A la veille de Noel, le cardinal Nzapalainga délivre un message

Le cardinal Dieudonné Nzapalainga, archevêque métropoltain de Bangui en Centrafrique adresse un message à la communauté chrétienne de l'archidiocèse de Bangui, et aux hommes et femmes de bonne volonté à l'occasion du 25 décembre 2016
 

Chers frères et sœurs dans le Christ et vous tous, hommes et femmes de bonne volonté,Cardinal de bangui 19 nov 2017

Que la grâce et la paix de Dieu vous soient données de la part de notre Seigneur Jésus Christ. La liturgie de la messe de ce jour de la Nativité nous donne de méditer sur le Prologue de l’évangile de saint Jean : voilà tout le mystère de Noël ainsi dévoilée "Et verbum caro factum est, et habitavit in nobis1", Tel est le mystère que nous célébrons en la fête de Noël : le Fils de Dieu se fait homme et établit sa demeure parmi nous.

La puissance de Dieu est à l’œuvre en nos vies. Dorénavant "Elle chemine dans les rues et ruelles, sur les places, aux parvis du temple, attentive à la vie des hommes en ce qu’elle a de plus simple et de plus concret". C’est pour manifester notre assentiment et notre reconnaissance à ce geste divin que nous faisons la génuflexion au moment de professer notre foi au mystère de l’Incarnation. Dieu dans nos vies, Dieu avec nous, cet événement est un tournant, celui qui nous conduit au cœur même de la Bonne Nouvelle.

À ce propos, le pape Benoit XVI élabora une formulation fort admirable que son successeur le Pape François promit de ne jamais se lasser de répéter : « À l’origine du fait d’être chrétien il n’y 1 "Et le verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous". (Jn 1, 14) 2 François Varillon, Humilité de Dieu, Paris, le Centurion, 1974, p. 154. "Un enfant nous est né, un fils nous a été donné" (Is 9, 5) 2 a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive."

 

La fête de Noël recèle une conséquence inouïe : elle plonge au cœur du mystère de l’origine de l’humanité en nous dévoilant la dignité nouvelle dans laquelle nous sommes définitivement établis : "Quotquot autem receperunt eum dedit eis potestatem filios Dei fieri, his qui credunt in nomine eius". À ceux qui l’accueillent et qui croient en lui, Dieu donne de devenir ses enfants. Cette année, je choisis de me focaliser sur le thème de l’enfance. Plusieurs raisons motivent ce choix. D’abord la situation alarmante de l’enfant centrafricain qui nécessite non seulement une urgente mobilisation de toute la société. Ensuite et surtout la référence au Divin enfant emmailloté dans la crèche, lui le miroir dans lequel il faut se regarder en vue de la sanctification. Jésus est l’unique et authentique référence dont la contemplation et l’écoute permet de corriger nos erreurs, de remettre l’enfance à la place que lui attribue l’économie divine.

J’opte encore pour le thème de l’enfance parce que Jésus en fait la condition essentielle d’accès au royaume de son Père : "Je vous le dis, si vous ne changez pas et ne devenez comme 3 Deus Caritas est, 25 décembre 2005, n° 1 4 Jn 1, 12. "Un enfant nous est né, un fils nous a été donné" (Is 9, 5) 3 des petits enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume de Dieu".

Enfin, le thème de l’enfance spirituelle est doté d’un extraordinaire pouvoir conciliateur parce qu’il est notre vocation ultime selon la prédication du Seigneur. Il constitue également le devenir auquel nous conduit la foi baptismale que la liturgie met en évidence en ces jours par la célébration de baptêmes d’enfants. Ce thème me permet de m’adresser aux parents, à toutes les personnes et instances responsables de la protection et du devenir des enfants ; mais encore il me permet de vous interpeller directement, vous qui par l’âge appartenez à la catégorie de l’enfance afin que vous sachiez que déjà le Christ vous appelle à être acteurs de votre salut.

Je nous invite tous à plonger dans la compréhension du mystère de l’enfant Jésus dont la lumière de l’avènement se projette sur nos sociétés pour nous inviter à renaître et, ce faisant, à sauver l’enfant centrafricain de la perdition, de la misère et de la précarité. En effet, ainsi que l’a affirmé Benoit XVI : « seul l’Enfant qui est couché dans la crèche possède le véritable secret de la vie. C’est pour cela qu’il demande qu’on l’accueille, qu’on lui laisse de la place en nous, dans nos cœurs, dans nos maisons, dans nos villes et dans nos sociétés. 6 » 5 Mt 18,3. 6 Benoit XVI, Audience du mercredi 3 janvier 2007.

