Livre : "nos chers espions" sont de retour en Afrique....

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                      "Nos chers espions" sont de retour en Afrique !

Partout à la manœuvre, dans le désert avec les Touaregs comme dans les bureaux officiels des capitales, ils orientent discrètement la nouvelle politique africaine qu’entend mener la France.

Mais dans l’Afrique mondialisée du XXIe siècle, nos agents secrets ne sont plus à la fête : israéliens, chinois ou russes leur livrent une féroce concurrence auprès de présidents africains à bout de souffle, avides de renseignements stratégiques pour se maintenir au pouvoir.

Antoine Glaser et Thomas Hofnung révèlent ici les échanges étonnants entre dirigeants africains et agents français, font parler des anciens espions passés dans le privé - plutôt silencieux d’habitude - et expliquent comment les guerres entre services parisiens ont parfois de terribles conséquences sur le terrain.

Sur un continent très convoité pour ses matières premières et son potentiel humain, nos  "chers espions" défendent ce qui reste des intérêts tricolores. Toujours dans l’ombre, ils tentent de garder la main sur notre ancien pré carré africain dans lequel le dossier le plus anodin est souvent classé "confidentiel défense"

  • Antoine Glaser est journaliste et spécialiste de l’Afrique.
  • Thomas Hofnung est journaliste à The Conversation-France

 

  • Parution 5 septembre 2018
  • Aux éditions Fayard
  • Pages : 300 
  • Format 13 cm 21 cm
  • Prix 19 euros

 

 

 

 

Extraits :

Carte maîtresse des services de renseignement français dans la région - et, on le verra, jusqu’aux confins des massifs montagneux de la zone sahélo-saharienne -, Idriss Déby est aussi à la manœuvre dans les pays voisins comme la République centrafricaine. Fatigué de la paranoïa anti-française d’Ange-Félix Patassé, président élu en 1993 et réélu en 1999 à la tête du pays de l’ancien empereur Bokassa, Paris laisse s’accomplir un coup d’État à Bangui, le 15 mars 2003. Réfugié à Ndjamena, François Bozizé, ancien chef d’état-major de l’armée centrafricaine, prend le pouvoir en Centrafrique avec le soutien décisif d’une partie de la garde présidentielle d’Idriss Déby. Bien qu’aux premières loges, Paris ne moufte pas.

Dix ans plus tard, le 25 mars 2013, c’est le même Déby qui laisse la coalition musulmane de la Séléka -alliance des rebelles- déboulonner son ancien allié. Pourquoi ? François Bozizé a l’impudence de vouloir exploiter les gisements de pétrole du Nord de la Centrafrique, qui ne sont que le prolongement de ceux du Sud du Tchad. Du côté français, la DGSE est fortement agacée par la pression financière mise sur le groupe Areva par l’entourage présidentiel pour l’exploitation du gisement d’uranium de Bakouma, dans le Sud-Est du pays. La DGSE conduit alors une guerre de l’ombre peu connue. La cible : Saifee Durbar, le conseiller et l’éminence grise financière du président François Bozizé.

Rencontré en décembre 2017 dans ses bureaux du quartier de Mayfair, non loin du palais de Buckingham, cet homme d’affaires d’origine indo-pakistanaise ne cache pas qu’il a passé sa vie à contrer les intérêts français en Afrique. Il se vante même d’être à l’origine, dans les années 1990, de la fermeture des bases militaires françaises en Centrafrique. Et finit par accuser la DGSE d’avoir "à deux reprises" saboté ses avions. Une accusation jamais étayée par une enquête.

