régions africaines, arabes, indiennes et d’Asie du sud-est -Austronésie-. C’est ce que révèlent des objets archéologiques, des pièces évoquant des forces politiques et sacrées anciennes. De très nombreuses œuvres du 19e et 20e siècle de l’exposition illustrent également la période de la constitution d’un royaume malgache et celle de la colonisation de l’île par les français.

La deuxième section est consacrée à l’art du monde des vivants, et aux objets du quotidien. L’architecture, le mobilier, les ustensiles, les objets et effets personnels réalisés avec une grande économie de moyen se rapprochent des "formes utiles", concept fondateur du design. Néanmoins, chaque élément de la maison, chaque objet domestique ou personnel est soumis à la règle incontournable marquant la distinction entre des espaces sacrés et des espaces qui ne le sont pas. Le monde des vivants est véritablement régi par le zodiaque malgache, appelé le vintana.

La troisième section aborde le rapport entre les mondes invisibles et parallèles, et le monde des morts, qui marque profondément l’art de Madagascar. A travers les objets exposés, la frontière vers un monde intangible apparaît : le monde des esprits, celui des ancêtres, partout présents. Les croyances, le sacré sont matérialisés par des objets -plats rituels, textiles- impliqués dans les cérémonies qui unissent les vivants et les morts. A l’art des devins s’associent de très nombreuses réalisations -sculptures, amulettes et autres assemblages minutieux- dont l’aspect esthétique est indéniable et la fonction captivante. Le parcours s’achève avec la présentation d’œuvres funéraires monumentales. Ces majestueux hommages aux ancêtres illustrent une vision de la mort singulière, non perçue comme une fin en soi, mais comme un autre voyage.

Chaque section de l’exposition présente des photographies, des documents graphiques -peintures, dessins- et des multimédias qui permettent d’évoquer le contexte historique ou les techniques de réalisation des œuvres.

En rassemblant des témoignages très anciens, avec des pièces archéologiques, et très actuels, avec des œuvres d’artistes vivants, l’exposition rend compte de l’histoire et de l’histoire de l’art de la Grande Ile sur près de dix siècles. Cette anthologie vise également à sortir d’un discours et d’une perspective coloniale, émaillée de jugement et d’apriori. Par le dynamisme des expressions actuelles et la force des œuvres antérieures, les arts de Madagascar n’appartiennent pas au passé. A la croisée des mondes, ils ne peuvent être comparés à ce qui se fait ailleurs, se déploient sans contraintes de style ou de motifs et révèlent ici toute leur singularité.

Madagascar dans l'espace et dans le temps 

Si Madagascar fut découverte par les européens en 1500, son histoire, plus ancienne, commence avec l’établissement de populations venues d’Afrique et d’Austronésie.

Les recherches récentes laissent supposer une occupation humaine dans le nord de l’île il y a plus de 4 000 ans et au sud-ouest il y a 3 000 ans. L’arrivée de populations austronésiennes se déroule entre le 5e et le 8e siècle, apportant le riz, l’igname et le cocotier ; les premières installations sur les côtes malgaches sont attestées au 9e siècle. La période suivante, entre le 10ème et le 13e siècle, est marquée à la fois par de nouvelles vagues de migrations et par un processus de sédentarisation jusqu’à l’intérieur de l’île. Venue d’Afrique de l’est et des Comores, la culture swahili, présente depuis le 8e siècle, se développe principalement dans les régions du nord, à travers des comptoirs commerciaux et des petites colonies. Arrivées également du continent africain, les populations bantoues, qui pratiquent l’élevage des bovins et des caprins, provoquent des bouleversements environnementaux. Puis l’arrivée des marchands arabo-musulmans qui apportent avec eux céramiques chinoises et islamiques, et objets en verre venus de Perse, révèle l’insertion progressive de Madagascar dans les réseaux d’échanges internationaux.

