Karim Meckassoua prononce un discours à l'occasion de la venue de Michaelle Jean

Madame la Secrétaire générale de la francophonie,
Monsieur le Ministre des affaires étrangères, de l’Intégration africaine et des centrafricains de l’Etranger ;
Madame la Ministre des arts, de la culture, du tourisme et de la francophonie ;
Monsieur le Ministre en charge du Secrétariat général du gouvernement ;
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Chefs des missions diplomatiques et Représentants des organisations internationales ;
Honorables Députés ;
Mesdames et Messieurs les Membres des cabinets de l’Assemblée nationale et de la Primature ;
Distingués invités ;
Mesdames, Messieurs.

C’est, Madame la Secrétaire générale, une joie toute particulière pour notre Représentation nationale de recevoir dans cet hémicycle la Première Représentante d’une organisation qui incarne, mieux qu’une autre, les valeurs de l’intelligence, du partage et de la démocratie qui nous lient ensemble, par-delà nos différences. Je veux parler de l’Organisation internationale de la francophonie.

Une joie et une fierté de recevoir la personnalité que vous êtes, Madame Michaëlle Jean. Michaelle jean anMichaelle Jean et Anicet Georges Dologuele @pan

Je veux parler de la native d’Haïti, qui a grandi au Canada, nourrie de culture plurielle mariant Nord-américanité, européanité et, pour finir, créolité, une culture créole dans laquelle nous ne pouvons nous empêcher de voir une certaine souche africaine.

Je veux parler de la polyglotte, parlant couramment au moins cinq langues. Je veux parler de la femme d’Etat, Gouverneur général du Canada et, aujourd’hui, Secrétaire générale de la francophonie.

Permettez donc qu’au nom du Peuple centrafricain, de ses Représentants ici réunis, et en mon nom propre, je vous souhaite, Madame la Secrétaire générale, Mme Michaëlle Jean, la bienvenue en terre centrafricaine.

Vous y trouverez durant votre si bref séjour, j’en suis sûr, de la chaleur humaine, un sens aigu de l’hospitalité et du partage, une volonté tenace de dépassement et, pour tout dire, un amour de cette terre et de la vie.

Oui vous trouverez tout cela, parce que c’est cela la République centrafricaine ; une République centrafricaine que n’ont pas réussi, et que ne réussiront pas à effacer de la face du monde et de l’humanité les déchaînements de barbaries et leur instrumentalisation politique et criminelle.

Madame la Secrétaire générale, votre visite nous honore.

Elle est d’abord pour nous de l’ordre de l’accomplissement. L’accomplissement d’une promesse. C’était à Antananarivo, à la 42e session de l’Assemblée parlementaire de la francophonie, dont les travaux se sont étalés du 8 au 12 juillet 2016. Vous aviez tenu à y assister personnellement. La République centrafricaine, de son côté, faisait son retour sur la scène parlementaire internationale, à travers une délégation de la nouvelle Assemblée nationale que j’ai conduite à cette session. Nous vous avions alors lancé une invitation à vous adresser à la Représentation nationale. Vous avez immédiatement accepté, avec enthousiasme. Et vous voici. En dépit d’une charge lourde et d’un agenda particulièrement chargé.

Nous ne saurions vous exprimer assez notre gratitude pour ce geste, pour cette promesse tenue.

Ce sentiment de gratitude, nous l’exprimons aussi à l’égard de la Francophonie comme organisation. Elle a toujours été présente aux côtés du Peuple centrafricain au cours des différentes crises que notre pays a connues, et ce depuis 2003. J’ai encore en mémoire les interventions du Président Abdou Diouf, ainsi que les contributions aux réformes juridiques et institutionnelles dans notre pays. J’ai aussi le souvenir de missions utiles, dont celle du Ministre d’État Louis Michel. Humaniste et universaliste convaincu. Il a mis, en tant qu’envoyé de la Francophonie, toute son énergie, toute son ingéniosité au service de mon pays, pour aider au retour à la paix, à la stabilité, et pour participer à la construction d’une société respectueuse de l’homme, de ses différentes identités, s’opposant à toute discrimination et à tout déni d’humanité. Nous lui en sommes particulièrement reconnaissants.

Le souvenir, par ailleurs de plaidoyers faits par votre organisation au profit de la RCA. L’intervention de l’OIF a, dans tous ces cas, été celle d’une organisation experte, qui connaît les problématiques de crise, mais aussi celles du relèvement de l’Etat dans les périodes post-crise, comme le montrent les exemples édifiants des Comores, de Madagascar, du Niger, ou encore du Burkina Faso, pour ne citer que ces quelques pays.