"Un enfant nous est né, un fils nous a été donné" (Is 9, 5) 4 Dieu nous enseigne à aimer les petits enfants. L’un des épisodes marquants du Nouveau Testament est la vive réprimande du Christ aux disciples qui se sont opposés à ce que les enfants s’approchent de lui. Les Synoptiques le reprennent unanimement pour attester le grand intérêt de notre Seigneur pour les enfants7 . Il y a déjà dans l’attitude du Maître l’expression d’une vigoureuse dénonciation contre les différentes formes d’exclusion dont peuvent être victimes les enfants. Jésus révèle qu’ils sont destinataires privilégiés de l’Incarnation.

Mais d’où provient l’indéniable intérêt du Christ pour le thème de l’enfance lequel qui traverse de biais toute sa prédication ? Avant de nous référer à une herméneutique nous pouvons déjà recenser dans la Bible quelques péricopes où il est question de l’enfance. Du fait que cette question apparaisse tant dans l’Ancien que le Nouveau Testament atteste l’importance qu’elle recèle conformément au dessein de Dieu. Dans l’Ancien Testament, les hagiographes présentent souvent l’enfant comme un don, un "cadeau" de Dieu. "Qui sont ceux que tu as là ?" demande Ésaü à son frère Jacob. "Ce sont les enfants que Dieu a donnés à ton serviteur" répond Jacob.

D'où la récurrence de 7 Mc 10, 14s ; Mt 19, 13-15 ; Lc 18, 17. 8 Gn 33,5. "Un enfant nous est né, un fils nous a été donné" (Is 9, 5) 5 noms propres formés incluant le verbe "donner" (nathan), comme Jonathan ou Nathanaël ("Dieu a donné", Dieudonné) ou encore Nathan et Matthieu ("Don de Dieu"). La stérilité, privation de ce don, est insupportable aux femmes israélites, telle Rachel ou Anne . La stérilité est parfois interprétée comme un châtiment de Dieu11 . La postérité est assimilée à une bénédiction divine ainsi que le laisse croire cette exclamation du psalmiste : "Voici, c'est un héritage du Seigneur que des fils, une récompense que le fruit des entrailles".

Dans cette optique, en décrivant le bonheur final de Jérusalem, un prophète annonce que "les places de la ville seront remplies de petits garçons et de petites filles qui s'y amuseront" . En plusieurs endroits, l'Ancien Testament fait part de la tendresse envers les enfants. À titre d’illustration, l'amour de Jacob pour Benjamin, son dernier-né, cet enfant que "son père aime". Les Israélites éprouvaient de la pitié pour les enfants victimes de la guerre et de la famine, ces petits enfants qui « tombent d'inanition au coin des rues" 15 . 9 Gn 30, 1. 10 1 S 1, 4-11. 11 Gn 20,17-18. 12 Ps 127, 3. 13 Za 8, 5. 14 Gn 44, 20. 15 Lm 2, 11-12.19. "Un enfant nous est né, un fils nous a été donné" (Is 9, 5).

Dans l’Ancien Testament demeurent, nombreuses, des références relatives à l’éducation de l’enfant. Mais je n’ai choisi de ne n’évoquer que celles qui me permettaient d’étayer la présente méditation. Le Nouveau Testament ne se désolidarise pas radicalement de la vision vétérotestamentaire de l’éducation des enfants. Les expressions telles que "Enfants, obéissez à vos parents, dans le Seigneur, car cela est juste" et : "Et vous, parents, n'exaspérez pas vos enfants, mais usez, en les éduquant, de corrections et de semonces qui s'inspirent du Seigneur" évoquent la consigne du décalogue :  "Honore ton père et ta mère". Saint Paul le reprend d’ailleurs fidèlement en invitant les parents à aimer, à éduquer à la manière du Seigneur.