Une île exceptionnelle

Située au sud-est du continent africain, avec une superficie légèrement plus grande que celle de la France, Madagascar se caractérise par une variété extraordinaire de paysages. Le climat chaud et pluvieux de la côte orientale, les hautes collines et les montagnes occupent le centre du territoire, sur toute sa longueur. Les savanes de l’ouest, les zones arides ou semi-arides du sud et du sud-ouest s’opposent à la douceur ambiante de l’extrême nord. Ces milieux très diversifiés témoignent d’une richesse du patrimoine naturel.

Les terres de la Grande Île recèlent de ressources naturelles importantes (grenat, or, chloritoschiste, fer et copal font dès le 12ème siècle l’objet d’un commerce international) tandis que la flore et la faune, luxuriantes, présentent  des espèces endémiques uniques au monde.

Animal emblématique de l’île, le zébu, venu du continent africain vers le 10e siècle. La domestication a modifié à la fois l’environnement - avec l’aménagement de zones de pâturages - et l’histoire de Madagascar, la possession d’un cheptel étant un élément de richesse et de pouvoir. Symbole de prestige, l’animal, célébré lors des cérémonies et des cultes, dispose également d’un statut sacré. Placé par exemple sur la pointe d’une lance, il fait d’un objet à la forme offensive, une canne honorifique.

Populaires dans le monde entier et devenus aujourd’hui des espèces menacées, les lémuriens constituent également un exemple d’animaux sauvages caractéristiques de l’île. Dans les légendes et les croyances ou même dans les récits des voyageurs européens, ces primates sont vus comme des animaux tantôt sacrés tantôt dangereux.

Une histoire au confluent d’influences                                  

Si de nombreux sites ont fait l’objet de fouilles archéologiques à Madagascar, de multiples questions sont restées sans réponses sur les périodes historiques les plus reculées. Les installations humaines les plus anciennes sont attestées dans le nord de l’île au 2ème millénaire avant J.-C. Il semble que plusieurs groupes exploitant les ressources du milieu marin ou vivant de chasse et de cueillette aient été présents jusqu’au 5e siècle après J-C mais il est à ce jour impossible de les rattacher à une culture spécifique. Flacons, plat en faïence, bols en porcelaine, vases et perles de verre, découverts grâce au travail archéologique, montrent que les relations commerciales établies dès le 10ème siècle, se poursuivent sur plusieurs siècles avec le golfe Persique, le Yémen, la Chine, l’Indonésie.

Les influences

L’histoire de Madagascar montre la construction de l’île au confluent d’influences venues d’Asie du Sud-Est, d’Afrique de l’Est, d’Arabie, d’Iran et d’Inde. Son implication croissante dans les échanges de l’océan Indien a induit l’apparition de métissages culturels.

Considéré comme le chantier fondamental qui a ouvert l’île à la recherche archéologique, la nécropole de Vohémar, est découverte à la fin du 19e siècle. Situé sur la côte nordest de Madagascar, ce site porte les traces d’une civilisation pluriculturelle qui aurait duré du 12e au 16e siècle. Vohémar aurait abrité les Rasikajy, population venue de l’Asie du Sud- Est ou de l’Inde du Sud, liée aux réseaux commerciaux de l’océan Indien dès le premier millénaire de notre ère. Les recherches menées ont  livré un matériel très riche qui témoigne de plusieurs savoir-faire, dont le plus important : le travail de la pierre chloritoschiste. Elles ont essentiellement porté sur les sépultures de la nécropole qui contenait des centaines de tombes, assez curieusement, les archéologues n’ont pu trouver aucune trace d’habitat. Certaines tombes révèlent deux phénomènes : d’une part l’émergence d’une élite sociale liée au commerce ou au pouvoir politique, d’autre part l’implantation de l’Islam avant le 10e siècle sur l’île.