Après Ange-Félix Patassé, Saifee Durbar devient le conseiller de son successeur putschiste François Bozizé. Pour les Français, Durbar est l’âme damnée du président centrafricain. Il conseille à Bozizé de réclamer à Areva une forte somme d’argent pour l’exploitation du gisement d’uranium de Bakouma. D’après Saifee Durbar, "Areva qui aurait pu racheter Uramin à 475 millions de dollars en 2006 met 2,5 milliards sur la table en mai 2007". Outre Bakouma, figurent dans le portefeuille d’Uramin deux autres projets d’exploitation de réserves non prouvées d’uranium en Namibie et en Afrique du Sud. Une acquisition qui se révélera un fiasco autant financier qu’économique. Il est vrai qu’entre-temps le drame de Fukushima au Japon a fait plonger le cours de l’uranium de 100 dollars à 50 dollars la livre. La folie boursière d’Uramin n’en reste pas moins dans les mains des magistrats après l’ouverture de plusieurs procédures judiciaires.

Dans un premier temps, Saifee Durbar conseille à Bozizé de taxer Areva de 150 millions de dollars pour avoir "laissé les mines à l’air libre sans protection pour les populations et changé d’actionnaire sans que l’État centrafricain n’en soit informé". Sans succès. Paris voit rouge. D’autant que François Bozizé s’émancipe de plus en plus, sur le plan financier, de ses parrains français grâce à des rentrées d’argent liquide obtenues par Durbar pour payer le salaire des fonctionnaires. À l’Élysée, le conseiller Afrique Bruno Joubert, ancien directeur de la Stratégie de la DGSE, n’a qu’une obsession : "Dégager Saifee Durbar de l’entourage du président." Non seulement François Bozizé résiste, mais il le nomme vice-ministre des Affaires étrangères avec résidence à Londres, à l’abri de Paris. Pas totalement… Saifee a un vieux dossier judiciaire qui traîne au tribunal de Créteil. Une aubaine pour les services français !

Saifee Durbar se remémore sa descente aux enfers : "Nos avocats britanniques avaient saisi, en août 2007, Herbert Smith, le cabinet d’Areva, pour obtenir 150 millions de dollars. Aucune nouvelle… 5 semaines plus tard, exactement le 6 septembre 2007, j’étais à Bangui et on m’appelle de Londres. "Un policier est venu chez vous avec un mandat international daté du 27 août 2007.” Mon chef de la sécurité qui travaille pour les services britanniques se renseigne. Paris a réactivé contre moi une condamnation de 1995 pour escroquerie. J’avais servi de référent à un ami qui avait emprunté auprès d’une banque iranienne de la place Vendôme. J’étais poursuivi pour une escroquerie en bande organisée de 2,5 millions de dollars, alors qu’en 1995 j’avais acheté une maison à Cannes pour 11 millions, un bateau à 22 millions, et je disposais de 3 avions à mon nom. Et j’aurais été dans une escroquerie pour moins de 300 000 dollars pour moi, puisque 8 personnes étaient poursuivies !" Saifee Durbar remet ses multiples passeports diplomatiques africains aux autorités britanniques. "Après examen, la Cour suprême m’a rendu tous mes documents et m’a autorisé à voyager à condition que je n’aille pas en France", se rappelle-t-il.

Pourquoi alors venir à confesse à Paris deux ans plus tard ? "Après le sabotage de mes avions j’ai pris peur et j’ai demandé, par l’intermédiaire de Vincent Crouzet, à prendre contact avec les services français", justifie Durbar. Pour le sabotage de ses avions, d’autres sources pointent du doigt les services israéliens, qui auraient pris ombrage des relations de Saifee Durbar avec des réseaux iraniens.

Le 2 décembre 2009, l’homme d’affaires indo-pakistanais est incarcéré à la prison de la Santé. Au quartier des particuliers, où sont installés les VIP, il reçoit à 2 reprises des responsables des services secrets français. Le deal : "En échange de mon silence sur l’affaire Uramin, on me plaçait chez moi avec un bracelet électronique. Cela a duré 3 mois et demi. Ensuite, l’affaire n’a pas eu de suites judiciaires", souffle-t-il d’une voix lasse. Condamné en 2007 à 3 ans de prison ferme par contumace, Saifee Durbar ne sera finalement "retenu" que 9 mois en France -3 mois et demi à la prison de la Santé au quartier des particuliers et 6 mois sous bracelet électronique-.