Jésus apparaît comme un enfant modèle dans la mesure où il est obéissant et sait librement, nonobstant son jeune âge, se situer dans la logique du Père . Celui-ci ne cesse pas de faire de l’enfant le privilégié, le symbole de la foi et d’humilité. Dans l’évangile selon saint Marc, afin d’éviter à ses disciples l’ambition de la grandeur, Jésus place au milieu d’eux un enfant et dit : "Quiconque accueille en mon nom un de ces petits enfants, c'est 16 Ep 6, 1-2.4 ; Col 3, 20. 17 Ex 20, 12. 18 Lc 2, 49. 19 Mc 10, 13-16. "Un enfant nous est né, un fils nous a été donné" (Is 9, 5) 7 moi qu'il accueille; et quiconque m'accueille accueille Celui qui m'a envoyé".

En d’autres termes, l’enfant est le reflet par excellence de Jésus. De ceci, l’enfance spirituelle n’a de sens que dans la mesure où elle est une invitation à se référer à Jésus grâce à qui nous sommes "fils dans le même Fils" . De nouveau à l’écoute de Benoit XVI, essayons de parvenir à l’intelligence du sens que Jésus assigne à l’enfance : "Être enfant n'est donc pas pour Jésus une étape purement transitoire de la vie de l'homme, dérivant de son destin biologique, et devant par la suite disparaître totalement. Dans l'enfance, ce qui est propre à l'homme se réalise de telle manière que celui qui a perdu l'essentiel de l'enfance est lui-même perdu." Selon Benoit XVI, Jésus se déclare enfant par rapport au Père, d’où l’attribut par excellence pour affirmer sa dignité est celui de "Fils".

En somme en nous invitant à être enfant, nous rappelle-t-il que la vie n’a de sens et de parfait aboutissement que dans l’obéissance au Père, la libre dépendance à la Source de la vie. En me basant sur la Bible et un Père de l’Église comme saint Augustin23 je voudrais apporter une nuance pour éviter de tomber à l’infantilisme. "Frères, ne vous montrez pas enfants en fait de 20 Mc 9, 37. 21 Benoit XVI, Audience du mercredi 3 janvier 2007. Joseph Ratzinger, Retraite prêchée au Vatican en 1980. 23 Saint Augustin, Confessions, I, 7, 11. "Un enfant nous est né, un fils nous a été donné" (Is 9, 5) 8 jugement (par votre immaturité religieuse) ; de petits enfants pour la malice, soit, mais pour le jugement montrez-vous des hommes mûrs. Et : "Lorsque j'étais enfant, je parlais en enfant, je pensais en enfant, je raisonnais en enfant. Une fois devenu homme, j'ai fait disparaître tout ce qui était de l'enfant.

Aujourd'hui, certes, nous voyons dans un miroir, d'une manière confuse ; mais alors ce sera face à face" . Il s’agit de comprendre à travers ces affirmations que la filiation à Dieu par Jésus-Christ et dans l’Esprit Saint devrait avoir pour finalité la maturation de la foi, non pas le statisme. L’enfance spirituelle, en ce sens, n’est pas la promotion de l’infantilisme.

Jésus qui, sous les traits du petit enfant sans défense et livré entre les mains de l’homme, dévoile la splendeur de la simplicité divine, et la transcendance de sa toute-puissance, veut apporter un plus à l’humanité, à nos sociétés, nos familles, nos vies collectives et individuelles. Lui "en qui et par qui tout a été fait" vient restaurer l’humanité dans le dessein du Père. Dans quelle mesure sa naissance devrait-elle interpeler la situation alarmante que traverse l’enfant centrafricain ? En quoi son incarnation devrait-elle susciter une conversion profonde, un dynamisme nouveau pour l’humanisation de 24 1 Co 14, 20. 25 1 Co 13, 11-12. 26 Jn 1, 4. "Un enfant nous est né, un fils nous a été donné" (Is 9, 5) 9 nos sociétés entre les mains de qui, comme Lui, l’enfant est livré ? En tant que figure parfaite de l’enfant comment Jésus peut-il vous inspirer vous qui par l’âge n’appartenez pas encore à la classe des adultes ?

L’enfant fait partie du dessein de Dieu. L’enfance est un projet, l’avons-nous saisi en parcourant les Écritures. Mais encore, l’enfant est un des privilégiés de Dieu : il est un don de Dieu. "Un enfant nous est né, un fils nous est donné". Pour preuve, la naissance de l’enfant Jésus provoque la joie de la population céleste qui par la voix des anges nous confient les paroles du Gloria : "Gloria in excelsis Deo. Pax hominibus, bonae voluntatis". La joie de cette naissance est si grande au point de mobiliser la nature toute entière : dans le symbole de la crèche reçue de la méditation de saint François et incessamment mis en évidence par la postérité, nous entrevoyons un heureux spectacle : récapitulée, la création tout entière, hommes et bêtes, entoure le divin enfant.