Des céramiques d’importation chinoise et européenne, des perles fabriquées en Inde et en Europe, des objets en verre de Syrie ou d’Egypte, des miroirs chinois, des armes, des bijoux d’or et d’argent, des pièces en nacre, ont également été découverts dans ce site funéraire. Dans cette association entre mobilier et restes humains, les chercheurs reconnaissent un mélange de pratiques funéraires swahili et musulmanes, et des influences arabes, révélant une société brillante et prospère, ouverte sur le monde.

Madagascar exporte vers l’Afrique, les Comores et Mayotte, et plus loin encore dans l’océan Indien, des objets sculptés dans le chloritoschiste, des textiles, du fer, des épices, des résines, et des esclaves. Les migrations successives ont développé de nouvelles pratiques : la riziculture, venue d’Asie, et l’élevage des bovins, les cultures du taro et de la banane, importées d’Afrique australe et orientale.

Les Royaumes

Les comptoirs commerciaux établis dans les ports se développent de manière florissante, en particulier dans la partie nord de l’île. Ces villes portuaires, cosmopolites, deviennent de véritables cités-états au cours du 13ème siècle, époque de croissance économique très active. Parallèlement au développement de ces entités politiques, l’expansion démographique incite des populations à s’installer progressivement le long des côtes, et, en suivant un processus qui va se répéter, à fonder des royaumes très hiérarchisés. Ces royaumes sont fondés sur des institutions religieuses et sociales : la vie des individus et de la communauté est régie par le vintana -destin- dont l’ombiasy -devin-guérisseur en charge des rituels- est l’interprète. Le pouvoir centralisé se réfère en permanence aux ancêtres royaux et un certain nombre de rituels visent à entretenir le lien entre la prospérité du territoire et les lignages aristocratiques.

Art colonial et artistes malgaches

L’art et l’histoire de l’art de Madagascar ont été profondément marqués par la présence coloniale, notamment française, pendant plus d’un demi-siècle.

La peinture est introduite à Madagascar dans le royaume d’Imerina par Radama 1er en 1826, lorsqu’il fait réaliser son portrait par le peintre français André Coppalle 1797-1845. Il  s’agit alors d’adopter un mode de représentation égal à celui de ses homologues européens. La peinture est dès l’origine utilisée comme un outil de pouvoir, au service de la mise en scène de la monarchie. Les peintres malgaches supplantent d’ailleurs dès les années 1850 les peintres étrangers.

En 1913, une école de peinture ouvre dans la capitale et, en 1922, ouvre celle des BeauxArts sur le modèle français. La peinture des Beaux-Arts est marquée par l’individualisation des modèles et un certain réalisme, le paysage, calqué sur les canons esthétiques européens, devient un genre à part entière. Quelques années plus tard, les Ateliers d’Arts Appliqués Malgaches incitent les peintres, ainsi que les sculpteurs, à se détacher des imitations européennes, en privilégiant les sujets locaux, traités de façon plus stylisée ou décorative. Cette modernisation alimente un marché de l’art malgache qui connaitra un grand engouement auprès des Européens comme des Malgaches et dans le même temps sa dépréciation, car cet art sera rapidement qualifié d’artisanat.

La sculpture est souvent considérée comme l’expression la plus authentique de l’art malgache, contrairement à la peinture qui peine à s’affranchir de son origine européenne. Son usage et sa forme diffèrent d’une région à l’autre et, pour les français qui la découvrent au moment de la colonisation, sa diversité résulte du degré d’évolution supposé des populations.

Aux populations du Sud -Mahafaly, Bara, Sakalava…- est attribuée une sculpture jugée primitive, à l’inverse, les populations des Hautes-Terres -Merina, Betsileo, Tanala- produisent une sculpture de tradition plus ancienne et plus élaborée, dont l’expression la mieux connue est les “bois de lit.

Pratiqué à Madagascar depuis plusieurs siècles, l’art statuaire de l’île a néanmoins été marquée par le pouvoir colonial français. Nommé gouverneur général, Joseph Gallieni, créé une école professionnelle pour la formation des artisans dans le but de promouvoir les productions malgaches et la réussite française.