La République centrafricaine a besoin aujourd’hui plus que jamais de cette expertise. C’est pourquoi, je lance au nom de la Représentation nationale un appel solennel à un approfondissement de la coopération entre l’OIF et l’Etat centrafricain. Cet appel, j’y insiste, vise l’Etat centrafricain dans son ensemble, et donc autant le pouvoir Exécutif, le pouvoir Législatif, que le pouvoir Judiciaire. En ce qui concerne la Représentation nationale, notre appel s’adresse autant à l’OIF qu’à l’Assemblée parlementaire de la francophonie, dont notre Assemblée est partie prenante.

Madame la Secrétaire générale ;
Honorables Députés et bien chers collègues,
Distingués invités,
Mesdames et Messieurs,

A la réunion d’Antananarivo que j’ai évoquée tantôt, il m’avait été donné de présenter à la famille de la Francophonie la situation politique, sécuritaire et humanitaire de notre pays, notamment, les conditions de la stabilisation et de la restauration de notre État et de notre société.

L’essentiel de ce que j’ai dit alors continue à être assumé par notre Représentation nationale, en particulier le fait que pour nous la promotion de la démocratie, de l’État de droit et des droits de la personne humaine, valeur centrale de la Francophonie par ailleurs, est et demeurera le principe cardinal de notre action en tant qu’institution.
Nous disons cela avec la conscience aiguë que c’est précisément le mépris et la violation systématique de ce principe qui nous a conduit là où nous sommes. Plus précisément, le déni devenu systématique de la démocratie au plan institutionnel et du droit, ainsi que l’absence, tout aussi systématique, de prise en compte de la participation citoyenne, de la mise en place d’une société civile vivante, sont les sources premières des crises militaro-politiques répétitives que la République centrafricaine a connues.

Nous disons cela aussi avec une conviction : notre pays n’a pas besoin d’une démocratie de confrontation mais plutôt d’une démocratie coopérative ! Cette conviction, qui est inscrite dans notre action, est celle d’une Assemblée qui se définit comme l’institution représentative d’un peuple meurtri par des décennies de conflits et de crises en tous genres, avec leur cortège de morts et de destructions. Institution représentative d’un peuple qui est fatigué des crises, avec comme signes avant-coureurs les rumeurs, les suspicions, les entreprises de diabolisation et les manipulations. Bref nous disons cela en Représentants du Peuple à qui notre propre histoire et les aspirations de ce Peuple commandent de penser et d’agir toujours avec gravité, avec dignité et avec responsabilité.

Madame la Secrétaire générale ;
Honorables Députés, mes chers collègues ;
Distingués invités ;
Mesdames, Messieurs ;

Si j’insiste tant sur ces points, c’est parce que nous sommes profondément convaincus que la seule voie possible pour notre redressement national est celle de la Démocratie réelle, de l’État de Droit véritable et d’un État qui respecte effectivement la personne humaine. J’insiste parce que nous croyons que la re-fondation de notre État, de notre société et de notre économie passe par cette re-fondation démocratique.

Tel est le sens de notre engagement national. Et c’est précisément sur ce terrain que nous proposons la construction d’un partenariat rénové et innovant entre la République centrafricaine et l’OIF, entre l’Assemblée nationale et l’OIF-APF.

Pour cette action déjà amorcée et, sur certains pans, assez avancée, nous souhaiterions bénéficier de l’expertise de la famille de la Francophonie. Ce partenariat, que nous n’hésitons pas à appeler "Partenariat pour la Démocratie, l’État de Droit et les Droits humains", nous l’envisageons essentiellement autour de deux axes.

Le premier axe est celui du développement institutionnel parlementaire. Parce qu’il ne peut y avoir de démocratie réelle et vivante sans un Parlement en mesure d’assumer ses fonctions constitutionnelles essentielles. Cette dimension institutionnelle nous paraît de la plus haute importance.

Le développement institutionnel passe, dans le cas de notre pays, par une modernisation, par une mise à niveau de la Représentation nationale, que ce soit au point de vue des locaux, qui sont au-dessous du seuil de décence, au point de vue des services, tels que la documentation, l’archivage, les fournitures, etc., et au point de vue des procédures et des textes organiques. Sur ce dernier point nous sommes fiers de pouvoir dire que nous avons avancé en adoptant en à peine six mois un texte majeur sur lequel les précédentes législatures avaient peiné pendant plus de vingt ans. Je veux parler de la Loi organique portant Règlement intérieur de l’Assemblée, dans laquelle des observateurs avisés ont vu un modèle du genre, et que nous nous attachons scrupuleusement à traduire dans la réalité du fonctionnement de notre Institution. Nous ne pouvons malheureusement en dire autant en ce qui concerne les locaux et les services. Sans ressources permettant de rénover et de fonctionner et, a fortiori, permettant d’investir, l’Assemblée nationale en est réduit à colmater les brèches et à faire fonctionner le système D (comme Débrouillardise).