Oui, "un enfant nous est né, un fils nous a été donné" : c’est ce que nous proclamons ensemble. "si quelqu’un a accueilli cet amour qui lui redonne le sens de la vie, s’interroge avec enthousiasme le pape François, comment peut-il se retenir de le communiquer aux autres ?" 28 27 Is 9, 5. 28 Pape François, La joie de l’Évangile. "Un enfant nous est né, un fils nous a été donné " (Is 9, 5)

L’expérience humaine la plus commune atteste l’allégresse qui accompagne la naissance dans nos familles d’un nouvel enfant. Vous n’en disconviendrez pas avec moi que combien même le feu des armes semait la mort et la désolation aux heures les plus redoutables des conflits qui ont secoué notre pays, à Bangui comme partout en Centrafrique, les maternités n’ont jamais cessé de se désemplir et l’avènement de nouveau-nés de causer une joie profonde, signe que la vie est plus forte que la mort. Néanmoins, nombreuses sont les situations qui devraient nous conduire à nous questionner pour savoir si nous sommes conscients que donner la vie, accompagner la croissance de la vie, relève d’une mission, de la participation au projet éternel de Dieu.

En d’autres termes, et j’insiste à le dire, à travers l’incarnation de son Fils, Dieu nous révèle qu’il a un projet pour chaque enfant, projet dont la réalisation est confiée aux personnes adultes à travers l’éducation qu’ils doivent apporter, la formation qu’ils doivent garantir. Si l’Enfant Jésus a pu grandir en intelligence et en sagesse, c’est parce que, malgré les faibles revenus de ses parents, il a bénéficié de l’incomparable accompagnement de Marie et de Joseph29 . 29 Lc 2, 52. "Un enfant nous est né, un fils nous a été donné" (Is 9, 5) 11 Une enfance défigurée, déniée L’enfant centrafricain souffre atrocement. Il souffre de ne pas être dignement accueilli et aimé. Quel drame !

En effet, nombreux sont les enfants dont les parents refusent de les reconnaître et ainsi de les intégrer dans la chaîne sociale. Si au cœur du Credo l’Église affirme à tous les âges que Jésus naquît de la Vierge Marie ; si l’évangéliste saint Mathieu insiste pour mettre en évidence l’acceptation par Joseph d’être le père adoptif de l’enfant , c’est pour montrer que seule la reconnaissance du Divin enfant par ces deux humbles figures lui ont permis d’intégrer la lignée davidique et de faire partie à jamais de la grande histoire humaine.

L’enfant est le fuit de l’amour de ses parents. Il n’est pas issu du hasard ou d’un accident de parcours. Une telle conviction est celle qui devrait sous-tendre une paternité et une maternité responsable. De la même manière que Jésus est le reflet de l’amour infini du Père, l’enfant est le signe visible de l’amour de deux êtres et plus encore, l’avenir de tout la communauté. L’enfant est une richesse pour la famille et pour le groupe social. En étant habité par de telles convictions, comment concevoir qu’il y ait résurgence, amplification du phénomène de filles-mères ou de 30 Mt 1, 18-25. 31 Jean 3, 16 ; Lc 3, 22. "Un enfant nous est né, un fils nous a été donné"  (Is 9, 5) 12 grossesses précoces qui déstabilisent nos familles ? Il ne faut pas évoquer les raisons de conflits et de guerres pour encourager une procréation irresponsable. Et vous parents, vous devez assumer jusqu’au bout votre responsabilité d’éduquer vos enfants à une paternité ou une maternité responsable.