L’école des Beaux-Arts d’Antananarivo, qui ouvre en 1922, dispense aux artistes une formation confiée à des intervenants français. Le respect du style académique assure aux sculpteurs, comme aux peintres, une certaine notoriété jusqu’en métropole. Des tendances contradictoires et complémentaires habitent alors les artistes malgaches de l’époque : être conformes aux canons esthétiques européens pour traiter de sujets originaux malgaches, séduisant tant les métropolitains que les insulaires.

En dépit de la méfiance de la reine Ranavalona 1ère envers les européens et cette nouvelle technique artistique, la photographie fait son entrée à Madagascar en 1856, par le par le biais du révérend William Ellis de la London Missionnary Society, une secte protestante britannique vouée à l’évangélisation en terres lointaines. Pratique importée à Madagascar, la photographie, après des débuts difficiles, trouve rapidement sa fonction dans la haute société. D’abord crainte, elle est rapidement assimilée, puis convoitée. Le fils de la reine Ranavalona 1ère, qui régna brièvement de 1861 à1863 sous le nom de Radamma II, nomma d’ailleurs un photographe officiel de la cour.

Lorsqu’à partir des années 1880 arrivent les "missionnaires scientifiques", précurseurs de la colonisation, des images publiques apparaissent. Une photographie officielle se développe, s’ajoutant aux productions des missions religieuses. Les clichés de la fin du siècle sont, dans leur grande majorité, réalisées par des photographes œuvrant pour des missions scientifiques ou militaires tel Alfred Grandidier qui est envoyé en 1869 par le Museum d’Histoire Naturelle ou le Docteur Catat qui organise la couverture photographique de l’Armée française. Les photographies de cette époque comptent parmi les témoignages les plus importants de la période coloniale. Elles recensent les Malgaches comme des éléments de la nature, parmi la faune et la flore d’une l’île à conquérir.

Le sculpteur Tsida avait quitté sa région natale pour rejoindre la capitale. Elève d’Anna Quinquaud, son œuvre illustre les tensions qui habitent les artistes de l’époque, entre  partisans d’un art sur le modèle européen et opposants qui voient dans ce modèle la fin d’un "art pur', originel.

Parallèlement, apparaissent des studios de professionnels dont le nombre ne cesse peu à peu de s’accroître. A partir des années 1920, les premiers photographes malgaches s’établissent et répondent à la commande des clients aisés de portraits réalisés en studio ou en extérieur. La photographie  devient une pratique sélective, accessible seulement aux membres de la maison royale, aux dignitaires chrétiens et aux gens aisés de la période coloniale, qui en font un véritable outil de distinction sociale.

Jusqu’au milieu du 20e siècle, il est possible de lire dans les encyclopédies ou les dictionnaires que les arts de Madagascar n’atteignaient pas la délicatesse des objets asiatiques ou n’avaient pas non plus la force des sculptures du continent africain. Ces jugements, émaillés de méconnaissances et d’a priori, ne permettent pas de comprendre que justement les arts de Madagascar sont singuliers parce qu’ils appartiennent à la croisée des mondes et, de fait, ne peuvent être comparés à ce qui se fait ailleurs.

Le monde des vivants 

L’organisation de l’espace, que ce soit à l’échelle du cosmos ou de la vie quotidienne, est régie par le zodiaque malgache, le vintana. Les douze signes de ce zodiaque sont regroupés en quatre destins principaux, associés aux points cardinaux. L’orientation de toute construction,  l’organisation de toutes activités et le déroulement des rituels sont soumis aux indications de l’astrologue mpanandro et du géomancien mpisikidy. Dans le village, c’est l’orientation nord-est qui détermine la disposition des maisons et la hiérarchie sociale. A partir de la maison du lignage fondateur, les constructions se répartissent vers le Sud-Ouest.  Dans les demeures, les habitants et les objets ont une place déterminée en fonction du poteau central qui soutient la toiture et sépare symboliquement deux zones : le sacré au Nord, le profane au Sud. L’angle nord-est -celui de la direction du monde des ancêtres- est un lieu de prière. L’emplacement réservé au chef de famille, à l’autorité, se situe vers le mur oriental, également lié à la richesse et à la croissance. Ce qui est à l’Ouest et au Sud concerne les usages domestiques, tout ce qui est vulgaire, négligeable voire souillé et impur.