Le développement institutionnel passe aussi par la formation et le renforcement des capacités des députés et du personnel parlementaire. Nous avons conçu à cet égard un programme ambitieux et novateur, que nous avons déjà commencé à mettre en œuvre, et qui articule entre eux plusieurs éléments : des séminaires de renforcement des capacités, un dispositif de formation continue, des visites de travail auprès de Parlements étrangers et internationaux, de la formation initiale visant à constituer un corps et un vivier d’assistants parlementaires, et enfin, un projet innovant dont j’ai eu l’occasion d’entretenir Mme la Secrétaire générale dès Antananarivo, une tablette tactile pour les députés, dotée d’une application mobile permettant de réunir des informations, des documents, et des guides utiles au travail parlementaire, en français et dans notre langue nationale le Sango.

Le deuxième axe du Partenariat que nous appelons de nos vœux est celui du développement de la fonction parlementaire et de la démocratie participative. En d’autres termes, celui de la démocratie substantielle qui peut se décliner en trois verbes : légiférer, contrôler, contribuer.

Légiférer. A ce deuxième axe correspond d’abord le renforcement de la capacité de législation. Vous le savez tous, la législation est un exercice exigeant dont il faut maîtriser les techniques et les procédures : rédaction des textes législatifs, des amendements, travail en Commission, etc. Cette maîtrise est le gage de la stabilité et de la sécurité juridiques, et au final d’une meilleure protection des citoyens et de la juste régulation économique et sociale. Mais bien légiférer c’est aussi savoir identifier les enjeux sociaux déterminants à traiter, penser les solutions juridiques adaptées. Or ceci nécessite d’être au clair sur les valeurs (nous le sommes), d’avoir une vue de la manière dont les problèmes que nous rencontrons ont été solutionnées ailleurs, et avoir une connaissance suffisamment fine de notre environnement pour adapter au mieux les règles que nous entendons adopter.

Comme vous pouvez le voir, légiférer est une tâche complexe, à laquelle on n’est pas nécessairement préparé quand on se présente au suffrage, quel que soit d’ailleurs le niveau d’expertise que l’on a dans la vie civile. Cela nécessite une expertise à la fois transversale et spécifique à chaque situation. Cela nécessite aussi des moyens, pour pouvoir organiser la prise en compte des attentes sociales sur tout le territoire de la République. Sur ce double terrain nous avons besoin de l’appui de la famille de la francophonie.

Mais nous pensons aussi que légiférer c’est, en toute chose, mettre les règles que nous édictons en adéquation avec les valeurs qui sont les nôtres. L’Assemblée nationale œuvre d’ores et déjà en ce sens. Ce disant, j’ai à l’esprit des Lois que nous avons récemment adoptées telles que, par exemple, la Loi sur parité hommes/femmes, la Loi sur la justice pénale, la loi sur la lutte contre la corruption et la bonne gouvernance, sans compter les lois d’autorisation de ratification des textes africains relatifs à la démocratie, à la bonne gouvernance, et à la protection des droits humains. Je saisis cette occasion pour dire que ces Lois, l’Assemblée nationale ne les destine pas seulement aux autres. Elle entend se les appliquer d’abord à elle-même. Il en est ainsi par exemple pour la Loi sur la parité, dont les premières traductions au sein de la Représentation nationale sont, d’une part, l’institutionnalisation d’une plateforme des femmes parlementaires et, d’autre part, le rééquilibrage hommes/femmes au sein du Bureau de l’Assemblée élu il y a un mois. C’est le cas aussi en ce qui concerne la loi sur la bonne gouvernance, qui a trouvé des concrétisations substantielles dans le Règlement intérieur de l’Assemblée.

Nous pensons enfin, que participe pleinement de la fonction de législation, l’action pour l’appropriation des lois par les citoyens. C’est la raison pour laquelle nous avons entrepris de mettre en place un dispositif de restitution des travaux parlementaires à la base, sur le terrain, dans les circonscriptions.

Mais nous avons conscience qu’il nous reste encore beaucoup à faire quant à la prise en compte, dans les Lois, des valeurs et des préoccupations transversales, telles que celles relatives au genre, à la jeunesse, aux minorités et aux personnes vulnérables.

Là encore, l’apport de l’expertise de la famille de la Francophonie permettrait d’agir plus efficacement.