Pour vous jeunes filles qui arrivez souvent à la maternité sans connaître le fonctionnement de votre corps et la dignité qui en découle, à vous je voudrais rappeler avec force : "Vous êtes le Temple de l’Esprit Saint". Votre corps est la demeure de Dieu. En faisant germer la vie en vous, Dieu voudrait faire de vous des partenaires de la réalisation du plan du salut de l’humanité. À toutes celles qui ont accepté d’accoucher dans la précarité je voudrais rappeler ceci : vous êtes si proches de la Vierge Marie et vous bénéficiez de son amour, de sa tendresse. À vous aussi qui avez assumé votre responsabilité d’époux en accompagnant une naissance dans la précarité, vous n’êtes pas loin de saint Joseph. Il vous aime et vous accompagne. Comment comprendre que de nombreux bébés puissent être abandonnés aux coins de rue, aux bords des chemins voire sur des dépotoirs ? Pourquoi ternir ainsi la joie de Dieu, contester la réalisation de son dessein ? Pourquoi sacrifier ainsi l’avenir de ces tout-petits sur l’autel de notre égoïsme et de nos calculs mesquins ? L’une des raisons souvent évoquée pour justifier de tels agissements 32 1 Co 1, 3, 7. "Un enfant nous est né, un fils nous a été donné" (Is 9, 5) 13 est la précarité.

Cependant les Saintes Écritures mettent en évidence des cas où d’une enfance difficile peut surgir une grande destinée. Issus de situations précaires le petit Samuel et le prophète Jean-Baptiste auront connu un rayonnement prépondérant dans l’histoire du Salut. Pour que cela advienne il a fallu qu’ils bénéficient depuis la tendre enfance de la présence aimante d’Anne, d’Elie, d’Elisabeth et de Zacharie. Je me permets encore d’évoquer la figure de Moïse, grâce à qui je voudrais étendre mon plaidoyer aux enfants handicapés. Il arrive qu’ils soient exclus des projets sociétaux et familiaux, comme si en eux, humanité et dignité d’enfant de Dieu étaient amoindris. Moïse a été doublement handicapé : il a souffert du défaut d’élocution ; il a encore souffert d’être abandonné par sa mère et recueilli par la fille du pharaon.15403705 1181351725274317 5720743506100036427 o

N’est-ce pas lui que le Seigneur a choisi pour être le libérateur de son peuple et la préfiguration du Messie ? Le destin de l’enfant sauvé des eaux ne ratifie-t-elle pas l’affirmation biblique selon laquelle "La pierre qu’ont rejeté les bâtisseurs est devenue la pierre angulaire ?" L’enfant centrafricain souffre du déni de la dignité d’enfant de Dieu, d’aimé de Dieu. Une telle lacune est souvent étayée par des discours anthropologiques pervers dont les conséquences peuvent 33 Ex 4, 10-12. 34 Ex 2, 1-10. 35 Ex 6, 2-13. 36 Ps 117, 22. "Un enfant nous est né, un fils nous a été donné" (Is 9, 5)  être désastreuses et fatales. Je voudrais particulièrement penser aux enfants dits  "enfants sorciers" ou ceux atteints du phénomène du "ngbati"; je voudrais encore évoquer ceux que l’on appelle maladroitement « enfant de la rue" : ils ne sont pas nés dans la rue mais ils sont enfants en situation de rue. Qualifier ainsi un être humain, pis encore un enfant de "boubourou", "zo ti likundu" revient à lui dénier l’image et la ressemblance de Dieu. Il est ainsi figé dans une vision réductrice. La société dépose sur lui un fardeau lourd à porter susceptible de causer son effondrement. Pour toute notre société, Noël devient l’occasion de purifier nos anthropologies en les faisant passer par le filtre du langage divin, du Verbe divin fait chair. Noël devient l’invitation à nous adressée de faire attention aux concepts que nous employons, aux désignations, aux caractérisations, aux nominations que nous attribuons aux enfants. En vue de votre jugement, rappelle Saint Paul, dites seulement des paroles bonnes et constructives. L’enfant centrafricain souffre d’être dans une société dont le système éducatif a connu la faillite. Il se meurt parce que miné par la précarité et le manque criant d’infrastructures adaptées et bien équipées. Il ne peut pas accéder aux soins vitaux. Mais au cœur de nos précarités, l’annonce de deux bonnes nouvelles. D’abord celle du projet du Complexe pédiatrique. Le passage du Saint Père sur notre 37 Ep 4, 29. "Un enfant nous est né, un fils nous a été donné" (Is 9, 5) terre, à l’instar de l’incarnation du Christ, a suscité un plus : solidaire du sort de l’enfant souffrant, le Saint Siège s’est engagé a transformé ce lieu afin qu’il soit plus accueillant, mieux soignant. Rendons grâce à Dieu.