L’architecture domestique

L’architecture malgache repose sur deux principes clés. Compte tenu de l’importance du culte des ancêtres, le tombeau est doté d’une valeur supérieure à celle de la maison. Cependant, l’habitation n’est pas simplement reléguée au rang de simple abri, elle est aussi un support cosmologique et astrologique, un instrument éducatif qui facilite l’incorporation de valeurs, un élément de distinction sociale et d’affirmation de l’autorité.

Les habitations sont majoritairement construites à partir d’éléments végétaux tels que le bois, les feuilles de palmes - recouvertes de torchis - le bambou ou le raphia. Si les matériaux utilisés varient en fonction des régions, une certaine unité réside dans le plan : une seule pièce organisée autour du poteau central de soutènement. La variété s’introduit également par des toits formant un auvent, des vérandas, des maisons sur pilotis et le décor sculpté des portes ou des volets en bois.

L’architecture en terre s’est développée dans les régions centrales, les constructions en bois étaient autrefois, dans la capitale, réservées à l’aristocratie, les autres bâtiments étaient en pisé -terre crue-. En 1868, un édit royal interdisant les constructions "en dur" fut supprimé, les maisons urbaines bourgeoises furent alors édifiées en briques et couvertes de tuiles.

Orner la maison

L’intérieur de la maison compte peu de meubles. Les portes et les volets en bois sont les supports privilégiés du décor sculpté, en particulier dans l’architecture zafimaniry,  au centre-est de l’île. Les grandes habitations en bois témoignent d’une architecture qui a disparu dans les Hautes Terres. L’environnement forestier et le talent réputé des sculpteurs en pays zafimaniry a sans doute permis la perpétuation de techniques et motifs très anciens.

Le lit est placé dans la partie est de la maison. C’est le meuble le plus important, par sa taille certes mais aussi par sa signification puisqu’il indique le statut social de son propriétaire. En fonction des foyers et de leurs moyens, il s’habille de sculptures, directement taillées dans le bois. Les montants sont rarement ornés mais le côté externe de la partie horizontale visible au niveau du sommier est souvent sculpté - ou simplement gravé - d’une frise de personnages ou de scènes de vie. Au 19e siècle, la présence de soldats européens ayant profondément marqué les esprits, les images de défilés militaires deviennent des sources d’inspiration pour ces décorations.

Habituellement, dès la tombée de la nuit, c’est le feu allumé pour la préparation du repas du soir qui éclaire la maison. Les témoignages de certains voyageurs européens ayant visité l’île aux 17e et 18e siècles apportent des précisions sur l’utilisation de supports matériels pour la lumière. En bois, en terre cuite, en fer forgé ou en pierre, les matériaux sont variés et diffèrent là aussi en fonction des régions. Utilisées aussi bien pour éclairer que pour décorer l’intérieur des habitations, ces lampes traduisent également le statut social des propriétaires.

Toutes les lampes comportent des cupules dans lesquelles étaient placée la graisse animale ou des résines qui nourrissaient la flamme. Plus le nombre de cupules est important, plus le statut social du propriétaire élevé.