En septembre 2010, Saifee Durbar quitte la France avec un oukaze de non-retour des autorités françaises. À la demande du juge Van Ruymbeke, qui souhaite l’entendre sur le dossier Uramin, il reverra tout de même la tour Eiffel. "J’ai vu le juge à plusieurs reprises en 2014 et 2015 mais je ne lui ai jamais remis les documents", affirme Durbar, précisant aussitôt : "Seulement ceux qui concernaient les dossiers des intermédiaires, comme Balkany." Le nom du maire de Levallois-Perret apparaît comme "facilitateur" entre AREVA et le gouvernement centrafricain. Patrick Balkany a été reçu à plusieurs reprises à Bangui par les autorités centrafricaines chargées de ce dossier.

Soutien indéfectible au "frère d’armes" de Brazzaville

Voilà comment François Bozizé a quitté la colonne des présidents chouchous pour celle des personae non gratae. La protection des services secrets français se cultive en effet sur le long terme. Pourtant, François Bozizé avait demandé conseil à son grand frère voisin, Denis Sassou-Nguesso, président de la République du Congo. Ce dernier ne l’avait-il pas initié, le 10 octobre 2003, dans l’Arche royale de l’Afrique centrale ? Une loge affiliée à la Grande Loge nationale française, longtemps le réseau des réseaux de l’Afrique en France. Mais cette alliance maçonnique n’a pas suffi à garantir à Bozizé une protection dans les milieux du pouvoir sécuritaire à Paris… contrairement à Denis Sassou-Nguesso.

Quels sont donc les puissants parrains de "Sassou" dans les services français depuis son arrivée au pouvoir en 1979 ? Des soutiens qui lui ont même permis de revenir, par la force d’un coup d’État, à la tête de la République congolaise en 1997, après une traversée du désert de 5 ans à Paris. C’est Michel Roussin qui nous donne une clé de compréhension, parmi d’autres, de cette protection au long cours. Pour lui, Sassou est avant tout un frère d’armes : "Sassou, c’est l’école des officiers de réserve de Cherchell en Algérie avant l’indépendance, puis l’école d’infanterie de Saint-Maixent. Il est embarqué en Algérie avec les français dans les dernières embuscades avant la résolution du conflit en juillet 1962. Ensuite, je le découvre et l’apprécie, avec Jean-Yves Ollivier", décrypte l’homme qui a été le directeur de cabinet d’Alexandre de Marenches, alors patron du SDECE.

Mais qui est donc ce Jean-Yves Ollivier dont parle Michel Roussin ? C’est le conseiller étranger le plus intime du président congolais : "Je voue à Sassou, qui me considère comme son frère, un respect et une amitié indéfectibles", confie-t-il à Paris Match le 19 août 2013, au moment où il sort de l’ombre en se présentant comme l’homme de l’Afrique postapartheid. Ce qui n’est pas anodin. Qui d’autre qu’un homme familier des services secrets, autant sud-africains que français, aurait pu monter le 7 septembre 1987 l’opération Condor : un échange de prisonniers entre l’Afrique du Sud, l’Angola, la Namibie et la France ?

Une mission impossible sans l’appui solide d’un président africain tel que Denis Sassou-Nguesso, à l’époque au mieux avec les pouvoirs marxistes-léninistes de la région, comme l’Angola. À ce moment-là, le "frère d’armes" congolais de Cherchell a gagné son ticket pour monter dans le manège des présidents chouchous de la tour Eiffel. Pour être protégé, il faut en effet rendre des services. Et ce n’est pas qu’un mot… C’est justement dans les périodes compliquées de la guerre froide que les espions français ont sélectionné leurs "vrais" amis.