Ensuite, autre motif d’action de grâce, afin de participer à la mobilisation nationale pour la restructuration du secteur éducatif, l’Archidiocèse crée avec le concours de la Conférence Épiscopale Italienne dix écoles villageoises. Je salue toutes les œuvres qui vont dans ce sens, développées par les communautés religieuses et les chrétiens de bonne volonté. J’émets le souhait que tout cela parvienne un jour à être coordonné, harmonisé. Pour finir, j’exhorte au respect des dispositions normatives concernant les Droits des Enfants. Noël est une invitation à ne pas oublier de conformer nos lois à la Loi de l’Amour mise en œuvre pour tous les âges dans la figure de l’enfant emmailloté et couché dans la mangeoire.

Je voudrais aussi m’adresser particulièrement à vous, enfants de Centrafrique, victimes de tant de maux. L’Enfant Jésus vous interpelle vous aussi pour que vous soyez acteurs de votre propre devenir. Dans mon homélie du troisième dimanche de l’Avent j’ai évoqué le contexte dans lequel vous devez faire émerger votre voix. Il s’agit d’un contexte vicié. Nombreux sont ceux qui depuis leur naissance n’ont connu que la guerre et les conflits sociétaux. Mais encore, "Un enfant nous est né, un fils nous a été donné" (Is 9, 5) nombreux êtes vous, garçons et filles, qui vous laissez tenter par le piège de la promiscuité. Nombreux êtes vous à enfreindre l’interdit de l’avortement inhérent à la sacralité de la vie. Nombreux êtes-vous enfin à être victimes de cette mentalité ambiante exaltant la facilité au détriment de l’effort.

À vous mes chers enfants, je voudrais rappeler les précieuses paroles de Saint Paul : "Ne savez-vous pas que les coureurs, dans le stade, courent tous mais qu’un seul gagne le prix ? Courez donc de manière à le remporter. Tous les athlètes s’imposent une ascèse rigoureuse ; eux, c’est pour une couronne périssable, nous, pour une couronne impérissable". À vous, je voudrais encore évoquer à partir de l’héritage spirituel de l’Église quelques figures qui, en dépit de leur jeune âge, ont librement opté pour Jésus au détriment des tentations et des voix de ce monde. Je voudrais citer Dominique Savio qui, à la suite de Don Bosco, a su faire montre d’une extraordinaire fidélité et d’une vie intérieure toute orientée vers Jésus. Aux filles, je voudrais les inviter à contempler et solliciter l’intercession de Maria Goretti qui, au nom de sa foi, a su défendre sa virginité. Plus près de nous, je voudrais que vous tourniez les yeux et sollicitiez la prière de Kizito, martyr de l’Ouganda et de Joséphine Bakhita, cette esclave originaire du Soudan qui a contribué à la conversion de son maître. 38 Ep 9, 24-25. "Un enfant nous est né, un fils nous a été donné" (Is 9, 5).

Chers frères et sœurs dans le Christ et vous tous, hommes et femmes de bonne volonté, L’appel que l’enfant-Jésus nous lance en ce jour de Noël, c’est de faire tout ce qui est possible afin que la lumière de Bethléem touche le cœur des hommes. Ce n’est qu’à travers la conversion des cœurs que peut être dépassée la cause de tout ce mal qui gît au fond de notre cœur. Ce n’est que si les hommes changent, que change le monde et, pour changer, les hommes ont besoin de la lumière qui vient de Dieu, cette lumière est entrée dans notre nuit. Le Seigneur est apparu comme un enfant et s’est montré à nous comme Celui qui nous aime et Celui par lequel l’amour vaincra. Et il nous fait comprendre qu’avec Lui nous devons être des artisans de paix. Que les personnes et les peuples n’aient pas peur de reconnaître Jésus et de l’accueillir. Que le Seigneur, qui a fait resplendir dans le Christ son visage de miséricorde vous comble de son bonheur et vous rende messagers de sa bonté ! Que l’Enfant Jésus, par l’intercession de la Sainte Vierge Marie, apporte le réconfort à tous les enfants, aux personnes qui sont dans l’épreuve et donne aux responsables de ce pays la sagesse et le courage de rechercher et de trouver des solutions humaines, justes et durables.

À tous je souhaite joyeux Noël !

Cardinal Dieudonné Nzapalainga - Archevêque Métropolitain de Bangui

Le 24 décembre 2016