Contrôler. A ce que j’ai appelé la démocratie substantielle correspond, outre le renforcement des capacités en matière de législation, celui en matière de contrôle. L’importance de ce contrôle pour la vitalité démocratique n’est plus à démontrer. Nous estimons que doit y être ajouté le fait que l’effectivité et la solidité de ce contrôle est, en tant qu’outil de bonne gouvernance, la meilleure garantie qu’un Etat failli comme la République centrafricaine peut apporter à ses partenaires, bailleurs financiers ou non. C’est la raison pour laquelle nous appelons à chaque fois que nécessaire, dans les processus internes ou de partenariats internationaux, à être attentif à cet élément, et à ne pas l’écarter systématiquement pour des raisons de simplification ou de rapidité.

A l’instar de la fonction de législation, notre Assemblée est demandeuse d’expertise pour l’exercice de cette fonction de contrôle.

Madame la Secrétaire générale ;
Honorables Députés, mes chers collègues ;
Distingués invités ;
Mesdames, Messieurs ;

La troisième et dernière branche participant à cet axe de la démocratie substantielle est, à nos yeux, la contribution aux processus collectifs nationaux. Vaste programme, me direz-vous. Vaste programme, en effet. Aussi nous faut-il nous atteler à ce qui nous paraît prioritaire dans cette perspective. Et cette priorité, c’est incontestablement la Paix.

La démarche de l’Assemblée nationale en la matière est connue. Elle a été exposée à maintes reprises à cette tribune lors de l’audition de membres du Gouvernement et lors des visites successives du Ministre français de la Défense, M. Le Drian, et de l’ancien Vice-Secrétaire général des Nations Unies, Monsieur Eliasson. L’Assemblée considère qu’il est du rôle de l’Exécutif, responsable en dernier ressort des différentes composantes de la politique de paix, de piloter le processus. Mais elle estime aussi que cette cause étant une cause nationale majeure, elle nécessite une synergie des institutions. Nous en sommes convaincus, l’Assemblée Nationale, dont les membres représentent la République centrafricaine dans toute sa diversité, en ayant par ailleurs une connaissance intime de nos territoires et des communautés qui y sont implantées, peut apporter une contribution des plus utiles. C’est dans cet esprit qu’elle a fait part régulièrement de sa disponibilité tant aux autorités exécutives qu’à la MINUSCA. C’est dans le même esprit qu’elle a formulé des propositions à ces institutions.

L’Assemblée nationale entend poursuivre dans cette voie. Bientôt elle rendra publique une Initiative Parlementaire de Paix, où seront systématisées ces propositions et bien d’autres. L’Assemblée est consciente de la complexité de l’entreprise de restauration de la paix. Elle est consciente du fait que celle-ci demande à ce que soient agencés des problématiques dont la conciliation n’est pas simple : la réconciliation nationale ; le désarmement, la démobilisation et le rapatriement (des combattants étrangers), la vérité, la justice.

Instruite par l’histoire de la RCA, elle considère cependant que le respect d’un certain nombre de principes est nécessaire pour qu’il y ait rétablissement durable de la paix. Les principaux sont les suivants :

  • Principe 1 : le Forum national de Bangui doit constituer le cadre de référence du règlement de la crise et, partant, de toute politique de retour à la paix ;
  • Principe 2 : Une paix durable ne peut se faire sans les victimes, sans la prise en compte de leurs souffrances et la réparation des préjudices subis ;
  • Principe 3 : Le refus de l’impunité, et donc la non-amnistie doivent être la règle ;
  • Principe 4 : Le retour à la cohésion des communautés et l’apaisement des relations entre les Communautés doivent être recherchés en impliquant celles-ci ;
  • Principe 5 : L’ensemble du processus doit être conduit et les solutions, notamment institutionnelles, trouvées dans le cadre et dans le respect des principes et règles constitutionnels actuellement en vigueur.

 

Madame la Secrétaire générale ;
Honorables Députés, mes chers collègues ;
Distingués invités ;
Mesdames, Messieurs ;

J’ai été bien long, j’en ai conscience. Mais il me fallait ce temps-là pour dire à Madame la Secrétaire générale de la Francophonie :
•  qu’elle est la bienvenue sur une terre que nous souhaitons qu’elle considère désormais comme la sienne ;
•  que nous nourrissons une grande ambition pour notre pays qui a pour noms Démocratie, Etat de Droit et Droits humains ;
•  que l’approfondissement des relations au sein de la famille de la Francophonie autour de ces valeurs fait partie de cette ambition.

Je vous remercie pour votre écoute et pour votre patience.

Le 12 avril 2017