De l’utilitaire au décoratif

Avant l’adoption d’objets et de coutumes venus d’Europe par les élites politiques et économiques, la majorité des intérieurs malgaches étaient marqués par une certaine sobriété, comme l’évoquent des récits de voyageurs au 19ème siècle, surtout lorsqu’on s’éloigne de la capitale. Les objets collectés sous la période coloniale étaient considérés comme des pièces ethnographiques, témoignages de cultures exotiques. C’était sousestimer d’une part la capacité ingénieuse à exploiter les ressources naturelles (bois, osier, feuilles de palme, paille, bambou entre autres) et l’inventivité déployée pour donner une forme qui suive, avec souvent une grande économie de moyens, la fonction de l’objet. Certaines productions se rapprochent de ce fait de la notion de design.

Boîtes et contenants

En l’absence de mobilier, tel que des armoires ou des buffets, les textiles, les menus objets et les denrées sont conservés dans des contenants, qui selon leurs dimensions sont  placés sous le lit ou sur une étagère. Un nombre infini de boîtes, de corbeilles, d’étuis, de coffres, de pots en fibres végétales, sculptés dans le bois ou tressées, sont présents dans la maison. Les étuis en bambou ou en bois -permettant de conserver des documents roulés ou pliés-, les tabatières et les petites boîtes aux formes variées sont conservés dans la partie nord de la maison, sur des étagères ou suspendus au-dessus du lit.

Les contenants liés à la consommation des aliments sont conservés avec les choses vulgaires, triviales ou sales, soit au sud-ouest de la maison. Néanmoins, des pots et cruches, des mortiers aux formes raffinées, colorées ou figuratives, marqués donc par un certain prestige, sont placés en évidence afin d’être vus par les visiteurs lorsqu’ils franchissent la porte.

Les grands mortiers en bois ou en pierre sont utilisés pour piler le riz. De dimensions plus petites et souvent ornés d’un décor sculpté, ou adoptant des formes figuratives -maison, zébu- de petits mortiers servent à broyer les épices, le sel ou le café. Ces denrées précieuses étaient conservées dans des boîtes pourvues de couvercle, elles aussi décorées de reliefs.

L’art délicat de la vannerie

Activité principale après l’agriculture, il n’y a pas de région dans l’île où la vannerie n’occupe une place importante, principalement féminine, son savoir-faire se transmet de génération en génération. La flore luxuriante de Madagascar a permis aux habitants de confectionner des objets en fibres végétales tressées ou tissées et de développer ainsi un véritable art de la vannerie. Paille de riz, joncs, roseaux, feuilles de palmes, fibres du ravinala, l’arbre du voyageur : toutes les plantes fibreuses sont utilisées à cet effet. La qualité de la réalisation réside dans la souplesse et la résistance du matériau travaillé. Aux  objets utilitaires -  nattes, récipients de toutes tailles, sacs et paniers - s’ajoute une vannerie plus décorative - rideaux, boîtes et étuis, sets de table. Tous ces éléments sont conservés dans la partie est de la maison. A la fin du 19e siècle, l’influence européenne s’est insinué jusque dans les intérieurs de maisons modestes désormais décorées de paysages urbains, natures mortes et portraits peints sur des toiles de fibres végétales par des artistes malgaches.

Les objets personnels

Les vêtements, les coiffes, les bijoux et les accessoires comptent parmi les objets personnels. Certaines pièces sont dès leur conception des objets destinés à un seul individu : les bijoux ou les cuillères peuvent être réalisés dans le but de rehausser le prestige de ceux qui les arborent ou de protéger leur propriétaire. D’autres effets réalisés sans commanditaires précis deviennent des objets personnels par l’usage. Les chapeaux en sont le meilleur exemple : achetés sur le marché ou à des fabricants ils sont utilisés par un seul possesseur.
Etui

L’art de la parure, les coiffes et les chapeaux

A Madagascar, l’art de la parure ne relève pas d’une tradition statique mais est soumis aux changements d’identité sociale, religieuse, aux modes et aux influences venues d’ailleurs.