Tout comme le Gabon, le Congo a, entre autres activités secrètes, été utilisé par l’industrie française d’armement pour poursuivre ses relations incestueuses avec l’Afrique du Sud de l’apartheid, boycottée officiellement par les pays occidentaux. Un secret de Polichinelle pour les initiés. En voici une preuve pour les profanes : l’utilisation du Congo comme "faux nez" pour vendre des missiles Mistral à l’Afrique du Sud, sous embargo de tout armement.

Le 10 août 1988, deux officiers congolais - dont le numéro deux des services de l’ambassade du Congo à Paris – débarquent dans l’entreprise Matra. Ils commandent la livraison à leur pays de 50 missiles Mistral et de 10 trépieds de lancement. Un missile antiaérien du type "tire et oublie" qui vient tout juste de sortir des chaînes d’armement : il n’a jamais été exporté et l’armée française n’en dispose pas encore, ce qui n’empêche pas cette commande de passer allègrement les autorisations les plus sévères des commissions d’exportation d’armement. Feu vert à tous les étages, jusqu’au 19 janvier 1989.

Un officier de renseignement balance l’opération : ces missiles ne sont pas destinés au Congo-Brazzaville mais à l’Afrique du Sud. Scandale et médiatisation bloquent l’affaire. Mais l’acompte de 15 millions de francs  soit 3,6 millions d’euros de 2018, en tenant compte de l’inflation à Matra - pour un contrat global de 53,3 millions de francs soit environ 13 millions d’euros - est bien arrivé via un compte à la Kredietbank du Luxembourg, connu comme étant celui de l’Afrique du Sud. Ce que confirmera un compte rendu confidentiel de la DGSE : "Au cours de l’instruction, la juge -Mme Marie-Paule Morrachini- a également constaté que l’office français d’exportation de matériel aéronautique avait reçu une trentaine de versements en provenance de ce compte".

Pourquoi cette dénonciation d’un officier du renseignement ? Une classique guerre franco-française entre intermédiaires marchands d’armes. Des anciens des services voulaient vendre directement ces missiles à leurs amis sud-africains sans passer par le Congo-Brazza. L’affaire a vite été étouffée : via la DGSE, le NIS -National Intelligence sud-africain- a récupéré son acompte. C’est dire si le président Denis Sassou-Nguesso est au courant de toutes les turpitudes françaises sur ce continent. Une sacrée assurance tout risque dont il semble toujours bénéficier en 2018. Aujourd’hui, le président congolais se présente comme le meilleur soutien africain de Paris dans la COP21, avec l’animation d’une Commission climat et Fonds bleu pour le bassin du Congo. Il est également l’un des "parrains" régionaux d’une partie de la classe politique centrafricaine. Bref, il a toujours de bonnes raisons d’être bien accueilli dans les milieux sécuritaires à Paris.

Omar l’intouchable, Ali le mal-aimé

Omar Bongo, autre gardien des secrets de la France en Afrique et des opérations clandestines sur son territoire, s’est éteint le 8 juin 2009 à Barcelone sans rien révéler. Lui aussi était pourtant plus qu’au parfum ! "Il considérait qu’il était partie intégrante de nos services", expliquera même Jacques Sales, qui sait de quoi il retourne : il a été chef de poste de la DGSE à Libreville pendant 8 ans dans les années 1980.

Pour la France, le Gabon n’était pas seulement stratégique pour le continent, mais aussi pour les relations secrètes de la France avec des pays comme l’Iran. Un jeu géopolitique à 3 bandes. C’est l’uranium du Gabon qui devait être livré à l’usine d’enrichissement d’Eurodif dont l’État iranien était actionnaire, à l’époque du shah, dans les années 1970. Omar Bongo était ainsi devenu un chef d’État intouchable, et pas seulement parce qu’il finançait des personnalités politiques françaises, mais aussi pour sa maîtrise des dossiers "Secret Défense" tricolores.

Le 7 septembre 2018