Quelques parures corporelles, telles les tissus de soie sauvage teints localement, sont entièrement fabriquées sur l’île. De nombreuses autres sont réalisées avec des matériaux importés (argent, soieries arabes…), mais toutes présentent des dessins et des significations purement malgaches. Historiquement, à travers toute l’île, les hommes comme les femmes soignent leur chevelure, la tête coiffée étant le signe d’une personne socialisée. Chaque style porte un nom propre, quelques-uns étant réservés aux cérémonies. Les instruments utilisés, soit les pointes-démêloir et les peignes, les repose-tête en bois, sont des possessions chéries, souvent décorées artistiquement.

Variant selon les époques et les régions, l’usage des chapeaux est déterminé dans l’espace et dans le temps. Il semble que de petits chapeaux, au 18e siècle, étaient portés seulement par les personnes royales ou lors de cérémonies, comme l’ont rapporté nombre de voyageurs européens à Madagascar. Lors de la période coloniale, beaucoup d’auteurs ont tenté de classer les coiffes et les costumes en fonction des régions. Néanmoins, ce rapport strictement identitaire aux objets ne tient pas compte du fait que les modèles de chapeaux pouvaient être adoptés en fonction des déplacements de chacun ou également suivre les modes. Il est ainsi évident que des chapeaux réalisés en vannerie imitent le haut-de-forme ou le canotier européen.

Les instruments de musique

Madagascar est très souvent nommée par ceux qui la connaissent "l’île des musiciens". Les hommes comme les femmes peuvent être réputés pour leur excellence dans le domaine de la musique. En toute occasion, profane ou sacrée, dans les zones urbaines, dans les villages, dans les cimetières, la musique, les chants et les danses sont présents. Les instruments de musique sont marqués par les influences qui se croisent depuis des siècles dans l’île. Les cithares tubulaires sont d’origine austronésienne, l’accordéon et le violon sont européens, les flûtes et luths sont arrivés avec les voyageurs arabes et les tambours renvoient au continent africain. Comme pour tous les arts de Madagascar, ces éléments extérieurs ont été adoptés, adaptés et sans cesse réinventés pour aboutir à des créations originales.

Le rapport entre les mondes invisibles et parallèles, et le monde des morts

Parallèlement au monde des vivants, des êtres immatériels – puissance suprême, ancêtres, esprits et forces naturelles – évoluent dans une autre dimension. Si le Dieu créateur est inaccessible aux prières et aux sollicitations des humains, les ancêtres, en tant qu’intermédiaires et surtout parce qu’ils peuvent régler un problème ou provoquer des désastres, sont honorés et omniprésents au quotidien. Leur influence est perceptible dans le monde profane : ils sont indispensables au domaine du sacré, qu’il s’agisse de cérémonies concernant un individu, de cultes impliquant toute la communauté ou de rites de guérison. De très nombreux objets personnels révèlent un lien au sacré et sont parfois aussi impliqués dans des cérémonies rituelles. Les textiles tissés habillent les vivants et enveloppent les morts ; les linceuls sont souvent plus précieux que les pagnes rectangulaires qui sont portés drapés par les habitants des villes et des villages. Au plus près de ces frontières avec les espaces invisibles, les astrologues et devins officient pour guider et protéger les membres de la communauté : les talismans, charmes et amulettes s’adressent au monde tangible alors que les tombeaux sont les dernières demeures de ceux qui vivent dans l’au-delà.

Vers le sacré

Les Malgaches, qui ont gardé le système de croyances de leurs ancêtres, ne sont pas polythéistes, mais plutôt hénothéistes : ils reconnaissent la suprématie d’un seul dieu, tout en admettant l’existence d’une multitude d’esprits. Dieu unique, Zanahary, à l’origine de toute chose dans l’univers, n’est jamais représenté. Ce sont les ancêtres qui sont les médiateurs entre les vivants et le Créateur. Le dialogue avec les ancêtres se fait à travers les sacrifices mais aussi par les rêves et la possession (tromba), la transe permettant de solliciter les conseils d’un esprit pour régler un problème.

Les sacrifices d’animaux, en particulier des zébus immolés, sont indispensables lors des cérémonies qui ponctuent la vie d’un individu ou celle de la communauté. Certains morceaux de la carcasse, réservés dans des plats rituels, sont jetés sur un brasier, la fumée attire les ancêtres et c’est alors que les prières et les sollicitations leurs sont adressées par le chef de famille. Les couteaux en métal, dont le manche est surmonté de petites figurines, sont employés pour égorger les animaux. La viande est disposée dans des plats à sacrifice, fandilia, qui en raison du contexte sacré dans lequel ils sont utilisés sont ornés de sculptures. 

Pouvoir et puissances

Plus qu’être doté d’un sens sacré, certains objets détiennent un pouvoir de protection sur ceux qui les possèdent. L’ombiasy. devin et de guérisseur, diagnostique le problème et compose le remède : les amulettes ody protègent l’individu, tandis que les talismans sampy protègent une communauté.

Ces charmes sont constitués d’assemblages complexes qui sont issus d’éléments végétaux - racines, graines, tronçons de bois, écorce-, du monde minéral - terre, quartz, pierres - et du règne animal - corne, peau, poils, griffes, dents, coquillages, miel, graisse -. A ces matériaux s’ajoutent des pièces manufacturées -tiges de fer, ciseaux, clous, perles de verre, argent-. Ces composants sont parfois assemblés en collier ou placés dans un réceptacle : une corne ou un contenant en forme de corne, une boîte, une bouteille ou un petit récipient avec un visage sculpté.

Réussir sa mort

A Madagascar, les tombeaux sont de véritables constructions qui jouent un rôle fondamental dans l’hommage rendu aux ancêtres mais qui exposent aussi un signe ostentatoire de prestige et de richesse de la famille du défunt. Ces tombes monumentales sont, au temps des royaumes, réservées aux souverains, à leur famille, et à la noblesse. Les bouleversements introduits au 19e  siècle par la déstabilisation des systèmes anciens, en raison de la présence européenne sur l’île, ont permis à un nombre croissant de familles roturières de bâtir des tombeaux, gages d’une forte identité sociale. D’un hommage aux ancêtres à un signe ostentatoire,  l’art funéraire malgache est également perçu comme décoratif et nombre de sculpteurs de figures funéraires sont ainsi sollicités pour réaliser des œuvres destinées à une clientèle d’amateurs européens et de malgaches aisés.

En fonction des régions, les tombeaux adoptent des formes variées : larges dalles de pierres, accumulation de blocs, monolithes, édicules, enclos fermés par des palissades, érection de poteaux en bois -les aloalos- ... ces éléments délimitent l’endroit où vivent les défunts.

Certaines cultures, comme les Mahafaly ou les Sakalava, ont développé un art de la sculpture très raffiné. Honorant leurs morts avec beaucoup de soin, les tombes sont préparées selon des rites très précis. Les aloalos, poteaux funéraires aux motifs traditionnels, surplombent les sépultures. Avec un jeu de superpositions de formes géométriques, de figures humaines -féminines ou masculines- et de scènes figuratives -oiseaux, zébus, crocodiles…-, ils évoquent la vie des défunts, en exprimant par exemple leur réussite sociale, leur parcours, leur existence. Il est à noter que les personnages représentés ne sont pas des portraits des trépassés. Les figures de zébus, très présentes, évoquent la richesse et les cérémonies organisées en l’honneur des ancêtres lors desquelles un certain nombre de têtes de bétail - en proportion avec la position sociale du défunt - est sacrifié. Le sacrifice vise ici à protéger les descendants du défunt. 

La sculpture funéraire est le reflet de la société : aux figures traditionnelles liées à la fécondité, à l’au-delà, se mêlent aussi des éléments modernes, comme la représentation de personnages habillés en colon.